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Publié le 30 mars 2022 Mis à jour le 04 avril 2022

Traumas complexes et chroniques [Thèse]

Approche intégrative en psychothérapie EMDR des troubles dissociatifs des adultes

« Tant qu’il y a de la vie, tout traumatisme est guérissable. »

« La plasticité cérébrale permettant de remanier les réseaux neuronaux est aujourd’hui reconnue infinie. »

Au moment de commencer la rédaction de cette chronique, une musique s’est mise en route toute seule sur l’ordinateur : Amma, Love is the answer, l’amour est la réponse. Un étonnant message pour une thèse qui concerne la manière d’aborder et de transformer les traumas complexes et chroniques, dont une des composantes concerne la dimension du lien et de l’attachement.

Comment aboutir ?

Déjà que cette thèse d’Hélène Dellucci était remontée dans la recherche avec le mot-clé « aboutir ».

Comment aboutir en effet à refonder son existence quand on a vécu des traumatismes ? Traumatisme. Un grand mot qui amène vite à l’esprit des représentations de choc brutal, d’effraction, de blessure comme son étymologie nous y invite : τραυματισμο, traumatisme, action de blesser.

Mais ce mot concerne aussi des situations de personnes qui ont vécu plus ou moins précocement des liens désorganisés intra-familiaux, des maltraitances, des mémoires transgénérationnelles ou d’autres situations vécues par elles, parfois oubliées, qu’elles n’ont pas été en capacité d’intégrer et qui agissent toujours dans les soubassements de leur vie.

Mettre à distance

Pour continuer de fonctionner au quotidien dans une modalité de survie, les personnes en situation traumatique mettent de côté une partie d’elles à forte charge émotionnelle, ce qu’elles ne peuvent intégrer pour en retirer un apprentissage.

Ce n’est pas volontaire, c’est comme une manière de protéger un précieux trésor qu’elles sauront retrouver quand l’environnement sera stabilisé et accueillant, et éventuellement après une thérapie.

Ce processus de dissociation est une mise à distance d’une partie de soi hors de sa conscience. Une dissociation de conscience n’est pas nécessairement une dissociation de personnalité. Ce n’est donc pas une psychose.

Les procédés dissociatifs peuvent être plus facilement reconnus au sein de certains contextes institutionnels d’aide à l’enfance, aux adolescents, de centres d’addictologie, de discriminations systémiques, dans les histoires de nos pays colons ou colonisés.

Derrière le paravent

Ils peuvent être repérés aussi bien que rendus invisibles par des personnes qui auront appris à donner le change et qui, faisant de leur mieux avec les ressources dont ils disposent, « restent souvent dans la solitude de constater qu’ils ne fonctionnent pas comme autrui, tout en ne pouvant rien faire pour y remédier ».

Ce sont des personnes qui ont par exemple plus besoin de récupérer entre des événements émotionnellement prenants. Ça peut simplement être un moment de détente entre amis, quand le traumatisme concerne l’établissement des relations et du lien.

Leur « fenêtre de tolérance » est plus fine :

« Plus notre fenêtre de tolérance est grande, plus nous sommes en mesure de ressentir des émotions fortes sans passer par des réactions de survie pour autant. »

« Lors d’une période de crise, si nous sommes en souffrance, nous pouvons imaginer que la fenêtre de tolérance se réduit, diminuant ainsi considérablement nos capacités d’être en lien, de faire face à des stimuli émotionnels. Nos capacités d’apprentissage et d’intégration sont freinées au profit de réactions que nous appellerons réactions de survie. »

Cela a des conséquences sur la manière d’être scolarisé, de réseauter, de construire une vie familiale. L’énergie pour se mettre dans un lien basique est alors plus importante que pour la plupart des gens. Les personnes dont le traumatisme est complexe ont une « sensibilité exacerbée pour les messages incohérents et la prise de pouvoir » et y réagissent « soit en faisant confiance soit en se retirant immédiatement ».

Sans parler de ces situations répétées, tant que le traumatisme est réactivé, les méthodes de survie sont en place. Et ces personnes peuvent devenir tellement expertes de la survie qu’elles n’imagineront pas qu’il puisse exister d’autres modalités d’existence. Ça se joue à un niveau en deçà de la conscience.

Pourquoi lire cette thèse ?

Pour les personnes dont le métier est la relation, même sans être thérapeute, il est intéressant de lire cette thèse, qui permet de replacer ensemble la psychotraumatologie et de discuter dans le fond des méthodes les plus efficientes pour l’aborder et la guérir : ici l’EMDR (Eye Movement Desensitization & Reprocessing) recentrée dans une modalité intégrative de la dimension compétence (modèle de Bruges).

Attention cependant pour les personnes concernées à être attentives à leurs propres réponses émotionnelles. Et donc, si on est trop directement concerné, prendre soin d’avoir ou d’avoir eu un accompagnement thérapeutique approprié. Vous pourrez retrouver en lisant la thèse votre propre vignette clinique ou une clinique approchante. C’est aussi riche d’enseignements.

La stabilité par le corps

Ça nous amène à parler de la stabilisation essentielle et première pour toute intervention dans une clinique du psychotraumatisme. La chercheuse a été infirmière en traumatologie, en soins intensifs. Dès lors elle a pu observer que les réponses corporelles peuvent être très différentes du discours. La centration sur le corps est restée dans sa pratique de psychologue :

« Si le corps peut s’apaiser alors nous sommes en bonne voie. »

Il s’agit d’abord de stabiliser les patients complexes à dimension traumatique, en mettant en place une sécurisation et un ancrage par le corps : par des exercices respiratoires, des scans corporels, des ancrages. En étant soi-même dans une modalité corporelle calme et réceptive (neurones miroirs).

Cela donne en premier lieu un sentiment de sécurité, propice au travail, et cela permet d’affiner sa conscience corporelle et de l’apaiser. Et puis il s’agit de construire un lien d’attachement et de restaurer la capacité d’espérer et d’avoir des perspectives d’avenir.

Le modèle de Bruges

Un des modèles qui fondent la pratique thérapeutique de la chercheuse est le modèle de Bruges. Celui-ci valorise les compétences plutôt qu’une approche par la dimension du problème :

« Les survivants de traumatisations complexes et chroniques ont déjà fait l’essentiel pour rester en vie. Au delà de la survie, ils nous sollicitent pour passer à une autre dimension. »

Ce modèle propose trois questions fondamentales, qui guident le chemin thérapeutique :

  1. Existe-il une demande d’aide travaillable ?
  2. Le patient est-il prêt à se mettre au travail ?
  3. Le patient est-il conscient de ses ressources ?

Un voyage thérapeutique en pleine nuit

Il est utile de lire toute la thèse pour savoir comment, dans nos propres pratiques d’enseignant·es, de sophrologues, de formateurs, de thérapeutes, les méthodes et les outils font écho avec nos propres manières de faire.

Comment par exemple la méthode de Bruges permet d’établir une alliance thérapeutique qui mobilise le patient dans un lien d’expertise de sa propre histoire et de collaboration.

Ce travail explore à plusieurs endroits et sous plusieurs éclairages la nécessité pour le thérapeute de travailler sa propre pratique dans le cadre d’une supervision ou d’une intervision. Elle est ponctuée d’articles et de vignettes cliniques qui illustrent aussi bien les écueils que les solutions trouvées.

Pour mesurer l’engagement tant dans la maîtrise de la pratique que la navigation dans l’inconnu, l’autrice cite une patiente, Julie :

« Un tel voyage thérapeutique, ce serait comme accepter de naviguer en pleine mer de nuit, sans aucune visibilité, sans carte préétablie et être en capacité d’appréhender les obstacles qui surgissent devant soi au moment de leur irruption, être capable de dessiner une carte au fil du voyage, d’accepter de se sentir perdu sans perdre l’espoir, de tenir le cap envisagé tout en acceptant de modifier sa route et sa façon de naviguer au fur et à mesure, en fonction de ce qui advient, d’ajuster sa vitesse aux aléas rencontrés. »

Trouver des îles dans la mer

La thèse décrit comment la présence de patients relevant de la psychotraumatologie complexe et chronique a permis de créer des outils et d’adapter des méthodes, dont l’EMDR, une pratique déjà reconnue pour le traitement des traumatismes – Eye Movement Desensitization and Reprocessing, désensibilisation et reprogrammation par mouvements oculaires.

On lira avec intérêt que la méthode a été découverte « par hasard » par Francine Shapiro en 1987, alors qu’elle se promenait dans un parc. Elle a remarqué que des pensées négatives intrusives avaient perdu de leur force alors que ses yeux se déplaçaient d’une certaine manière pour explorer le paysage. Un peu comme si nous pouvions nous guérir en prenant le train...

« Comment ai-je fait cela ? » a été le point d’ancrage de sa recherche scientifique pour comprendre, structurer et développer la méthode dont « le postulat se fonde sur les méthodes d’autoguérison de l’organisme ».

Revisiter l’EMDR et l'adapter

Le protocole a été pratiqué puis réaménagé dans une optique d’adaptation aux patients chroniques et aux traumas transgénérationnels.

Le réaménagement a porté sur:

  • Les techniques d’oscillation : pour construire une attention double aux traumas et aux solutions actuelles.
  • Le protocole inversé : pour remonter du futur et présent au passé, l’ordre des traumatismes étant inversé pour stabiliser le patient.
  • Le travail sur les réseaux émotionnels des empreintes précoces (période préverbale, avant 3 ans).

Le réaménagement a aussi intégré un travail à partir de l’écriture de lettres, proposé par une patiente créative qui n’avait pas les ressources financières pour dérouler toute la méthode dans une modalité plus longue.

Le modèle intégratif d’intervention en EMDR

La chercheuse a proposé enfin un modèle bi-axial d’intervention en EMDR, avec un axe émotionnel et un axe sur le lien. Ce modèle permet d’adapter le degré d’exposition à ce que la personne est en mesure d’aborder.

Aboutir…

« le but de la thérapie pourrait être la restauration des capacités d’intégration »

L'axe émotionnel, avec la boîte de vitesses :

  • Vitesse 0 : la stabilisation.
  • Vitesse 1 : la désensibilisation des peurs irrationnelles du futur, des scénarios catastrophe.
  • Vitesse 2 : la remise à zéro des émotions et des sensations physiques.
  • Vitesse 3 : le retraitement des empreintes précoces.
  • Vitesse 4 : la désensibilisation et le retraitement des déclencheurs du présent. En supplément : la lettre.
  • Vitesse 5 : la désensibilisation et le retraitement des souvenirs du passé.

L'axe du lien :

  • Les relations avec autrui :
    • l'environnement immédiat ;
    • la famille d’origine ;
    • les traumatismes transgénérationnels.
  • Les relations avec soi-même
    • le travail avec les États du Moi et les Parties Dissociatives ;
    • le travail avec les figures symboliques.
  • La relation thérapeutique :
    • la lettre d’influence : la lettre que le thérapeute écrit à son patient de tout ce qu’il n’a pas osé dire (pour la supervision / intervision) ;
    • la supervision ;
    • l’intervision.

Des documents de suivi de la thérapie sont proposés : en page 332 un plan de ciblage étendu, en page 371 un CV de ressources.

« Quelles que soient les méthodes thérapeutiques choisies, nous invitons chaque professionnel à suivre les règles proposées en psychotraumatologie, amenant à donner au corps une place prépondérante, à l’inviter comme un co-thérapeute plutôt que le considérer comme une entrave au processus. »

Illustration : Patti Black de Unsplash.

À lire :

Hélène Dellucci, Une approche intégrative en psychothérapie EMDR du trauma complexe et des troubles dissociatifs auprès des adultes, Psychologie, Université de Lorraine, 2016.

Thèse consultable sur : https://www.theses.fr/2016LORR0326


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