Sociologie de l’imprévu et tiers lieu

Qu'apprend-on de frais dans un tiers lieu?

Places blanches à occuper

« Les tiers-lieux, appelés aussi espaces de travail partagés et collaboratifs désignent des lieux de travail où la créativité peut naître entre différents acteurs, où la flexibilité répond aux difficultés économiques du champ entrepreneurial. » Coopérative des tiers lieux

Depuis quelques années le mot 1/3 lieux est devenu à la mode. C'est un mot valise dont l'évocation regroupe des espaces aussi divers que des living lab., maker space, hacker house, coworking, friches culturelles, éco lieu, jardins partagés, urbanisme temporaire etc. En voici quelques exemples qui illustrent la polysémie du terme :

Une friche la Belle de mai
Un squat Squat zad
Un quartier libre/potager Les lentilleres
Un lieu de vie culturel Double écluse
Un éco lieu La ferme de chenevre
Un hameau de sensibilisation à l’écologie Le Viel Audon,
Un laboratoire à idées et à pratiques Mille lieux
Un ancien hôpital Les grands voisins
Un espace de coworking
(Cf. liste des tiers lieux en France, carte des tiers lieux en France)

Le tiers lieu est suspecté d'être un "truc urbain" à usages multiples, mais force est de constater qu'il déborde partout où le besoin de liens se fait sentir. En effet ce qui caractérise ces espaces c'est l'envie de multifonctionnalité et d'ouvertures à d'autres en proximité. La vie qui nait sur ces lieux s’imposent à l’état qui cherchent à comprendre comment cela se produit.

Qu'est ce qui anime les tiers lieux ?

On a beau chercher il n'y a pas de modèle économique univoque pour ce type d'espace. À chaque fois des initiatives publiques, associatives et privées se mélangent pour offrir un assemblage de services. Ce type de lieu hybride des logiques jusqu'alors traitées de façon séparées comme apprendre, se cultiver, produire, se rencontrer, réseauter. Les tiers lieux rebattent les cartes de fonctions qu'on croyait bien établies. Les gestionnaires traditionnels de politiques publiques sont à la fois un peu perdus et en même temps pressentent le potentiel de ces E.N.I Espaces Non Identifiés.

C'est justement parce que leur vocation est fluctuante et varie au gré des grappes d'acteurs locaux que les projets les plus inattendus peuvent y naître. Ces lieux résistent à la commande. Les gouvernances s'inventent autour des intérêts et objets communs des partenaires. Des actions sont faites ensemble que personne isolément n'avait prévu. Par un effet de sérendipité les compétences réunies produisent ce qu'une école, un atelier, une médiathèque ou une association n'aurait su produire seule car chaque espace est tenu à rendre des comptes sur un service attendu et non sur de l'innovation.

Ces lieux sont vivants, ils créent l'envie de permaculture avec des bénéfices multiples : transfert d'idées de ressources d'envie rencontre, émergence de réseaux de projets de motivation. Ces lieux ou la convivialité et la commensalité joue un rôle habilitent l'accessibilité, la proximité, mais aussi une économie de la fonctionnalité. L’usage est au cœur il s'agit d'apprendre en faisant. Les tiers lieux sont perçus par certains comme une résurgence sous une autre forme de l'éducation populaire car ils participent de l'accompagnement de l'autonomisation et de l'empouvoirement (empowerment) d'une variété de public. Ils exploitent à fond les potentialités du numériques.

L'apport spécifique des tiers lieux

Des réflexions originales naissent à l'occasion de leur déploiement. Groupe de pratiques de gouvernance partagée, étude des pratiques sur l'effet du coworking, (rapport coworking 2018 Montreuil, coopératives des 1/3 lieux). L'effet ruche ou un cerveau commun fabrique des communs est le plus remarquable. En tant que lieu intermédiaire entre le domicile, le travail, les loisirs, une variété d'engagements sociaux se produisent dans ces lieux hybrides propices à instaurer du dialogue. Les tiers lieux sont avant tout des processus, un terreau de collectif de réseaux, cheminement, de communauté d’envie de développer son pouvoir d'agir localement.

Les parties prenantes des tiers lieux sont variables.

Il y a souvent les pouvoirs publics qui s'interrogent sur la cohésion urbaine, l'aménagement du territoire, la micro-industrialisation de la cité, la revitalisation d'un quartier et sa vie culturelle. Plutôt que de laisser pourrir un espace, pourquoi ne pas lui donner une fonction même temporaire ? Des médiateurs, des initiateurs, des présidents d'associations ont bien compris l'apport qu'ils pouvaient faire à des élus en proposant des projets à valeur ajoutée sociale, économique, culturelle. Les collectivités élus et techniciens des villes promeuvent, soutiennent ou régulent ce phénomène certaines structurent même des équipes spécialisées pour accompagner le maillage d'une ville et la rendre plus apprenante.

À côté du développement des commerces et des cœurs de ville une dynamique d'animation des tiers lieux s'organise. Cette dynamique est portée le plus souvent par des agents publics chargés du développement ou des médiateurs qui se sont professionnalisées. Les associations éducatives, culturelles, ESS, s'organisent en bouquet, se repèrent mutuellement. Des animateurs des lieux, des amis, des voisins participent du flux qui fréquentent le tiers lieu. Cette fréquentation est plus qu'un bruit de fond, c'est la musique, le frémissement sur lequel l'espace crée sa réputation. Des nouvelles fonctions apparaissent comme celles de tiers-veilleurs qui restent vigilants à la qualité de l’intelligence collective sur le lieu, des forgeurs numériques ou des managers de ces nouveaux espaces.

Le lien normal et imprévu

Le 1/3 lieu c'est un projet créé en commun. Il participe d'une sociologie de l'imprévu. Il pose la question du lien. Par sa nature, son implantation, il dispose d'une force d'inspiration. Le lieu rassure. L'âme du lieu fait sa force d'inspiration. Le lieu est un ancrage quand peu de choses font sens et ne cessent d’être zappées. Finalement le lieu est un prétexte pour créer du lien . Cela fait penser au réseau d’échange réciproque des savoirs (RERS), qui n’est pas un lieu mais un tissu de liens étroits basés sur le partage de connaissances. Ce mouvement est fascinant car il permet de passer du bien commun au commun, ce qui fait sens à un moment où le repli sur soi est une tentation.

Illustration : La friche