Comment concevoir une histoire pour enfants ? Le genre est si inventif qu’on n’imagine pas qu’il y ait de recette pour le faire. C’est certain. Néanmoins, il y a quelques orientations, quelques pistes qui peuvent aider un apprenti écrivain, voire une classe qui tenterait l’expérience.
Des formations en ligne, des livres et des blogs proposent de découvrir ces règles, mais surtout son propre style. Parce qu’ils posent de nombreuses questions, ils stimulent aussi l’imagination des auteurs.

Définir son public, le genre
Une question d'âge
Définir son public est particulièrement important en littérature jeunesse. Les collections, les formats, les codes ne sont pas les mêmes à trois ans, à cinq ans ou à sept ! Il faut jouer finement pour rester dans la zone où le livre éveille l'attention, sans paraître trop facile ou inatteignable.
Le livre collectif Écrire et illustrer des livres pour enfants propose le tableau suivant, qu'il détaille :
- 0-3 ans : albums, livre-objets, livres animés - livres à toucher
- 3-5 ans : albums, abécédaires, documentaires, images
- 5-7 ans : découverte de la lecture, albums, textes illustrés
- 7 ans et plus : contes, histoires courtes, puis romans fictions, etc
Feuilleter les catalogues des maisons d'édition et fréquenter les bibliothèques vous donneront une vision plus concrète de ces différences. Mais l'âge ne nous dit pas tout du lecteur. Les conditions de lecture et de manipulation du livre importent tout autant !
Les conditions de lecture
Comment le livre sera-t-il lu ? Est-ce un adulte qui tournera les pages ou est-ce l'enfant ? Envisage-t-on une lecture collective ? La lecture sera-t-elle à haute voix, ou au contraire en silence ? Il est difficile de le prévoir mais imaginer un ouvrage dans ces différentes situations ne peut que stimuler l'imagination de l'auteur. Prenons les textes. Si c'est un adulte qui lit tandis que l'enfant observe les illustrations, les polices de caractère et la ligne d'écriture peuvent être créatives. Si c'est un enfant qui apprend à lire, il vaut mieux être très classique dans le choix du lettrage.
Quelle histoire ?
Les schémas narratifs sont les mêmes, qu'il s'agisse de romans, de séries télévisées ou de films. Ne pas les connaître peut coûter cher... Mais bien les connaître ne garantit pas le succès.
Une situation de démarrage, un événement déclencheur, des péripéties, un moment dramatique, une résolution et une nouvelle situation stable, avec un héros transformé... C'est un schéma classique. Un héros fuit quelque chose ou qui aspire à quelque chose et doit surmonter des difficultés pour atteindre son but. Ce sont des bases et la littérature jeunesse ne se prive pas de bousculer les schémas classiques et de prendre des libertés.
Le moment dramatique peut être une photo de classe, une lettre qui s'envole, la rencontre du chat par une souris perdue, voire une question, pour un grillon qui ne parvient pas à produire un seul son... Faire pousser un légume, gagner l'amitié d'un animal, obtenir l'attention d'un enfant quant on est une peluche relève de la quête, éviter une potion, se cacher d'un chat quand on est une souris ou ne pas passer au tableau relèvent de la fuite.
D. MacCannon, S. Thornton et Y Williams nous proposent une liste de thèmes régulièrement croisés dans la littérature enfantine : le courage, la perte, l'amitié, les changements, l'appartenance, etc. Les déclinaisons sont nombreuses. La perte peut être celle d'un jouet auquel on tient, ou d'une personne chère.
Des scénarios types
Jerichowriters se propose d'accompagner les écrivains, à travers des formations, une lettre électronique et un site internet. Le site propose sept scénarios types que l'on retrouve en littérature jeunesse.
Vaincre le monstre.
Jerichowriters nous prévient : la figure du monstre va bien au-delà des griffes et des cornes. Pour fonctionner, le monstre doit porter des valeurs négatives, comme la sorcière blanche dans le Monde de Narnia.
Partir, voyager et revenir.
Ces scénarios permettent au héros de traverser des paysages, de rencontrer d'autres personnages, de s'éprouver face à des difficultés et de se transformer et d'apprendre en cours de route.
Des haillons aux riches étoffes
Le personnage de Cendrillon connaît une ascension sociale au cours de l'histoire. Aladin, voleur débrouillard parvient à séduire une princesse... Cette transition peut consister en une entrée au collège, pour quelqu'un qui s'en croyait éloigné ou sortir de son univers très pauvre en gagnant un ticket pour visiter une chocolaterie (Charlie et la chocolaterie). Le vilain petit canard qui se révèle être un cygne est un autre classique du genre !
Une quête.
Le personnage cherche un objet, un lieu, un autre personnage.
La comédie
Dans ce cas, l'histoire multiplie les quiproquos, les maladresses, les rebondissements. Les personnages semblent pris dans un tourbillon et ne maîtrisent plus rien. Comme il s'agit d'enfants, on peut aller très loin à partir de situations anecdotiques. Les contenus de bagages se mélangent dans un aéroport et, comme ils appartiennent à des personnages très différents qui ne s'aperçoivent pas immédiatement de l'erreur, des situations cocasses apparaissent.
La tragédie,
Moins fréquente en littérature jeunesse, elle pousse les protagonistes vers un destin qui les rattrape d'autant plus sûrement qu'ils tentent de l'éviter.
Enfin, la renaissance se déroule comme une tragédie, mais bascule dans son dénouement vers une issue positive...
Les personnages
Les typologies
Comme pour un roman classique, on peut s'inspirer de typologies de caractères pour créer des personnages contrastés. On s'interroge sur son apparence physique, sur ses vêtements, sa façon de parler, son environnement familial et amical, etc.
Pour Jerichowriters il y a deux types de protagonistes. Des individus ordinaires qui sont plongés dans l'extraordinaire et qui finissent eux-mêmes par devenir extraordinaires. Dans Eragon, le protagoniste est un jeune homme plutôt banal, jusqu'au jour où il trouve un œuf...
D'autres personnages sont extraordinaires dès le début du livre. Ils pourraient faire advenir quelque chose d'intéressant dans une pièce vide...
L'arc : l'évolution d'un personnage au cours de l'histoire
L'arc d'un personnage se décrit en trois parties :
- Le profil du personnage au début du livre
- L'histoire dans laquelle il se plonge
- La manière dont il évolue et se transforme au cours de l'histoire.
La voix
Plus qu'un style, Jerichowriters nous encourage à trouver une voix qui captive. Utiliser des accents, jouer sur la longueur des phrases, la simplicité ou la rareté des mots sélectionnés,... Il s'agit d'écrire de manière à ce que l'on puisse attribuer le texte à l'un ou l'autre des personnages...
Graphiquement, le personnage peut être un animal, un objet, ou un être humain. Graphiquement, on peut s'inspirer de formes géométriques pour que sa silhouette soit facilement reconnaissable. Un exercice consiste à superposer trois formes géométriques (triangle, rectangle, ovale), et à jouer sur les tailles de ces formes. L'une sera grande, l'autre petite, la troisième moyenne. En griffonnant sur ces bases, on crée des personnages très contrastés.

Des formes géométriques
Pour que vos personnages soient identifiables, le plus simple est de les faire tenir dans une forme géométrique, ou dans deux ou trois formes simples : triangle, cercle et rectangle. Pour ne pas être ennuyeux, la taille des éléments peut varier. Idéalement, et pour créer du rythme, un élément sera grand, un autre petit, et le troisième moyen.

Illustrer
La foire aux médias
La littérature jeunesse est un espace infini de tests graphiques. Pastel, peintures, crayon de couleur, stylo à bille, papiers découpés. Aucun média n'est refusé !
Consulter régulièrement les sites et les comptes Instagram d'illustrateurs peut aider à envisager d'autres découpages, d'autres palettes et d'autres outils.
Et pour stimuler la créativité, regardez des illustrations issues de contextes différents. En particulier, les gravures anciennes, les affiches, les dessins scientifiques ou les enluminures pourront bousculer vos automatismes. Un petit tour sur le site bibliodissey aura tôt fait de secouer vos références.
La palette
Une cohérence des couleurs est aussi essentielle pour des livres qui sont feuilletés des dizaines de fois. Le site au titre explicite "Make art that sell", destiné aux auteurs de littérature jeunesse propose une activité intéressante à travers son cours en ligne :
- sélectionner toute une série d'objets colorés chez soi;
- les organiser dans un espace, et faire une composition;
- puis sélectionner deux objets de couleur vive, et trois de couleur moins saturée, l'un plus clair, l'autre neutre, et le troisième plus foncé;
- transformer en palette restreinte cette sélection de 5 objets.
Les résultats de cette formation destinée à des professionnels sont impressionnants et apportent un peu de fraicheur aux coloramas proposés quasi-automatiquement à partir de cercles chromatiques.
S'évader, lire et regarder, s'éloigner de ce qui nous plait spontanément, s'inspirer d'autres arts, comme la chanson, car beaucoup de livres pour jeunes enfants ont des refrains, puis produire, sélectionner, retirer les mots et les phrases inutiles, travailler encore et encore la musicalité, l'équilibre des illustrations, les traits, les couleurs. Respecter des codes, mais les chahuter aussi parfois... La littérature jeunesse oblige à un travail d'équilibriste !
Ressources
Desdemona Mc Cannon, Sue Thornton, Yadzia Williams Écrire et illustrer des livres pour enfants
Quelques comptes Instagram
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