Depuis quelques jours, j’ai des rougeurs sur mon bras.
Ferais-je une réaction allergique ou est-ce un symptôme annonciateur de quelque
chose de plus grave? Alors, il est temps de passer à l’action : je vais effectuer une recherche sur Wikipédia et Google, j’en profiterai aussi pour
laisser un message sur Doctissimo. Quelqu’un a sûrement déjà eu le même
problème et saura m’aiguiller sur ce qui se passe.
Ces réflexes sont devenus automatiques pour l’internaute soucieux de sa santé en 2012. Internet est en effet devenu la première source d’information en matière de
santé, lorsqu'on ne peut pas s'adresser à un véritable médecin. Même pour des questions mineures (une migraine ou un rhume), les gens
cherchent sur Internet des conseils pour se soigner ou pratiquer un autodiagnostic. Dans un article du Monde de juillet 2011, diffusé en PDF par
l’Association Fibromyalgie France,
on confirme ce lien entre « patients » et cyberespace.
Malades du monde, rassemblons-nous!
En février 2011, un sondage réalisé auprès de 995 Français a
révélé que 60% d’entre eux affirmaient s’être renseignés sur Internet à propos
de problèmes de santé. Une proportion qui monte à 80% pour la tranche d’âge
18-24 ans, moins bien couverte pour ses frais médicaux que ses aînés. Des chiffres qui n’ont rien de surprenant quand on voit l’abondance des sites médicaux. Doctissimo, le plus
connu d'entre eux, a accueilli près de 8 millions de visiteurs uniques en mai 2011. Il est
suivi, de loin, par sante-medecine.net avec environ 2 millions
et e-sante.fr avec 1,4 million. Même le pendant québécois de ces sites, Passeport-santé.net,
franchit la barre du million d’internautes au cours du même mois.
Les sites médicaux figurent donc parmi les sites les plus
consultés et aimés par les utilisateurs d'Internet. Et au-delà de nombreux
articles, parfois rédigés par des médecins comme dans Passeport-santé.net, ce
sont les forums et la communauté qui attirent les visiteurs. Dans le cyberespace, tous
les sujets sont en effet abordés sans tabous. Qu'il s'agisse d'une pathologie bénigne comme le mal de tête, d'une maladie chronique
comme l’asthme ou le diabète, tout y est : de la description des symptômes
aux suggestions de traitement, des remèdes de grand-mère aux médicaments en
vente libre ou sous prescription.
Mais pour certains internautes, ces forums ne sont pas
encore assez proches de leur réalité. Ils cherchent le contact avec des personnes présentant la même pathologie qu'eux. C’est cette idée qui a poussé
Michael Chekroun à créer Carenity, un réseau social où des gens
atteints de diverses pathologies (lupus, troubles bipolaires, arthrose, etc.)
se réunissent en communautés et échangent sur leurs traitements, leurs symptômes et
tout simplement sur la manière de vivre leur maladie au quotidien. Un concept
pas si nouveau puisque déjà, dans le monde anglo-saxon, des sites comme
Patientslikeme avaient le même type de fonctionnement.
Ces initiatives réussissent à combler un aspect occulté par
le secteur de la santé : l’échange de vécu. En effet, bien souvent, le
patient reçoit un diagnostic et retourne seul chez lui sans avoir une idée
précise de ce que la maladie va modifier dans sa vie quotidienne. Ces forums et réseaux
sociaux permettent donc de partager des expériences et d'aborder des questions intimes. Par exemple, sur ce qui concerne la sexualité dans la maladie ou
durant un traitement.
Dans un univers médical qui se spécialise de plus en plus,
y compris chez les médecins généralistes, le Web répond aux aspects plus globaux des
petits et grands maux dont peuvent souffrir les internautes. Mais de ces
nouveaux comportements découlent aussi des problèmes.
Gare à la cybercondrie et aux fractures numériques
Le sujet n’est pas neuf, mais il continue d’inquiéter les
médecins en 2012 : la cybercondrie peut facilement frapper l’internaute lorsqu'il voit sur Internet des listes de
symptômes plus inquiétnts les uns que les autres. Ainsi, il se précipite chez son docteur
avec un « diagnostic Wikipédia » qui, souvent, ne reflète pas la
réalité de sa condition. Certains vont même jusqu’à changer de traitement sans
l’aval de leur médecin à cause de ce qu’ils ont lu dans le cyberespace. Car voilà le problème d’Internet : ce qu'on y lit est bien souvent sommaire, loin des recoupements, liens et vérifications qui permettent à un médecin de poser un diagnostic. De plus, le
réseau informatique regorge de récits de patients qui crient leurs angoisses et
douleurs à la face du monde. Un défoulement peut-être sain pour eux, mais
extrêmement angoissant pour des malades (ou des bien-portants) déjà fragilisés qui lisent leurs propos.
Cetains sociologues, comme Antonio Casilli, estiment que l'e-santé apparaît comme un nouvel avatar de la fracture numérique. Comme il l’explique dans une
présentation réalisée à l’Association Française de Sociologie en juillet 2011 (que l’on
peut voir ici),
des gouvernements, comme la France, misent beaucoup sur le réseau numérique afin que les
citoyens prennent en main leur santé. Une position qui omet la fracture numérique
causée par des facteurs socio-économiques (revenus, localisation, etc.) et une
méconnaissance des technologies chez un pan important de la population. Après
tout, il ne suffit pas de donner un iPhone à quelqu’un pour qu’il sache comment
user des services de médecine 2.0.
Alors, ces inégalités doivent être comblées avant de tout miser sur la « santé numérique ». Et les professions
médicales ont leur rôle à jouer. Si les internautes ont profité de la
puissance du Web pour se rassembler et s’entraider, les médecins et
infirmiers ont aussi une place dans le 2.0, comme l'int par exemple fait les professionnels du droit avant eux. Quelles formes doit prendre leur contribution ? Là est la
question. Réseau social ? Site d’informations ? Plateforme interactive ? Il n’y a
pas de réponses à l’heure actuelle, mais les médecins ont, avec le Web 2.0, une opportunité de se reconnecter avec leurs patients et de modérer
des angoisses qui n’ont pas lieu d’être.
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