Comment coordonner le monde, unifier les peuples ? Selon Émile Benveniste (1902-1976), linguiste français,
« Le langage reproduit le monde, mais en le soumettant à son organisation propre. »
En ce sens, le langage n’est-il que le miroir de la société, tout en la contrôlant pleinement ? Peut-on, par un langage unique, unifié, organiser et coordonner la Terre entière ? Présentation du système de Bliss, ou le rêve d’un système de communication international.
État des lieux
En 2020, on estime qu’il existe entre 3.000 et 7.000 langues vivantes parlées dans le monde entier. On parle « d’estimation », car il est impossible de donner un chiffre exact, la frontière entre les langues et dialectes étant très mince quelques fois.
Toutefois, l’ONU (Organisation des Nations Unies) reconnaît 141 langues officielles. Dans le palmarès des langues les plus parlées au monde, le chinois (mandarin) tient la plus haute marche du podium avec plus d’un milliard de locuteurs natifs, suivi par l’espagnol (460 millions de locuteurs natifs), puis par l’anglais, qui n’arrive qu’en troisième place, avec 81 millions de locuteurs natifs de moins que son prédécesseur.
L’idée d’une langue unique
L’idée de langue unique n’est pas nouvelle. L’esperanto, créée en 1887 par le Polonais Ludwik Lejzer Zamenhof, mieux connu sous le nom de Doktoro Esperanto (le docteur qui espère) avait eu le même dessein : celui de construire une langue qui serait comprise et parlée à travers le monde entier.
En 2015, on l’estime à environ 2 millions de locuteurs dans 150 pays du monde et on constate même un certain regain d’intérêt à son égard, ne serait-ce que par la possibilité de l’apprendre par l’application de langue gratuite Duolingo.
Le système de Bliss
En 1942, soit une cinquantaine d’années après le docteur Esperanto, un autre scientifique, l’autrichien Karl Kasiel Blitz (1897-1985) a lui aussi l’idée de coordonner le monde des langues en développant une langue symbolique internationale.
Cette langue idéographique, c’est-à-dire basée sur des idéogrammes (ou logogrammes), où chaque symbole graphique représente un mot ou une idée, a été tout d’abord utilisée en 1971 au Canada, plus précisément en Ontario, dans des programmes visant à faciliter la communication des enfants en situation de handicap physique.
Ce n’est que par la suite que l’auteur envisagera une perspective plus internationale à son concept novateur. De nos jours, le système de Bliss est encore largement pratiqué dans des hôpitaux en Amérique du Nord afin de communiquer avec des personnes souffrant de mutisme, paralysie ou paraplégie et se présente sous la forme d’une tablette, placée juste devant la personne, qui peut alors construire des phrases en associant des symboles.
Et si vous pensez soudainement au grand physicien britannique Stephen Hawking (1942-2018), paralysé sur sa chaise pendant près de 60 ans, ce n’est pas exactement le même système de communication que celui de Bliss, mais il s’en rapproche. Pour information, le sien avait été spécialement développé par l’entreprise Intel et était une innovation technologique unique et personnalisée.
Comment ça fonctionne ?
Appelée BCI, pour Blissymbolics Communication International, cette
langue comporte environ 2.300 symboles, son propre vocabulaire, sa
propre
grammaire et sa propre syntaxe.
En ce sens, on trouve de
nombreuses similitudes avec la langue des signes, qui opère à peu près
avec le même mécanisme.
Le fait que le système de Bliss utilise des
pictogrammes simples, composés de lignes droites, de points, de cercles,
de demi-cercles, d’ondulations, de cœurs… rend son informatisation
aisée et facile à manipuler.

Dans le cas des verbes, comme vous pouvez le voir sur l’image, l’accent
circonflexe situé sur le symbole permet de déterminer la marque
grammaticale du symbole : verbe, nom, adjectif ou préciser son champ
lexical. Là encore, ce système s’en rapproche d’un autre, bien plus ancien, celui des hiéroglyphes égyptiens
Le jeu de combinaisons ne s’arrête pas là. En effet, chaque symbole dit
primaire peut se combiner avec un symbole dit secondaire, ce nouveau
symbole devient alors autonome, avec sa signification propre.
Par exemple, le symbole «arbre» + le symbole «fleur» donnent le symbole
«parc». De même, les symboles «personnes» et «toit» donnent le symbole «
famille», ou encore les symboles «bouche» et «oreille» donnent le symbole
«langage». Très logique !
Mais si vous vous demandez à quoi ressemble une phrase complète écrite en symboles de Bliss, en voici un exemple, cela signifie : s’ils veulent la guerre, alors ils l’auront ! Certes, ce n’est pas le plus encourageant ni le plus drôle, mais il a le privilège de montrer toute une construction syntaxe au grand complet !

Finalement, on peut dire que le docteur Bliss, en créant un système linguistique, n’a pas cherché à contrôler le monde, mais plutôt à essayer de rendre leur voix à ceux qui l’avaient perdue.
Tout comme son prédécesseur, le docteur Esperanto, il caressait le rêve d’unifier les peuples du monde sous un même système linguistique et si son dessein n’a pu se réaliser, il pourrait toutefois se réjouir de savoir que celui-ci a permis aux handicapés de pouvoir communiquer de nouveau.
Illustrations et sources
- Règles fondamentales - https://www.blissymbolics.org/images/bliss-fundamental-rules-2020-06-16.pdf
- Symboles basiques, Arno Hollosi / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0) - Verbes, Arno Hollosi / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0) - Classe grammaticale, Arno Hollosi / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0) - Phrase complete, Karl Kasiel Blitz / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)
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