Attention
Internet est accusé de produire une épidémie du trouble de l'attention, nous ne parviendrions plus à nous concentrer plus de quelques dizaines de minutes tellement notre cerveau subirait une déformation plastique de nos réseaux neuronaux.Nous n'aurions pas la capacité de décider par nous mêmes.
En français deux expressions coexistent et sont parfois utilisées l'une à la place de l'autre, alors qu'elles ont un sens différent par exemple dans l'écriture de courrier :
- À l'attention de signifie " à l'adresse ?une personne "
- À l'intention de signifie "en son honneur "
Ces expressions épistolaires brouillent la signification de deux processus mentaux indispensables pour apprendre. Elles laissent croire à une équivalence alors qu'il y a des différences notables. En effet il s'agit de deux activités mentales différentes. L'attention décrit la disponibilité mentale pour une activité donnée, alors que l'intention évoque la tension et l'énergie en direction d’un but à atteindre.
Qu'est-ce que l'attention ?
L'attention est la concentration de l'activité mentale sur un objet. Elle est liée à trois composantes que sont le contrôle, l'intensité et la sélectivité, d'après le modèle théorique le plus utilisé dans la pratique clinique qu'est celui de van Zomeren & Brouwer (1994).
Pour appréhender la définition il est important de comprendre que la concentration est le fait de mobiliser ses facultés mentales et physiques sur un sujet et une action.
L'irruption des écrans et le déferlement de multimédia a mis sur le devant de la scène la nécessaire attention, certains vendeurs de publicité télévisées ont théorisé que ce que leur achetait leurs clients c'était du "temps de cerveau disponible". Des auteurs comme Citton (2014) ont montré tout l'enjeu du capitalisme attentionnel et les mécanismes de captation de celui-ci au service de produits à valoriser.
En matière éducative les enseignants ont constaté l'érosion d’un état stable des cerveaux et des lacunes croissantes en matière de concentration avec des temps de plus en plus réduits faisant peser une menace sur l'apprentissage. La consultation intempestive des téléphones portables progresserait et détériorerait la qualité des relations sociales. Le scénario de temps raccourcis d'attention et d'interruption multiples se dessine.
Le diagnostic d’un déficit d'attention tombe. Trop d'écrans, trop d'auto interruptions et de fenêtres surgissantes nuisent à un effort cognitif continu. Tout se passe comme si l'usage de la ressource attentionnelle échappait à la volonté des individus, et qu'ils étaient réduits à être influencés par des experts du marketing ou du nudge. Ces manipulateurs utiliseraient tous les biais cognitif pour influencer nos comportements dans le sens de leur intérêt.
Il est possible de poser une autre hypothèse, et si notre cerveau acceptait d'être grugé parce que les activités qui nous sont proposées ou dans lesquelles nous nous engageons pour nous distraire, nous déplacer, consommer sont peu signifiantes ? Nous préférons nous évader d'un événement dénué de sens que stagner dans une situation sans intérêt. Nous choisissons sciemment de céder car le réel nous ennuie ou nous est pénible.
Qu'est-ce que l'Intention ?
L'intention peut se définir comme l'idée, la volonté de faire quelque chose, mais sans que la réalisation en soit assurée (Wikipédia)
C'est une projection qui met parfois en route l'individu sur un chemin d'apprentissage. L'intention est un préalable à l'auto direction des apprentissages. Les neurosciences montrent des circuits neuronaux spécifiques relatifs aux mouvements des mains ou des yeux. À l'aide de scanners, les chercheurs sont capables d'identifier les aires sensori-motrices et de tracer le déclenchement d’actions. Et si l'intention d'apprendre se nichait dans le mouvement et la rencontre des yeux et des mains ? Mais qu'est ce qui fait bouger nos mains et nos yeux?
De l'attention à l'intention de soi
Notre appareil perceptif alimente nos processus mentaux mais ne les subsume pas. L'orientation de nos organes de sens est influencée par les conditions sociales où ils s'exercent. Le milieu dans lequel opèrent ces sens est à la fois une construction issue de nos croyances, de nos biais cognitifs, des pressions du contexte sur des significations qui nous préexistent. Mais, dans la mesure où nos sociétés sont devenues individualistes, repose alors sur chacun de nous l'enjeu de se construire son propre sens, comme la responsabilité de construire sa propre vie.
Puisque la croyance dans des sens proposés par la politique, la religion, la famille s'émiette, il s'agit de construire ses repères, son Ikigai, de tracer son chemin, d'apprendre à s'orienter. Ce qui est du registre perceptif est connoté par des valeurs sociales qui nous rendent visibles certains aspects du réel et en place d'autres en arrière-plan, comme dans la composition d’un paysage ou le déchiffrement d'une image trompe l'œil. Nos identités sont des croyances stables sur nous-mêmes que nos actes et nos perceptions vont venir renforcer. Nous apprenons à percevoir et à croire ce qui maintient un minimum de stabilité à ce que nous croyons être.
Mais, les modèles identitaires se sont à tel point diversifiés que le sociologue Kaufman (2004) évoque des identités porte-manteaux, c'est à dire que nous changeons d'identité comme de vêtements à l'occasion des circonstances. Un peu écolo pour acheter un panier bio mais hors de question à renoncer à prendre l'avion pour partir 3 jours en week-end et consommer du kérosène.
Une infinité de possibles s'offre à chacun de nous et d'aucuns empruntent les atours d'identités toutes faites, du consommateur, du féministe, de l'écologiste semblant ainsi augmenter le sens et l'intensité du soi mais sans toujours l'effort de se chercher et de se construire.
En éducation et formation l'enjeu est de passer de la domestication du "processus mental attention" à l'exploration du "processus mental intention". Elle nous conduit à sortir de l'idée de concevoir un environnement pour faire apprendre et donc la nécessité de ruser et d'être habile pour capter l'attention, par exemple avec des nudges (mise à profit des biais cognitifs).
Elle nous invite à nous intéresser à la construction identitaire et à la façon dont le sens prend forme à l'occasion de la construction de son milieu d'apprentissage. La question centrale est quel est le sens d’un apprentissage pour l'individu. S’il trouve du sens ne saura-t-il pas mobiliser toute son attention ?
Sources
Le monde Jean-Philippe La chaux un chercheur concentré sur l'attention
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/10/17/jean-philippe-lachaux-un-chercheur-concentre-sur-l-attention_6056435_1650684.html
Mellet-d'Huart, D. (2004). De l'intention à l'attention: contributions à une démarche de conception d'environnements virtuels pour apprendre à partir d'un modèle de l'(én) action (Doctoral dissertation, Le Mans)
Wikipédia- intention https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Intention
Welcome to the jungle Ikigai https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/methode-ikigai-trouver-job
Lau, H. C., Rogers, R. D., Haggard, P., & Passingham, R. E. (2004). Attention to intention. science, 303(5661), 1208-1210.
Wikipédia - attention https://fr.wikipedia.org/wiki/Attention
Wikipédia - concentration https://fr.wikipedia.org/wiki/Concentration
Citton, Y. (Ed.). (2014). L'économie de l'attention: nouvel horizon du capitalisme?. La Découverte.
https://www.decitre.fr/livres/l-economie-de-l-attention-9782707178701.html
Kaufmann, J. C. (2004). L'invention de soi: une théorie de l'identité. Armand Colin.
https://www.decitre.fr/ebooks/l-invention-de-soi-une-theorie-de-l-identite-9782200256265_9782200256265_9.html
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