L’Islam recommande
d’aller « chercher le savoir, jusqu’en Chine si besoin est. » La
parole prophétique montre bien sûr d’abord la place privilégiée qu’occupe la
connaissance dans la vie, loin de toute vision obscurantiste. Elle montre aussi comment la quête du savoir était
alors inextricablement liée à des explorations, lointaines et jalonnées de
périls. Marco Polo, Ibn Battûta dont la Rihla
(ou expédition) a longtemps constitué une référence du genre, ou encore La
Pérouse, tous ces explorateurs téméraires ont été aussi des savants émérites dont
les récits ont fait progresser la science de leur époque. De même, Darwin a
bouleversé les connaissances sur l’origine des espèces après un voyage dans des
contrées lointaines où il a eu le loisir d’étudier la fantastique diversité
écologique de la planète. Les exemples sont aussi nombreux que les avancées
scientifiques elles-mêmes.
Aujourd’hui, obtenir
la connaissance peut se faire depuis son salon, même lorsque cette connaissance
est confinée dans une bibliothèque de l’autre bout du monde. La magie des
réseaux nous fait voyager sans délais aux quatre coins de la planète. Est-ce
pour autant que nous en savons plus sur les cultures connexes que nos ancêtres ? Est-ce pour autant
que nos inforoutes sont plus sécurisées que les voies maritimes du
moyen-âge ? C’est à voir. L’océan, qu’il soit réel ou numérique, semble
receler toujours autant de périls que de mystères. Comme pour le capitaine d’un
vaisseau, le défi du formateur à distance est de faire parvenir son message
pédagogique à bon port. Et de faire en sorte que les apprenants surfent utilement et
évitent de se noyer dans les profondeurs insondables du net. Voici quelques
cartes à déchiffrer.
De la nécessité de voyager léger
On le sait, pour
apprendre ou juste s’informer sur le net, quelques mots valent mieux que de
longs discours. La lecture à l’écran a ses exigences[1]
parmi lesquelles la fatigabilité rapide du lecteur et donc la nécessité de
faire court. Mais faire court en disant l’essentiel n’est pas chose aisée[2],
tant s’en faut. Il faut parfaitement maitriser son sujet pour repérer les idées
clés et ne mettre en valeur que ce qui est utile à transmettre. Comment faire
donc ?
Une idée nous est
fournie par la culture japonaise, lieu par excellence de l’esthétique dépouillée
mais pleine de sens. Le haïku, forme poétique de l’instantané, en est une
illustration aboutie. Le haïku est enseigné
sous forme de jeu avec sans doute l’idée d’initier les enfants à l’art de la
concision. Le Pecha Kucha, japonais lui aussi, que François Bon nous présente ici, constitue aussi un exercice qui affûte les capacités de synthèse : adapté aux outils numériques, il s'agit de réaliser une présentation de 20 images, projetés pendant 20 secondes chacune, pour une durée totale de 6,40 minutes.
Sur le net, Thot-Cursus
s’en est fait l’écho récemment, un réseau social comme Twitter, dédié aux
messages brefs, commence à être utilisé par les enseignants, y compris dans des
domaines où l’on s'y attend peut-être le moins comme la philosophie. Avec certes
plus ou moins de bonheur mais le pari est néanmoins pertinent : enrôler
les nouveaux usages des jeunes pour se faire entendre d’eux !
Mais dans cette
course à l’information, le pédagogue doit savoir offrir à l’apprenant des
haltes pour la réflexion. Ou pour faire le point.
De l’utilité des refuges et pauses pédagogiques
Les périples d’autrefois
étaient longuement préparés. La sécurité du voyageur dépendait largement de la
qualité des haltes et relais qui parsemaient son parcours. Les caravansérails
ottomans jouaient ce rôle d’espaces de repos et de ressourcement pour les
voyageurs mais aussi d’échange et d’enrichissement culturels. Une vocation qui
inspire d’ailleurs des projets très
actuels.
A une échelle plus
modeste, les refuges et autres cabanes, conçus comme des « espaces
de transition entre nature et culture », peuvent constituer des
moments très enrichissants du parcours pédagogique. Une communauté
pédagogique s’est même créée autour de ce concept. Internet regorge de jeux
éducatifs autour des abris de fortune, notamment dans le domaine de la sensibilisation
à la nécessaire protection de la biodiversité.
Mais la pause est
aussi, comme l’ont confirmé les recherches en neuropédagogie,
un moment essentiel du parcours d’apprentissage. Loin d’être une perte de
temps, elle permet au voyageur du savoir de reconstituer son capital cognitif
et de faire le point sur ce qu’il a appris. Et donne au guide l’occasion de
vérifier la pertinence de ses méthodes et outils.
En définitive, comme
pour les voyages initiatiques d’hier ou d’aujourd’hui, la performance d’un parcours
pédagogique est certainement liée à cette alternance d’acquisitions rapides et
de pauses d’approfondissement des savoirs recueillis. Certes, comme M.
Jourdain, les enseignants pratiquent quotidiennement cette rythmique parfois sans le savoir, mais
seuls les plus expérimentés d’entre eux savent doser la succession des étapes
et leur durée. En formation à distance, le recours à des applications de l’Internet
2.0 comme les cartes heuristiques permet de gérer normalement ce genre de
contraintes. Le site Pearltrees
de Thot – Cursus est un bon exemple de ce va-et-vient incessant entre l’écume
des marées et la profondeur de l’océan, entre l’apparence et l’essence du
savoir.
[1] De
nombreuses études ergonomiques sont à présent consacrées aux usages numériques
et à leurs contraintes.
[2] Les
auteurs de nouvelles et de courts-métrages en savent quelque chose.
Voir plus d'articles de cet auteur