Exploration des communautés d’apprentissage
J’ai décidé de voyager au Québec pour
mieux appréhender les communautés d’apprentissage. Il me semblait important de
vivifier la démocratie en promouvant des pédagogies collaboratives et de
trouver de nouveaux moyens de le faire. J’avais entendu parler des pédagogies
québécoises à l’occasion d’un voyage en Afrique où j’avais eu l’opportunité de
rencontrer des facilitateurs québécois. Je me suis alors intéressé à ce qui se
passait la-bas et j’ai consulté près de 500 sources (livres articles), puis
j’ai fréquenté le seul québécois que je connaissais et qui passait de temps en
temps à l’université de Nanterre.
J’ai alors décidé de prendre 6 semaines de
RTT (réduction du temps de travail) pour partir un hiver. Ma première
surprise fut d’être accueilli par le professeur que j’avais rencontré. C’était étonnant
alors que je le connaissais à peine qu’il soit là pour moi à l’aéroport. Il m’a
appris la différence entre le mot froid et le mot frette (très très froid, cet
hiver là -30°) mais il m’a surtout ouvert les portes. Grace à lui j’ai pu
enchaîner une cinquantaine de rendez-vous ! À partir de ce contact je me
suis laissé guider d’un contact à l’autre.
Je me mettais dans la posture de dire
oui à tout. Un accueil inconditionnel de tout ce qui pouvait m’arriver, y
compris des activités improbables dans des serres à papillons ou lors de la fête
de la neige. C’est ainsi que j'ai rencontré une cinquantaine de communautés et
d’acteurs de l’apprentissage social. Je méditais avant la rencontre et je me
présentais à eux avec beaucoup de curiosité et d’humilité pour comprendre le
fruit de leur expérience. Mon seul désir était d’apprendre et de partager aussi
quand on m’interrogeait. En 6 semaines j’ai été invité 25 fois à déjeuner ou
diner, deux fois en weeckend. J’ai donné des conférences. Alors que je ne
connaissais personne et que personne ne me connaissait j’ai donné deux
conférences. J’ai pris conscience de la qualité des savoir-faire pédagogique
(par exemple le codéveloppement professionnel), mais surtout de la grande
qualité relationnelle et de la puissance de l’ouverture d’esprit.
Un retour, des gens, de la collaboration
Je ne voulais pas seulement avoir un
plus de technicité et de connaissance mais je voulais le partager aussi quand je
suis rentré en France, je me suis installé dans un café prés de chez moi tous
les samedis de 14h à 18h et j’ai fais savoir à mes « amis » sur les
réseaux sociaux que j’étais prêt à partager.
30 « amis » sont venus,
coachs, professionnels des RH, étudiants, chômeurs, demandeurs d’emplois, professeur,
cadre sup. De belles rencontres. Avec deux d’entre elles Virginie (qui nous a
rejoint par skype) et Jocelyne qui vivait dans une rue à côté de chez moi nous
avons décidé de créer un site en ligne sorte de MOOC[1]
pour partager l’aventure.
L’idée était de proposer pendant 8 semaines des
activités variées telles que webconférences, expériences dans la vie réelle et
cercles de dialogue pour faire le lien. Tout cela assorti de ressources et quiz en
ligne. Je ne savais rien au numérique mais j’ai appris et j’ai demandé à ceux
qui savaient et ils m’ont aidé.
Pour le lancement des cercles de dialogue nous
avons créer des vidéos virales et c’est ainsi que nous avons recruté 22
facilitateurs qui, a leur tour, ont recruté leur cercle. Cela se passait partout
en francophonie (France, Canada, Suisse, Belgique, Luxembourg) et ce sont 800 personnes qui nous ont rejoint !
12 cercles sont allés au bout de la démarche, les autres ont eu du mal. Les
cercles se réunissaient où ils pouvaient (café, salles de réunions, lieux
publics etc.).
Tout s’est organisé de façon
autodirigé, gratuite et sur une base de militance en dehors du travail Les
participants étaient des membres d’organisation qui s’intéressaient à la formation,
aux ressources humaines à l’éducation ou à la formation professionnelle.
Le succès a été incroyable et une
design team s’est crée pour faire face aux afflux de demandes d’appuis. Une newsletter a donné plus de ressources et d’informations.
L’idée centrale était d’apprendre à
apprendre ensemble sur la base de 8 thèmes assez flous à déchiffrer en cercle
tels que : l’altérité, la coopération, la coévaluation, l’accueil d’un
nouveau, la co-facilitation. Le moteur était l’inclusion de haute qualité dans
le groupe. Chaque nouvel entrant était considéré comme une personne importante.
Personne ne lui demandait qui il était, quelle était sa fonction ou son statut
elle était là et c’était bien ainsi. Elle devenait un leader.
Ce processus de création d’apprentissage
sociaux autodirigés à donné lieu à de multiples ressources (cf ci-après) et à
créer de l’engagement pour tous les participants dans leur vie personnelle ou
professionnelle. La dynamique a débouché sur la création de nombreux
événements apprenants, hackathon, world café, forum ouvert où chacun venait
transmettre et apprendre des méthodes d’intelligence collective. La création d’une
association #cercleape a été rendu nécessaire pour la prise d’une assurance et
la circulation d’argent au gré des projets. La cotisation est « le temps
de présence « des volontaires ».
Transposer l’expérience dans un
environnement professionnel
Cette expérience forte s’est transposée
dans les univers professionnels des uns et des autres. Pour ma part elle a
enrichi la mise en place de l’université de l’innovation publique collaborative
du CNFPT. Cette université conçue collectivement a repris des ingrédients que j’avais
éprouvé comme usage des moyens audio-vidéo pour recruter en masse (nous avons
créé un MOOC Innovation Publique), partir de questions sincères et authentiques,
vivre des « moments irréversibles de coopération créative », célébrer
et cocréer ensemble dans une haute qualité relationnelle.
En 4 ans cette
université est passé d’apports descendants du maître (experts en innovation) vers
l’élève (fonctionnaires publics) à un « appel à défis territoriaux »,
de 120 participants à 2120, d’un petit noyau d’organisateurs à 13 équipes (450 co-organisateurs)
qui fabriquaient sur deux jours des initiatives et des prototypes complétement
originaux.
Les mêmes ingrédients ont été mis en œuvre, et progressivement un
chercheur collectif s’est mis en place pour comprendre ce qui formait l’architecture
invisible de cette dynamique sociale hors norme qui a été nommé « pédagogie
des défis territoriaux »[2].
Ce qui reste de cette aventure
Tout d’abord je nourris les québécois et
leur accueil de toute mon estime
Ensuite, j’ai incorporé dans mon
ressenti des pratiques sociales et relationnelles, une posture qui se décrit
mal avec des mots.
Enfin, dans la foulée de ce voyage ont
été créés :
Les questionnements et points de
vigilance
Ce voyage ne fut pas une « learning
expedition » parmi d’autres mais un voyage qui changea ma vie
professionnelle et personnelle. Le cœur de la réussite est d’être prêt à
accepter ce qui vient et de se laisser conduire là où les autres nous voient aller.
C’est une forme d’engagement détaché. Le
point de vigilance est de mettre de côté ses croyances, ses peurs, ses idées
reçues et d’accepter l’accueil du futur. Ouvrir son corps, son cœur et son
esprit à chaque moment.
Pour réussir
Dans sa théorie U de la transformation
sociale, Otto Scharmer donne de nombreux conseils sur une « sensing journey »[3]
réussie. Il s’agit peut être pour une fois de laisser parler son cœur à 100% de
ne pas trop calculer et d’avancer le pas léger « caminante no hay camino », de
ressentir la façon de faire un avec ce qui se passe en pleine conscience.
Conseil à un ami
Choisissez le moment de votre vie où
la réception du monde sera la plus forte. Allez où vous dit votre intuition,
sentez-vous irrésistiblement vivant et
laissez faire la vie. Soignez chaque rencontre comme si elle était la plus
importante de votre vie. Regardez ce que vous pourriez devenir et devenez le !
Lecture recommandée
Cristol, D ; Joly, C
(2019),
L’art de la facilitation : un art énergétique relationnel, une espérance pour la démocratie ESF Paris
https://www.decitre.fr/livres/l-art-de-la-facilitation-9782710139768.htm
Mots-clés:
Communautés D'apprenants
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