Le Maroc est un pays en transition démographique. Les jeunes
demeurent certes majoritaires mais, baisse spectaculaire de la fécondité et
allongement de l’espérance de vie aidant, les personnes âgées sont de plus en
plus nombreuses. Et pour elles, comme ailleurs, la retraite dont on parle tant
ces dernières semaines sur les radios internationales n’est pas tout à fait le long fleuve tranquille qu’elle
était autrefois. L’enjeu pour ce pays est de faire en sorte que ses
séniors puissent conserver un rôle et une estime d'elles-mêmes lors de cet âge de la vie. Et ce en
dépit de la compétition exacerbée que connait cette économie émergente. Les
nouvelles technologies de l'information pourraient apporter des solutions pratiques.
Expertises,
coopération et solidarité
La génération actuelle des retraités n’est certes pas tombée dans
l’informatique lorsqu’elle était petite mais presque. De nombreux seniors s’y
sont mis avec plus ou moins de résolution selon les pays. La fracture numérique s'estompe aussi avec le phénomène des jeunes retraités qui ont eux grandis entourés d'ordinateurs. Au Maroc, le fossé intergénérationnel est certes plus important qu'en Europe mais les efforts pour réduire l'analphabétisme informatique sont
réels et l’installation de retraités européens en grand nombre pourrait créer
l’émulation. A cet égard, la multiplication des réseaux sociaux sur le net
(voir l’intéressant article
que Pierre Nobis consacre à ce phénomène ici-même) abolit les distances et
donne aux associations de retraités plus de visibilité.
Pour les pays en
développement comme le Maroc, les réseaux permettent d’organiser beaucoup plus
efficacement une forme de solidarité originale : l’aide au développement
apportée par les experts seniors retraités. Les exemples d’associations dédiées
à cette coopération sont nombreux et une confédération européenne des experts
seniors a vu le jour. L’Agence Française de Développement (AFD) s’est engagée à
favoriser le recours à leur service et a signé une convention avec trois de
leurs représentants : l’Association Générale des Intervenants Retraités (AGIR), l’Office Technique d’Etudes et de Coopération
Internationale (OTECI)
et l’association Echanges et Consultations Techniques Internationaux (ECTI).
Pour le Maroc, cette action rejoint la politique
gouvernementale d’implication des compétences marocaines expatriées à l’effort
de développement du pays. Un programme
ambitieux de création de 1 000 Petites et Moyennes Entreprises par les
Ressortissants Marocains à l’Etranger (RME) illustre cette convergence
d’intérêts.
Dans une société qui fait de l’expérience un atout – la
sagesse populaire le traduit par de nombreux adages[1]
-, la mission de ces compétences seniors dans tous les sens du terme est
souvent facilitée. Et même s’il s’agit parfois d’associations embryonnaires
comme l’Association des Compétences Professionnelles Seniors pour le
Développement Rural au Maroc (ACOSDER
MAROC), l’idée que les MRE retraités constituent un gisement d’expertises
fait durablement son chemin.
Le
secteur des nouvelles technologies de l'information en bénéficie
particulièrement de cette synergie des compétences européennes et marocaines, notamment pour les opportunités de travail à distance qu’il
permet. La synergie opère aussi entre la "fougue" des jeunes
entrepreneurs et la pondération tout aussi nécessaire des seniors, créant ainsi le rythme approprié à une bonne conduite de projets. Le poids de l’expérience
est à cet égard aussi important que l’expertise méthodologique qu’apportent des
managers chevronnés.
S… comme
seniors ou sages
L’autre vertu que la société marocaine accorde volontiers à
ses "vieux" est la sagesse. Une vertu que semble confirmer d’ailleurs la
science
médicale. On connait le prestige des
ainés dans les sociétés africaines. Les anciens sont ainsi les pondérateurs indispensables à la
résolution de conflits et à la conduite de négociations. Dans cette interview à un
site de valorisation des seniors Isabelle Reydet-Rousselet, directrice générale
du très dynamique CMC2, donne une
idée de l’importance de cette classe d’âge en matière de médiation et d’intermédiation.
Mais cette activité ne se limite pas au monde de l’entreprise.
Elle profite également au système éducatif grâce notamment à la mise en place
de centres
d’écoute et de médiation scolaire. L’objectif ici est d’aider les enfants déscolarisés
à reprendre le chemin des cours. Au Maroc où la tradition familiale reste
forte, le soutien apparait comme un rôle naturel dévolu aux "vieux"
qui sont autant de grands-pères et de grands-mères.
De manière générale, la médiation
est une activité en pleine expansion au Maroc, dans de nombreux domaines. Le gouvernement
a instauré des postes de médiateurs juridiques pour éviter le recours
systématique aux tribunaux. Des médiateurs sociaux
interviennent aussi de plus en plus dans les quartiers chauds des grandes
villes pour désamorcer les tensions.
Les exemples sont nombreux. Ce qui fait lien entre ces
différentes expériences est la place importante qui y occupent les seniors, les
anciens ou "chibanis". Mais aussi l’influence grandissante des
réseaux sociaux, dédiés aux seniors ou non, pour mobiliser le savoir-faire des
personnes de troisième âge. Leur effet facilitateur pour la mise en relation a
aussi pour effet de pousser à une professionnalisation de la médiation. En effet,
les modes de management hérités du secteur concurrentiel induisent une description des missions et une évaluation
des compétences. Des formations métiers se mettent en place et des instances
voient le jour. Les nouvelles technologies sont évidemment des outils
privilégiés.
En définitive, le Maroc est pour de nombreuses raisons à la
fois culturelles et économiques un pays de prédilection pour les seniors actifs.
Le développement du numérique dans le pays devrait accentuer cette tendance et
offrir aux anciens une nouvelle vie riche d’activités, virtuelles ou non.
Photo : yplouf, Flickr, licence CC.
[1] Pour ne
citer qu’un des plus connus : « Celui qui compte une nuit de plus que
toi a dans sa besace une astuce de plus que toi. » Ou encore, cette autre
traduction qui permet de reproduire la rime du dicton original :
« Celui qui te dépasse d’un jour te dépasse aussi d’un tour » !
Il y en a bien d’autres de la même eau.
Mots-clés:
Expertise
Pays
Expatriées
Médiation
Transition démographique
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