Des expressions telles que "d'un simple clic" ou "directement sur vos téléphones portables" laissent penser qu'il est aussi facile d'accéder à Internet que d'ouvrir une porte ou de prendre un bus. Mais ce n'est pas le cas pour tout le monde. Je pense bien sûr
ici aux personnes ayant des besoins spécifiques, et ce dans la très grande
diversité de ces besoins. Ainsi, pour faciliter l’accès du web aux personnes
handicapées, des directives
ont été édictées dès 1999 par W3C[1],
une communauté internationale de production de standards. Plus prosaïquement,
le net fourmille
d’idées pour rendre un site web accessible à tous. Le web a sa propre
dynamique mais, in fine, les solutions ergonomiques pour inclure les personnes aux
besoins spécifiques profitent à tous les usagers du web. En cela, la solidarité
sur le net est parfois bien réelle et reflète un peu l’esprit dans lequel s’est
développée la toile à ses débuts.
Mais au-delà des déclarations d’intention et des promesses
politiques ou pas, que se passe-t-il réellement sur le terrain ? Sans
penser au droit
universel au numérique haut débit récemment promulgué en Finlande[2],
quelles postures de bon sens adopter pour faciliter l’accessibilité à un plus
large public d’apprenants par exemple ? Passage en revue de quelques idées
simples mais concrètes.
Premier principe, il faut affirmer la nécessité de diversifier les dispositifs de formation, qu’ils
soient à distance ou non. Et y introduire la dose de fantaisie suffisante pour
en faire des espaces attractifs et donc accessibles. Dans un document
que relaie le portail éducatif marocain Tarbiya
(éducation en arabe), on apprendra à développer sa créativité au service de l'accessibilité.
Second principe, il faut disposer de suffisamment d’empathie
et d’un minimum de savoir-faire pour se mettre en scène dans la situation du
besoin spécifique et créer des outils à la fois performants et simples à
l’usage.
Illustration avec deux profils d’apprenants et un double
questionnement : comment rendre visible internet aux déficients visuels ?
Comment faire de la toile un espace de seconde chance pour les élèves en échec
scolaire ou déscolarisés ?
Rendre le contenu du
net plus visible
Pour rendre visible le net aux voyants comme aux mal
voyants, il y a un double impératif méthodologique et ergonomique.
Il faut d’abord savoir organiser les données de façon à faciliter l’accès à
l’information que l’on désire et uniquement à celle-ci. Une précaution qui vaut
pour tous les usagers.
Il faut ensuite mettre à la disposition des usagers à
besoins spécifiques, ici en l’occurrence les malvoyants, des dispositifs de
grossissement des caractères et des loupes
virtuelles qui leur permettront de naviguer avec le maximum de confort.
L’incrustation, chaque fois que cela est possible, de descriptions
orales facilite aussi l’accès des malvoyants au réseau. C’est une des
solutions parmi bien d’autres ressources
qu’offre le net. Tout cela en plus du nécessaire développement du braille sur la toile. Le braille dont
l’usage est facilité par la création d’assistants
numériques mobiles de déchiffrement de plus en plus performants.
Les exclus de l’école sont également à bien des égards aussi
des apprenants ayant des besoins spécifiques. L’une des voies de leur
réintégration passe par les nouvelles technologies de l'information. Mieux,
l’utilisation des TIC dans le cadre d’un projet pédagogique pertinent pourrait
anticiper les difficultés scolaires des enfants scolairement fragiles et les
remettre, comme le montre l’exemple ci-dessous, dans la cohorte des bons élèves
avant qu’il ne soit trop tard.
Reprendre le chemin
de l’école en passant par les TIC
Au Maroc, la généralisation de l’accès à l’école est un
objectif constant des ministres de l’éducation. Des progrès incontestables ont certes
été réalisés mais, en de nombreux lieux enclavés, la partie est loin d’être
gagnée. Les pouvoirs publics, efficacement secondés par les associations[3],
tentent de trouver la parade en créant les infrastructures et en multipliant
les mesures incitatives. On parle alors d’une éducation
pour l’inclusion afin de mieux signifier l’objectif de cette approche :
réduire la mise à l’écart du milieu scolaire des élèves démunis ou vivant dans
des régions éloignées. L’idée est de combattre en même temps l’exclusion
numérique pour faire du net un réservoir de seconde chance pour tous les exclus
de l’école.
La diversité disions-nous. Les systèmes informatiques
actuels sont conçus pour des usagers en pleine possession de leurs moyens
physiques et mentaux. Mais qu’en est-il des jeunes souffrant d’une déficience
qui les met en situation d’échec ou même d’abandon scolaire ? Les nouvelles
technologies éducatives peuvent-elles être d’un quelconque secours dans ces
cas-là ? La réponse est oui avec une illustration pas vraiment académique.
Retour sur une expérience de la préhistoire de l’ordinateur à l’école mais dont
les enseignements sont encore d’actualité.
Dans le cadre d’un programme expérimental d’intégration des
nouvelles technologies de l'information à l’école une recherche menée à Rabat,
au Maroc, a permis de mettre en évidence
l’apport de l’informatique dans la réintégration d’élèves en difficulté
scolaire. Deux écoles primaires ont été équipées d’ordinateurs à partir de 1982
et l’expérimentation s’est faite autour de Logo, un langage de
programmation alors très en vogue[4]
développé au Massachussetts Institut of Technology (MIT) par Seymour Papert en
collaboration avec le laboratoire de recherche pédagogique de Jean Piaget.
L’objectif initial était d’utiliser Logo pour apprendre la logique et le
raisonnement à des élèves du primaire mais ce but fut rapidement abandonné lorsque
les chercheurs se sont aperçus, observations à l’appui, que Logo apportait
beaucoup à la réinsertion et la remise à niveau des enfants en difficulté
scolaire. Des tests ont alors permis de montrer que Logo favorisait le repérage
spatial chez les enfants facilitant ainsi le déchiffrement des signes dans le
cadre des activités de lecture. Les enfants dyslexiques, nombreux dans une
société traditionnelle qui contrarie l’usage de la main gauche, sont ainsi
aidés lors du processus de latéralisation, un processus psychomoteur essentiel
à la maitrise de la lecture justement. Des scénarios pédagogiques ont été
élaborés suite aux résultats de cette étude pour faciliter la réinsertion des
élèves en échec scolaire.
Dans ce dossier de Thot Cursus, on découvrira des expérimentations menées en France et au Canada qui s'appuient elles aussi sur l'utilisation des TIC pour encourager la réinsertion scolaire et/ou sociale des jeunes en rupture.
On le voit à travers ces exemples, il n'est jamais vain d'explorer les chemins de traverse et
laisser voguer son imagination vers des approches parfois peu académiques mais
du coup toujours fécondes.
[1] Pour World Wide Web Consortium.
[2] Qui
demeure une utopie pour l’écrasante majorité des pays.
[3] Quand ce
n’est pas l’inverse !
[4] Il est
difficile d’imaginer aujourd’hui l’engouement que suscitait Logo auprès des
enseignants. Ce projet pédagogique très heuristique a suscité des expériences
innombrables, une floraison de clubs d’utilisateurs, des rapports et mémoires
très nombreux. L’occasion de revenir en détail sur l’expérience menée à Rabat,
au Maroc, au début des années quatre-vingt se présentera peut-être sur
Thot-Cursus…
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