« La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi ! ».
Albert Einstein (1879-1955), ce brillant scientifique allemand, père de la théorie de la relativité, ne pensait pas si bien dire !
En ce qui concerne les langues, cette citation scientifique est également applicable puisque ce n’est pas parce qu’une langue est officielle dans un pays que c’est forcément cette même langue qui sera parlée le plus. De la théorie à la pratique, on dit souvent qu’il n’y a qu’un pas, mais pourtant ce n’est pas toujours vrai ! Rendez-vous en Laponie où les Samis, une communauté autochtone ancestrale, résiste encore et toujours à l’envahisseur…

Du côté des Samis
Si je vous dis la Laponie, peut-être penserez-vous à Rovaniemi, la ville du Père-Noël, mais surtout, vous penserez aux grandes étendues vides, glacées et enneigées de cette région la plus septentrionale de la Finlande. C’est là que vivent les Samis, un peuple autochtone d’environ 80.000 personnes, réparties entre la Norvège, la Suède, la Finlande, la Russie et l’Ukraine.
Si les premières traces humaines dans cette région datent de 11.000 avant J.-C., les premières vraies découvertes relatives au peuple Sami remonteraient à 300-400. Au XVIIe siècle, la Suède, la Norvège et la Finlande ont commencé leur processus d’évangélisation des Samis et, bien qu’ils aient respecté les langues sames, d’origine finno-ougiriennes, la conversion s’est faite progressivement. En Finlande, les Samis ont même été soumis à une politique d’assimilation jusque dans les années 80, ce qui signifie que ceux-ci devaient parler -théoriquement- le finlandais, et ce, au détriment de leur langue autochtone.
Or, depuis quelques années un regain de fierté a fait son apparition au sein des communautés Samis et leur a permis de revaloriser, par la même occasion, leur langue. Dorénavant, même si le finnois reste la langue officielle, les Samis ont le droit de revendiquer leur identité culturelle par le biais d’écoles spéciales, appelées « nids linguistiques » (en référence à la proximité des Sames avec la nature) aptes à transmettre les langues sames. Comme le souligne Liisa Holmberg, présidente de l’Université de Laponie et ancienne rectrice du Sami Education Institute :
« Les Sámis ont été colonisés en Finlande. Dans les années 1960-1970, les langues sames n’étaient pas enseignées à l’école, alors que le langage est le véhicule de notre identité. Ne pas connaître sa langue maternelle est un lourd fardeau. C’était le résultat d’une politique d’assimilation, certes, mais pas seulement. On avait fini par l’intérioriser, c’était un problème structurel. »
Pour elle, tout n’était qu’une question de politique :
« Quand j’ai voulu que les langues sames soient enseignées dans les écoles, on me disait qu’on n’avait pas d’argent. Je répondais : "Mais si, on en a. Et on n’a besoin que d’une petite somme pour ces cours, 200 000 euros". Alors, j'entendais : "On n’a pas non plus de professeurs". Et moi, je répondais : "Il nous suffit de cinq professeurs pour commencer". Ça a fini par marcher. C’est juste une question de volonté politique. »
Samis, envers et contre tous
En 1991, un véritable tournant a lieu pour l’autonomisation des Samis avec l’établissement du Language Act, qui accorde aux Sámis le droit d’utiliser leurs langues pour tous les services gouvernementaux. Quatre ans plus tard, en 1995, leur statut juridique autonome (en matière de langue et de culture) est officiellement inscrit dans la Constitution finlandaise.
En 2003, c’est la cerise sur le gâteau : le same devient une langue officielle dans quatre municipalités de Laponie ! En 2019, ils ont leur propre délégation au Conseil de l’Arctique, rassemblant les états du Grand Nord et sont même invités aux rencontres avec les ministres des Affaires étrangères russes ou norvégiens et tout cela, sur un parfait pied d’égalité. Liisa Holmberg ne peut que se réjouir de ce bouleversement linguistique et culturel : « En plus des institutions et des cours de langues, notre culture a fini par rejoindre la culture mainstream (la culture dominante). Vous pouvez regarder la télévision samie, des films en same, lire des médias samis et écouter de la musique same. On a même des rappeurs ! »
Enfin, le chercheur Timo Koivurova, au Centre arctique de l’Université de Laponie, tient encore à souligner une autre différence en ce qui concerne le niveau éducatif des Samis, par rapport aux autres peuples autochtones : « Les autres peuples indigènes de l’Arctique ont, pour la plupart, un niveau d’éducation assez bas. À l’inverse, la plupart des Sámis ont un haut niveau d’éducation, ont fait des études universitaires, de la recherche… ».
Et demain ?
Peut-on dire que les Samis et les langues sames sont sauvées pour autant ? Sans doute pas.
Timo Koivurova précise ses incertitudes : « 70 % des enfants samis de moins de 10 ans vivent hors des régions samies, où le Sami Language Act est en vigueur. Comment vont-ils apprendre la langue ? ».
D’autant plus que les grandes villes, en particulier Helsinki, la capitale de la Finlande, qui offre de nombreuses opportunités professionnelles, bien loin des traditionnels élevages de rennes propres au peuple Sami… Alors, tradition ou modernité ? Théorie ou pratique ? Seules les nouvelles générations nous le diront…
Sources et illustrations
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