L’empathie est un concept à la mode qui s’invite dans les réflexions sur les métiers de la relation. L’injonction la plus courante concerne les personnes en situation d’autorité. « Le manager doit être empathique » « le pédagogue doit être empathique » lit-on dans la littérature. S’en suit une description de ce qu’est l’empathie qui est plus proche de la compassion ou de la sympathie que d’une définition rigoureuse de l’empathie. Empathie et sympathie ne sont pourtant pas deux postures équivalentes.
Ces deux postures participent à l’établissement d’une relation d’influence et elles cachent une autre posture moins visible mais tout aussi importante qu’on tentera de nommer ici la compathie.
La sympathie
Quand on joue une note (un Do par exemple) sur un piano ou sur n’importe quel instrument à corde, tous les Do alentours se mettent à vibrer sans avoir été sollicités. On appelle cela une « corde sympathique ». C’est à dire qui «vibre avec» sans avoir vécu la même expérience, sans avoir été sollicitée.
Dans les relations humaines la sympathie se produit quand une personne vibre à l'émotion des autres, c’est à dire qu’elle ressent la même chose, même si elle n’a pas vécu l’expérience de l’autre.
L’empathie
L’empathie (1) ce n’est pas « vibrer avec », c’est être capable de « se mettre dans la peau de l’autre ». C’est à dire être capable de changer de position perceptuelle par rapport à soi-même : par exemple, le thérapeute empathique est capable d’entrer dans le modèle du monde de son client. Il est capable de faire miroir de ses émotions et ses sensations sans se laisser emporter par elles, sans qu’il y ait confusion des ressentis.
Être capable de se mettre à la place de l’autre permet de comprendre la logique de sa position, les raisonnements associés à cette logique et les émotions qu’il ressent, les croyances qui fondent ces émotions, mais sans « vibrer avec ». Il s’agit de se décentrer de son propre modèle du monde sans l’abandonner pour se synchroniser sur le mode de pensée de son interlocuteur.
Cette action n'est pas si facile à conduire car c’est avec notre propre modèle du monde que nous tentons de comprendre celui de l’autre. Il est difficile de comprendre l’autre sans faire appel à ses propres expériences sensorielles et sans évoquer sa propre expérience de vie et ses émotions. D’où l’inévitable risque de projection ou de transfert, qui est le principal objet de travail des superviseurs de coach ou de thérapeute.
Le projet de l’empathie est d’obtenir une sorte de synchronisation des états et des processus internes qui montre qu’il y a un accord entre les deux interlocuteurs : « ça résonne » ça « fait écho ». Cet accord est une des conditions d’une influence efficace. C’est parce que l’interlocuteur fera l’expérience qu’il est bien compris que la relation pourra entrer en résonance.
Mais que se passe-t-il quand il est impossible d’obtenir cette synchronisation ? Quand l’autre « ne répond pas » ? Souvent parce qu’il ne sait pas produire de l’empathie. Que faire quand ce besoin de faire partager une émotion ne reçoit pas de réponse ? Quel comportement avoir ? Quelle action permettra d’obtenir de l’autre cette empathie vitale qui nous donne l’impression de partager et d’être compris ?
La compathie
Les mots de sympathie et d’empathie nous permettent de nommer l’action qui consiste à chercher à s’accorder à l’autre intellectuellement (empathie) ou émotionnellement (sympathie). Ces deux notions permettent d’éclairer le processus qui consiste à chercher à s’accorder à un état déjà existant chez quelqu’un mais n’épuisent pas vraiment la question de la recherche d’un accord, d’une synchronisation entre deux personnes. Ces deux notions ne nous disent rien des stratégies que nous mettons en œuvre pour influencer la position ou l’état interne de l’autre, elles ne nous disent rien de ce qu’on fait pour amener l’autre à se synchroniser sur soi.
Rien ne vient nous aider à comprendre comment nous nous y prenons pour provoquer chez l’autre un état différent et les stratégies développées pour modifier l’état interne de son interlocuteur.
Pourtant ce comportement existe : quand un enfant qui vient de réussir un projet court vers son parent en dansant ou en tapant des mains, en manifestant sa joie, il tente de lui faire ressentir l’émotion de joie qu’il ressent à cet instant. Il a besoin dans cet instant que son environnement humain partage cette émotion. Il produit alors un comportement qui a pour but de déclencher de la sympathie ou de l’empathie pour que l’autre ressente la même émotion. Il devient actif dans la provocation d’un état interne de joie chez l’autre et s’attend à ce que l’autre ressente par sympathie et partage son état interne.
Ce besoin irrépressible de faire partager une émotion ou un ressenti est souvent intuitif. Le projet de chercher à provoquer chez l’autre un état interne particulier est aussi ancien et aussi répandu que peut l’être l’empathie. Ces deux concepts sont par ailleurs intimement liés. Le but de la démarche de compathie est bien de solliciter la capacité d’empathie de l’autre.
La sympathie se synchronise sur l’état interne, en revanche la compathie cherche à modifier par un comportement, l’état interne de l’autre à ces mêmes fins de synchronisation et de partage. C’est une forme de séduction si on prend le mot séduction dans son sens étymologique : ramener à soi.
Si la sympathie est le comportement adopté pour faire écho et refléter l’émotion de l’autre, la compathie est le comportement adopté pour amener l’autre à partager son émotion. Ce n’est plus le même acteur et ce n’est plus le même destinataire de l’action.
Compathie ne doit pas être confondu étymologiquement avec la compassion (2) . Il ne s’agit pas de compatir mais de produire un état-d’être précis. On trouve dans tous les cas la question d’être affecté mais dans le cas de l’empathie l’action est portée par celui qui est affecté alors que dans la compathie l’action est conduite par celui qui veut affecter l’autre.
On le comprend facilement dans le projet de partager les émotions positives comme dans le cas de cet enfant. Mais il est plus difficile à discerner et à accepter quand il s’agit de vouloir faire partager des émotions négatives.
Cette émotion peut être joie comme dans notre exemple de l’enfant cité plus haut, mais cela peut être aussi tristesse dans le comportement compathique du dépressif qui cherche à entrainer son interlocuteur dans son état dépressif. On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit du même mécanisme qui guide certaines personnes violentes qui tentent inconsciemment de faire vivre à l’autre l’état de mal-être dans lequel il se trouve intérieurement et dont il n’a aucune conscience. C’est l’hypothèse qu’on peut faire pour les pervers narcissique ou les pervers en général : faire vivre à l’autre son expérience d’être désemparé et perdu. On trouvera quelques pistes de réflexion sur ce sujet dans le livre de Searles (3) «l’effort pour rendre l’autre fou».
C’est pourtant ainsi qu’on peut en partie comprendre qu’une personne désagréable, agressive a besoin que l’autre ressente son état interne et l’amertume qu'elle éprouvre. Ce n’est pas seulement « qu’elle soit désagréable » c’est qu’elle a besoin que l’autre ressente ce qu’elle ressent. Le résultat est sans doute aléatoire puisque l’interlocuteur ne va pas forcément réagir de la manière attendue aux stimulus envoyé. Mais c’est en partie le projet, même si la logique n’apparait pas forcément tout de suite.
Ce comportement de compathie peut par ailleurs expliquer en partie des comportements apparemment aberrants comme la peur du féminin, la peur de l’amour d’un enfant….
Cette notion de compathie peut permettre par exemple de comprendre les comportements apparemment aberrants. On entend les commentateurs politiques manifester leur incompréhension face au comportement terroriste d’un jeune « apparemment bien sous tous rapports ». Qu’un homme qui a un métier, qui est allé à l’école, qui a une famille qui n’est pas dans la pauvreté, produise de tels actes n’a pas de sens ! Mais tous les actes humains ont un sens, pas forcément conscient, pas forcément rationnel. Son acte est un acte de compathie. Il a besoin que son environnement fasse l’expérience de sa propre souffrance mortifère.
Ce que nous ressentons de son acte est le même désespoir impuissant qu’il ressent face à la misère spirituelle dans laquelle il se débat au quotidien, malgré toutes ses ressources matérielles et intellectuelles. Ce qui n’a pas de sens compréhensible pour nous est un discours sur sa vie qui n’a pas non plus de sens compréhensible pour lui. il nous invite à ressentir son sentiment d’impuissance face à un monde sans sens. Son comportement de compathie nous invite à partager son expérience émotionnelle. Le comportement de ces terroristes atteint bien son objectif : il provoque chez chacun d’entre nous l’état dans lequel il se sent : désemparé, déboussolé, apeuré, ne sachant pas par quel bout prendre le problème, ne comprenant pas ce qui se passe.
La question de la compathie en regard de la sympathie demeure ouverte. On peut faire l’hypothèse suivante :
La sympathie et la compathie peuvent être vues comme des moyens de produire de l’empathie c’est-à-dire un accord des états de pensée et d’émotion. Dans une certaine mesure on peut supposer que l’empathie est la clé des processus d’influence. Il est plus aisé d’obtenir de l’autre un engagement quand on s’est synchronisé sur son modèle du monde et qu’on lui a montré qu’on le comprenait.
Pour Hannah Arendt, à propos de l’autorité et l’influence, ce qui caractérise essentiellement l’autorité c’est à l’exclusion de l’usage de la contrainte et de la persuasion, le présupposé de la reconnaissance et du respect le seul moyen d’obtenir un engagement volontaire et actif de l’autre. La première condition de l’autorité est le partage du sens. Ce qui s'applique très bien dans le domaine de l'éducation et des rapports professeur - étudiant.
Il ne peut pas y avoir d’alliance sans empathie. Ainsi on peut voir l’empathie comme un moyen d’avoir un effet sur l’autre et de l’influencer. On peut se demander si au fond l’empathie n’est pas en soi une stratégie dont l’intention finale est de conduire une relation d’influence qui pourra être durable parce qu’elle est respectueuse de l’autre.
Quelques éléments de bibliographie
Tisseron S. - Empathie et manipulations - Les pièges de la compassion
https://www.decitre.fr/ebooks/empathie-et-manipulations-9782226424013_9782226424013_10029.html
Maletto, M. - L’empathie : Pour mieux exercer son influence - Carrefour RH
https://carrefourrh.org/ressources/developpement-competences-releve/2019/04/empathie-pour-mieux-exercer-influence
Frédérique de Vignemont. Empathie miroir et empathie reconstructive
https://www.cairn.info/revue-philosophique-2008-3-page-337.htm
Lauzier JP Motivation et empathie. https://jeanpierrelauzier.com/bulletin_motivation_empathie/
de Vignemont F. L’empathie et ses effets
http://www.psychologie-positive.net/IMG/pdf/Empathie_et_ses_effets_definitif.pdf
Notes
(1) Empathie: De l'anglais empathy attesté en 1908 issu du grec ancien ἐμπάθεια , empátheia (« affection ») et calque de l'allemand Einfühlung, créé en 1858 par le philosophe allemand Rudolf Hermann Lotze (source wikipedia)
(2) Alors que l'empathie fonctionne comme un simple miroir des émotions d'autrui, la compassion implique un sentiment de bienveillance, avec la volonté d'aider la personne qui souffre. Lire : De l’empathie à la compassion https://www.unige.ch/lejournal/numeros/93/article1/article1bis/
(3) Harold Searles - L’effort pour rendre l’autre fou - 1977 - Éditeur : Pierre Fédida
https://www.decitre.fr/livres/l-effort-pour-rendre-l-autre-fou-9782070427635.html
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