La quête du savoir a pendant
longtemps été l’une des marques de fabrique de l’aire culturelle
arabo-musulmane. Le Prophète de l’Islam lui-même incita les croyants à aller
chercher la connaissance partout où elle se trouve, au besoin jusqu’en
Chine. Cette invitation (injonction ?) concerne à la fois le savoir en
tant que somme et la connaissance, celle de l’autre dans sa diversité et son
originalité. Elle allie en une même intention la découverte du sens et de
l’espace, la quête de soi au miroir de l’Autre.
Modernité des premiers
géographes arabes
L’une des réponses à cette
recommandation a été donnée par l’immense géographe d’origine marocaine Al-Idrîsî (ou Al Idrissi).
Ce savant, et à l’époque nul ne pouvait prétendre en être sans détenir un
savoir encyclopédique (voir mon dernier article ici même), a vécu à la cour
cosmopolite du roi Roger II de Sicile. Il y a développé une méthode de travail
très moderne faite d’observations, d’analyses et de recoupement de données. Sa
décomposition du monde connu en zones climatiques et leur croisement avec des
aires géographiques préfigure clairement le repérage actuel en latitude et
longitude. Les itinéraires qu’il a pu mettre à jour ainsi se révèlent être de
véritables explorations scientifiques, riches en détails sur la nature, les
mœurs et coutumes mais aussi en descriptions précises sur les routes empruntées
ou encore l’architecture des villes visitées. Sa grand œuvre, Géographie,
est un remarquable atlas compilant plus de 5000 entrées.
La modernité d’Al-Idrîsî tient à
sa rigueur scientifique mais aussi à sa capacité d’explorer le monde à
distance, en prenant appui sur des témoignages fiables, car constamment recoupés,
tout en utilisant des instruments de précision pour reconstituer ses plans et
cartes. Celle d’Ibn
Batouta (ou Ibn Battûta), l’autre grand voyageur et géographe arabe de ces
premiers siècles de l’Islam, est ailleurs. Sans s’attarder sur l’incroyable
distance parcourue en trente ans de pérégrinations du Maroc à la Chine, bien
plus que Marco Polo demeuré pourtant dans notre mémoire comme l’archétype de l’explorateur,
ce qui frappe dans les récits regroupés dans Rihla (qu'on peut traduire simplement par Voyage) est la constante
volonté de voir au-delà
de la carte, de donner du sens à ce qui apparait. Ibn Batouta a ainsi
contribué à changer la vision du monde de son époque et à préparer les
avancées cartographiques des siècles à venir.
Mettre en perspective pour
restituer la complexité
Comment alors rendre la richesse
des récits de voyage d’Al-Idrîsî ou Ibn Batouta sans se perdre dans la complexe
syntaxe des descriptions de l’époque ?
Il y a d’abord le remarquable
travail de la Bibliothèque Nationale de France,
qui a consacré un espace au Monde d’Al-Idrîsî et plus généralement aux apports de
la géographie arabe.
Le site nous livre quelques pistes pédagogiques
fort intéressantes en ce qu’elles nous permettent d’appréhender l’environnement
historique de la Méditerranée du Moyen-âge dans sa complexité culturelle,
scientifique et politique. Une façon donc de voir au-delà de la carte…
L’approche
un peu différente développée par l’Université du Québec à Chicoutimi n’en est
pas moins remarquable. Basée sur la numérisation des cartes à partir des récits
d’Ibn Batouta, elle invite les plus téméraires à lire le texte
également accessible sur le site ou, à tout le moins, l’excellente notice
qui l’introduit.
Ces deux exemples, et il en
existe bien d’autres, montrent comment les TIC peuvent nous aider à restituer un
tant soit peu la complexité du réel, y compris celui d’une époque qui nous
parait aujourd’hui archaïque. Et préparer nos enfants à comprendre, à travers
les récits des voyageurs et les approximations des cartographies anciennes,
comment s’est opérée la longue construction du savoir universel, loin des
fulgurances médiatiques contemporaines et des raccourcis simplificateurs. Une autre
façon en quelque sorte de voir, au-delà de l’apparente "étrangéité" de l’Autre, la richesse
que peut nous procurer sa connaissance.
P.S. : Le
Grand Voyage d’Ibn Battûta, un tout récent documentaire de Bruce Neibaur,
offre une opportunité supplémentaire de découvrir le génie de l'explorateur et la diversité de son époque.
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