Tous les États-Unis sont sous la suprématie anglophone... Tous ? Non ! Car un état du sud peuplé d'irréductibles Cajuns résiste encore et toujours à l'envahisseur !
« On ne lâchera pas la patate ! Laisse le bon temps rouler… »
Mmmm, ces deux expressions fleurent bon la Louisiane, car oui, il s’agit bien ici de français cajun ! Ne pas laisser tomber, ne pas lâcher prise, tout en prenant le temps de vivre, voilà qui résume tout à fait la mentalité de ces francophones sans peur et sans reproche de l’état dit « du Pélican ».
Ces irréductibles Américains se battent depuis des siècles pour la survie de la langue française ici, alors vous aussi, embarquez pour une promenade dans les bayous et découvrez pourquoi et comment les Cadiens font de la résistance !
Un peu d’histoire
L’histoire de la langue française sur le nouveau continent commence en 1682, au temps des grandes découvertes, quand Cavelier de la Salle, un explorateur français, atteint l’embouchure du Mississipi et prend possession de ce nouveau territoire : la Louysiane, en référence au roi Louis XIV.
Tout au long du siècle suivant, 7.000 Français viendront s’y installer et apprendront à cohabiter avec les autochtones Amérindiens, qui progressivement, adoptent eux aussi la langue française.
Au même moment en Acadie (aujourd’hui la province de la Nouvelle-Écosse, au Canada), en 1755, a lieu le Grand Dérangement. Chassés par les Anglais, les francophones Acadiens sont déportés en France, à St-Pierre et Miquelon, au Québec (alors, Nouvelle-France), en Nouvelle-Angleterre (côte est américaine, de Boston à Charleston), ou encore en Louisiane. Les Acadiens deviennent alors les Cajuns (déformation linguistique).
Les siècles suivants voient la Louisiane déchirée entre la colonisation espagnole (1762), la restitution secrète aux Français, puis la vente finale du territoire par Napoléon en 1803. En 1812, l’ancienne colonie française devient officiellement le 18eétat américain.
Le CODOFIL
En 1968, sous l’impulsion et le désir de conserver les valeurs linguistiques françaises, apparaît le CODOFIL (Council for the Development of French in Louisiana – Comité pour le développement du français en Louisiane).
Cet organisme d’État a pour objectif de « faire tout ce qui est en son pouvoir pour accomplir le développement, l’utilisation et la préservation de la langue française en Louisiane pour le bénéfice culturel, économique et touristique de l’état ». Et des actions, ça n’en manquera pas !
- En 1969, les écoles élémentaires de la Louisiane commencent à offrir 30 minutes d'enseignement en français par jour.
- En 1971, 22 des 64 paroisses de l’état changent de nom pour « Acadiane, le pays Cadien ». La même année est élu le premier gouverneur francophone du XXe siècle, Edwin Edwards.
- En 1974, la constitution de la Louisiane autorise la population à « favoriser » d’autres langues, du jamais vu depuis 1921 où seul l’anglais était reconnu.
- En 1977, Ulysse Ricard enseigne le premier cours de Français cadien au niveau universitaire à LSU (Louisiana State University).
- En 1990, le recensement déclare que 668.271 Acadiens/Cadiens habitent aux États-Unis (dont 61% en Louisiane). Il dit aussi qu’il y a 262.000 francophones en Louisiane, le plus grand nombre des États-Unis.
- Le CODOFIL est partenaire de 6 programmes de promotion de la langue française :
- Scholarships/Bourses :expérience d’immersion en français à ceux qui ont besoin d’améliorer leurs compétences en français et leur sensibilisation culturelle pour leur carrière actuelle ou future carrière en Louisiane.
- Escadrille Louisiane :pour les diplômés louisianais qui désirent devenir enseignant de français dans un programme d’immersion (niveau élémentaire) en Louisiane.
- Foreign Associate Teacher Program : environ 200 enseignants de langue maternelle française qui participe dans le programme en Louisiane. Ils sont originaires de France, du Québec, de la Belgique ou encore d’Afrique. À noter que ce recrutement se fait chaque année.
- French Immersion : Ressources pour ceux qui s’intéressent à créer un programme d’immersion française dans leur paroisse.
- Oui! FrancoResponsable : Recherche d’identification et de catalogage des entreprises louisianaises qui peuvent offrir des services en français.
- Radio Jeunesse : Projet multimédia qui fait partie du programme Radio Jeunesse des Amériques initié par le Centre de la francophonie des Amériques en 2012.
Le Bourdon de la Louisiane
« Ici on parle français. Asteur on commence la conversation. Jamais on ne lâchera la patate.» Tels sont les premiers mots qu’on peut trouver sur le site de ce journal en ligne, typiquement cajun. Son objectif? Sauver la langue française en Louisiane.
Le nom de « bourdon » est un clin d’œil à « l’Abeille de la Nouvelle-Orléans », un ancien journal de langue française qui a cessé d’exister en 1923. Le 11 novembre 2018, la résistance revit dans l’esprit de deux jeunes louisianais francophones, Sydney-Angelle Dupléchin-Boudreaux et Bennet Boyd Anderson III. À leur côté, une équipe dynamique et issue d’anciennes contrées concernées par le Grand Dérangement, telles que la France, la Caroline du Sud ou encore la Floride. Tous ont le même et unique but : défendre et protéger la langue française dans un territoire largement anglophone.
Ils insistent sur le fait que le français existe toujours - et non de nouveau - en Louisiane, car, contrairement à l’opinion populaire, le français n’y a jamais disparu.
Cette gazette offre des articles en français standard, mais aussi en français louisianais, sans oublier quelques-uns en kouri-vini, qui est le créole louisianais.
Petit coup de cœur sur certains articles comme Projet de loi pour imposer l’espagnol, véritable satire de l’époque de la colonisation espagnole où on peut voir que, décidément, la Louisiane a toujours été une terre de combat en matière de langues !
Depuis plus de 4 siècles ce petit bout de langue française résiste tant bien que mal à l’envahisseur anglais. Tour à tour française, espagnol, puis américaine, la Louisiane dispose d’un roche passé culturel, mais aussi linguistique, ce qui en fait un état à part.
La résistance est omniprésente et, il faut l’avouer, si cela n’est pas vraiment visible à la Nouvelle-Orléans même, il suffit de se glisser un peu plus à l’intérieur des terres (Lafayette, St-Francisville), voire du bayou, pour y retrouver des souvenirs de la langue française et de ses fiers défenseurs, toujours ravis de pouvoir échanger quelques mots en français avec nous.
Sources
Illustrations
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