Je ne l’ai jamais eu entre les mains et pourtant il a un parfum d’adolescence. Chaque été, fin juillet, après le festival des Vieilles Charrues, je me reconnecte et en me déconnectant du monde.
Vous le croirez ou pas, mais je rêve de nomadisme et de ce magnifique destrier qu’est le Combi Volkwagen T2. Je rêve de prendre la route en famille, de découvrir le monde, d’être nomade digital et la réalité vient (et le manque de budget aussi, un kiss kiss bank ?). Les vacances finissent et seuls mon téléphone et mon sac à dos représentent ce qu’il y a de plus mobile chez moi.
Mic from Reading - Berkshire, United Kingdom
Arrive Noël, au hasard des algorithmes, je me retrouve devant cette famille qui prend la route depuis 2016, puis un digital nomade (un vrai) me met en abîme de la réalité de son mode de vie au rêve estival du mien. Qui sont ces gens qui portent cette promesse de liberté ? Que nous disent-ils de notre aujourd’hui ?
Aller plus loin que les clichés….
Je vais être honnête avec vous. Je pars quand même de quelques clichés. Pour moi, les camions aménagés, c’est free-party, punk à chien et marginalité. Partir, c’est fuir ! J’avais oublié cette grande leçon de l’icône Canadiano-americano-bretonne : Jack Kerouac dans Sur la Route :
“Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents...tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l'humanité.
Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde y parviennent.”
Voyager est une expérience sensible qui participe au développement personnel de chacun. Kerouac nous rappelle à quel point voyager fait appel aux compétences douces, à la créativité et à faire face à l’altérité. Dans nos sociétés où les migrations sont pendulaires, nous ne voyons le voyage souvent que comme le séjour dans un ailleurs. Beaucoup de mes amis ont eu la chance d’étudier à Berlin, Londres ou Madrid. J’ai rêvé de l’Auberge espagnole de Klapisch et d’Erasmus. Les échanges forment des voyageurs, pas des nomades.
Le grand-tour et un peu d’histoire
Le Grand tour était une pratique aristocratique entre le XVIII et XIX siècle. Voyage éducatif et initiatique, il est destiné à parfaire l’éducation de ces enfants privilégiés une fois les études finies. Durant plusieurs années, cette étape nécessaire à toute bonne éducation pour des jeunes gens destinés à de hautes carrières a eu pour effet de mettre en contact la haute société de l'Europe du Nord avec l’Europe du Sud et l’Antiquité qu’elle soit romaine, grecque ou même perse.
Une pratique du voyage plus ancienne existait dans les sociétés européennes lors du compagnonnage. Accomplir son cursus, réussir son apprentissage ne pouvait s’envisager qu’uniquement sur place par le faire, par l’échange car apprendre ne se fait jamais sans l’autre. Finalement, à la question du voyage et de l’apprentissage s'ajoute celle du temps.
Le vlog comme roman d’apprentissage ?
Vlog, c’est vrai que le terme tombe peut-être comme un cheveu sur la soupe. C’est la contraction de Vidéo et blog entre journal intime et carnet de voyage. Serge Tisseron parlerait d’extimité, cette intimité qu’on laisse à voir, qu’on peut construire comme un storytelling. Dans Le Van se lève, le choix du nomadisme est un chemin mu par une conception du monde : la terre, la nature, bref l’écologie.
À l’image d’un roman d’apprentissage, le parcours professionnel, les rencontres animent le projet. Ils font grandir et permettent d’apprendre. Faire plus avec moins en étant respectueux de l’environnement et selon les principes de la lowtech, le néo-nomadisme apparaît tout autant comme un idéal de vie qu’un but à atteindre. La réussite est un long chemin d’essais, d’erreurs, d’amendements et de remédiation.
Voyager ne s’improvise pas
Loin d’être fait d’amour et d’eau fraîche, prendre la route se finance. Comme il est dit sur la chaîne Gregsways “budgétiser un mode de vie, c’est assez compliqué” d’autant qu’il s’agit pour l’auteur de voyager mais aussi de travailler. Cette chaîne incarne le vlog du digital nomade qui peut travailler partout mais pas dans n’importe quelles conditions.
Définir le sens de son projet, se fixer des objectifs personnels comme professionnels imposent le moyen de locomotion. J’ai appris un nouveau mot : le tip participatif. Le spectateur vous repère et vous soutient. Il s’agit moins d’un choix du coeur que de la raison.
Parfois, en visionnant la vidéo, je me suis même demandé si ce véhicule n’était pas un hybride entre espace de coworking et colocation éphémère. Je me suis surpris à me dire que ses objectifs ne sont pas si éloignés des réflexions que l’on peut avoir sur l’architecture scolaire. L’Homme façonne les lieux en fonction de ses besoins, en fonction des endroits physiques, personnels et professionnels qu’il souhaite atteindre.
Un mode de vie en recherche d’un modèle économique ?
Pour cette dernière chaîne, je ne mettrai pas le lien du vlog mais de la foire aux questions. Changer de mode de vie n’empêche pas de la gagner. Nous avons affaire à ce que l’on appelle des slashers qui multiplient les sources de revenus pour construire le revenu qui permet de continuer la route. On sort de la poésie pour cette nouvelle forme de travail qu’est le “digital nomadisme” : une chaîne youtube, placements de produit, conseils pour changer de mode de vie. C’est la pluralité des activités qui assure le quotidien.
L’enseignant qui produit, scénarise et partage ses propres vidéos tout en scénarisant ses séquences… se rend compte à quel point l’investissement est important. Il tente de créer du lien avec sa communauté et souhaite l’engager dans le projet. Les commentaires sur la chaîne du vidéaste nourrissent l’aventure. Elle est souvent si ce n’est participative, un aiguillon ou une boussole. Il y a de l’émotion, s’arrêter c’est provoquer les déceptions, ne pas écouter, c’est peut-être prêter le flan à la critique. Le voyage participatif peut galvauder l’idéal de l’aventurier. La passion devient un véritable travail.
Voyager est une expérience littéraire qui va au delà du storytelling, c’est une expérience avec, par et partager avec les autres. Les vlogs sont une richesse autobiographique dans la mesure, où ils nous partagent un ailleurs. La littérature répond de cela. Il y aurait de quoi s’interroger sur cette volonté de rupture chez certains, de leur représentation du système. Cela interroge sur la manière dont les citoyens vivent notre société.
Les démarches du voyage, du choix du véhicule et de la route à suivre ne sont pas éloignées de celle d’un enseignant. Il propose un chemin aux apprenants pour la réussite de leurs apprentissages. Pour ces néo nomades, c’est le chemin d’un nouveau mode de vie pour la réussite de celle-ci.
Sources
Sur la route, Jack Kerouac, Folio
https://www.decitre.fr/livres/sur-la-route-9782070367665.html
Le Van se lève, Vlog
https://www.youtube.com/channel/UCP1xuKbkCQAOzEQ3w7nD2gg
Gregsway, Vlog
https://www.youtube.com/watch?v=n9hQXY0bjNk
Le blog family Coste, La foire aux questions
http://www.familycoste.com/foire-aux-questions/
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