
Comme un Pro : électricité, plomberie et construction
Des fiches si bien faites qu'on se prendrait volontiers pour un pro en voyant le résultat de son travail !
Publié le 30 avril 2012 Mis à jour le 30 avril 2012
Si j'avais voulu inventer un titre incompréhensible au plus grand nombre, je ne m'y serais pas prise autrement. Pourtant, cette phrase résolument ridicule emploie trois mots fort en vogue sur les sites qui se piquent de repérer l'impact des TIC sur nos habitudes et organisations de travail.
Le coworking : désigne le fait de travailler avec d'autres dans un même bureau. A la limite, si vous travaillez dans un bureau partagé avec un ou des collègue(s), vous coworkez. Mais vous vous doutez bien que si cette action est considérée comme nouvelle, c'est qu'elle désigne autre chose que l'habituelle vie de bureau. Le coworking nouvelle manière, donc, c'est le fait de se retrouver dans un espace partagé avec des gens qui ne sont pas vos collègues mais viennent aussi y travailler. Chacun a sa propre activité professionnelle, mais tous partagent le même espace. Des espaces de coworking existent au Etats-Unis depuis 5 ans, ils s'en ouvre désormais chaque mois au Québec ou en France. Citons (liens au bas de l'article) Abri-co à Québec, Nexus à Montréal, L'Atelier des Médias à Lyon, La Cantine numérique à Rennes, Dojocrea à Paris...
Mots dérivés : coworker (verbe, à prononcer en bon français "quoworquer") et coworker (nom, à prononcer en bon français "quoworqueur").
Le télétravail : désigne le fait de travailler à distance des locaux de son employeur, généralement en utilisant un outil informatique connecté à Internet. Le salarié en déplacement, qui remplit et envoie ses rapports depuis sa chambre d'hôtel est-il un télétravaileur ? Oui... mais non. Celui-ci n'est qu'un salarié en déplacement, point. Le vrai télétravailleur est celui dont le contrat prévoit un ou plusieurs jours hebdomadaires de travail hors de l'entreprise. Le télétravail ne s'effectue pas dans un lieu temporaire adopté pour les besoins du service, mais dans un lieu permanent, généralement le domicile du salarié ou éventuellement un télécentre, espace dans lequel se retrouvent, notamment en zone rurale, des salariés qui évitent ainsi de longues heures de transport pour rejoindre les bureaux de leur entreprise. Alors, les télécentres, ce sont des espaces de coworking ? Non, ce sont des télécentres.
Mots dérivés : télétravailler (verbe), télétravailleur (nom).
Le coworking n'est pas le télétravail. Le premier terme désigne le simple fait de partager un espace avec d'autres travailleurs. Le second désigne le fait de travailler à distance du local de son employeur. A la rigueur, disons que l'on peut télétravailler dans un espace de coworking. Mais tous les coworkers ne sont pas des télétravailleurs. En fait, ce sont surtout des travailleurs indépendants qui partagent un espace commun pour limiter leurs frais, poser des limites entre leur vie professionnelle et leur vie privée, et bénéficier de la socialisation qu'apporte un espace collectif de travail.
Le tiers-lieu : c'est un concept bien plus qu'un lieu, comme l'explique fort bien Marie Martel, qui semble légèrement irritée par la vogue de ce mot employé à tort et à travers. Le tiers-lieu est un espace public dans lequel les gens se retrouvent avant tout pour discuter, échanger des idées qui donneront éventuellement naissance à des innovations sociales, de nouvelles formes d'organisation ou de mobilisation. Un lieu n'est pas "tiers-lieu" à sa création; il le devient. C'est Ray Oldenburg, sociologue américain, qui a forgé le concept de tiers-lieu. Pourquoi est-il "tiers" ? Parce qu'il est inclassable ailleurs. Un tiers-lieu est un espace investi de fait par des personnes qui s'y retrouvent spontanément et s'y sentent bien, sans qu'il soit question de leur statut, de la légitimité de leur présence, de règles qui les autoriseraient ou leur interdiraient d'y accéder. Un café, une place de village, un espace aménagé avec des bancs et relativement à l'abri du bruit de la ville, peuvent devenir des tiers-lieux. Ou pas. Malheureusement, le terme "tiers-lieu" est aujourd'hui employé pour désigner tout lieu à vocation créative ou hors de l'espace conventionnel de travail. Ca fait chic, mais c'est faux.
Pas de termes dérivés. On ne "tiers-lieuïse" pas encore.
La première vague d'arguments en faveur du télétravail mettait en avant :
- Les économies réalisées par l'entreprise, qui pouvait réduire sa surface de bureau;
- La productivité accrue du télétravailleur, qui n'était pas interrompu tous les cinq minutes par le collègue souhaitant raconter ses vacances et des réunions aussi nombreuses qu'inutiles. L'augmentation de la productivité du télétravailleur tenait aussi à la diminution de sa fatigue, puisqu'il n'avait pas à supporter des heures de transport avant de commencer à travailler.
- La valeur de cette organisation pour l'environnement, le télétravail faisant économiser de nombreux litres d'essence et tonnes de CO2, surtout en zones rurales où les salariés habitent souvent à plusieurs dizaines de kilomètres de leur lieu de travail et prennent donc leur voiture pour s'y rendre.
À ces arguments se sont joints aujourd'hui ceux qui vantent l'intérêt du coworking :
- La vogue du travail indépendant et de l'autoentrepreneuriat (statut français), qui permet d'avoir une activité professionnelle sans supporter les contraintes du salariat. Cette tendance serait particulièrement développée chez les jeunes, réputés rebelles à l'organisation archaïque et au management pyramidal des entreprises traditionnelles.
- Le réseautage spontané qui s'effectuerait dans ces lieux alternatifs de travail, les occupants mettant volontiers en commun leurs problèmes (professionnels, bien sûr) et leurs compétences pour se lancer dans des projets innovants. Le coworking, c'est la start-up tous les jours, le garage incubateur de génies avec lumière naturelle, cafetière électrique et salle de réunion. Voir à ce sujet le court billet publié sur le blogue d'Abri.co, espace de coworking québécois.
- Le côté innovant et "voilà, c'est par là qu'on va quand on est moderne et bien connecté" de ces organisations, valorisant la capacité de certains à prendre en charge leur propre destin professionnel sans l'appui des organisations, et leur potentiel à changer le monde. Ce dernier point est particulièrement marqué chez les adeptes des tiers-lieux, comme en témoigne par exemple le groupe international francophone sur les tiers-lieux relié à la plateforme d'innovation sociale Imagination for People, dont on remarquera au passage qu'il récupère un peu abusivement la vogue du coworking dont les adeptes ne cherchent pas tous à développer des modes de vie coopératifs, ou pas seulement.
Autant d'arguments convaincants, surtout quand on n'est pas satisfait de sa vie de salarié.
Sauf que. Le monde du travail est encore loin, très loin de n'être peuplé que de télétravailleurs, cowerkers et adeptes des modes de production alternatifs. C'est ce que nous rappellent, chacun à leur manière, un article publié sur la Paris Tech Review (repris sur Owni) et un article du Nouvel économiste. Dans le premier article, on apprend que le télétravail a été inventé en 1972 par un ingénieur américain, qui imaginait que tout le monde travaillerait ainsi d'ici une vingtaine d'années. Or, "40 ans plus tard, nous sommes pourtant toujours coincés au bureau. Alors même que le monde a adopté les e-mails, Internet, les téléphones portables et aujourd’hui les réseaux sociaux, beaucoup d’entre nous font toujours de longs trajets au volant, aller et retour – et s’assoient souvent devant le même ordinateur portable qu’à la maison. Même aujourd’hui, la plupart des sondages montrent qu’aux Etats-Unis et en Europe, le télétravail est relativement rare. Si le fait de travailler à distance une partie du temps devient de plus en plus fréquent, moins de 2 % de la population télétravaille à plein temps dans les deux régions".
La cause fondamentale de cette lenteur à changer de fonctionnement est surtout sociale. Les entreprises ne visent pas seulement à accroître la productivité de leurs salariés. Elles veulent aussi les avoir sous la main pour qu'ils appliquent leur politique globale, qui se traduit certes par des tâches à remplir, mais aussi par du temps de présence, du dialogue avec les collègues et supérieurs, etc. De plus, si les responsables des ressources humaines admettent désormais que le temps de la carrière entière dans une même entreprise et de l'attachement indéfectible des salariés à leur "boîte" est bien passé, ils peinent, tout comme les managers, à identifier de nouvelles formes d'organisation du travail, à la fois motivantes pour des collaborateurs aspirant à plus d'indépendance, et flexibles pour les entreprises qui ne veulent (peuvent ?) plus s'attacher les services d'une personne au-delà du temps strictement nécessaire à sa mission.
Les travailleurs eux-mêmes ne se ruent pas massivement vers les formes alternatives de travail : on lit dans l'article du Nouvel économiste que les télétravailleurs ont de la peine à limiter leur temps de travail lorsqu'ils travaillent chez eux. Plus globalement, la majorité des travailleurs rejette le modèle du free lance, qui doit constamment prospecter pour trouver de nouveaux clients : "“Etant donné qu’il y a de moins en moins de travail, les gens sont effectivement prêts à tout pour éviter les périodes de chômage sec ; mais il ne faut pas se leurrer, le fait d’être soumis à plusieurs employeurs est un facteur de liberté quand on facture 20 000 euros, estime-t-il. Quand on en facture 800, c’est une source de servilité.” Pour lui (Jean-Claude Ducatte, interrogé par Le Nouvel économiste), la tendance économique actuelle est en totale opposition avec les fondements sociaux du travail puisque, d’un côté on cherche à fragmenter le travail pour en abaisser le coût et, de l’autre, l’attente salariale reste d’être attaché à des relations économiques inscrites dans la durée et donc, sources de sécurité. Deux attentes contradictoires que même les discours les plus optimistes sur la fin du CDI et l’avènement du coworking ne suffiront pas à réconcilier".
Télétravail et coworking ne sont pas identiques mais disposent malgré tout d'un point commun : ils témoignent d'une alternative à "la vie en boîte", alternative parfois souhaitée par les travailleurs les plus indépendants, et souvent subie en ces temps de chômage massif, surtout en Europe. Les aspirations à la création de tiers-lieux pour leur part reflètent la volonté de ne pas se contenter de situations insatisfaisantes, en terme de travail mais aussi de consommation et de lien social. Ces organisations relèvent du bricolage, dans ce que le terme a de plus noble : faire soi-même ce qu'on ne veut ou peut pas confier à d'autres, pour reprendre un peu de pouvoir sur sa vie et son environnement.
C'est à Philippe Boyrivent, graphiste coworker à l'Atelier des médias à Lyon, que nous laisserons le mot de la fin, dans la mesure où son billet décrit avec beaucoup d'humour et pas mal de gravité la relation compliquée qui unit nombre d'entre nous au fait de travailler :
"Depuis quelques semaines, je peux enfin répondre quelque chose à la question bouleversante que ne manque pas de poser untel à autretel quand ils se croisent : “Quoi de neuf, vieux ?”.
Trépignant d’impatience, je cache alors mon enthousiasme en répondant nonchalamment : “Je fais du coworking”.(...)
dans le lot (des coworkers), se cachent sûrement des fumistes. Pour l’instant, j’en distingue un : moi ! Fumiste ou plutôt... loser ! Vous savez, ce type de mec qui a vu son adolescence partagée entre Nirvanna et les jeux vidéos 16 bits. Vous ne voyez pas ? C’est que, sans doute, vous êtes trop jeune ou trop vieux pour comprendre. Je vous explique...
Il fut un temps, disons entre le milieu des années 90 et le milieu des années 2000, où il était plutôt bien vu de n’être rien quand on était un jeune adulte. Nos parents regrettaient Joe Dassin, nos grands frères astiquaient leur 205 GTI invariablement rouge et, conscients de leur nullité, nous nous abreuvions de bière tiède en songeant à se pendre, encouragés par le dernier titre de Massive Attack.(...)
Vers 17h30, je sors enfin, suant froid, de cet espace (de coworking). Je cherche dans les rues de Lyon mes semblables, mais si j’en trouve encore un ou deux en train de se rouler une clope sur un vélo hors d’âge, l’élégance travaillée de la jeunesse urbaine m’effraye. Leur sourire et leur optimisme dans ce monde en crise me glace le sang et sème le doute dans mon esprit fiévreux : auraient-ils raison ?
Ce qui m’effraye le plus, c’est que je sens que moi-même, je commence à avoir de... l’ambition.
Venez me chercher !"
Sources :
Le concept de tiers lieu : retour aux sources. Marie Martel, 14 avril 2012.
Le co-working : un réseautage productif. Abri.co, 7 mars 2012.
Groupe international francophone sur les teirs-lieux. Imagination for People.
Pourquoi la révolution douce du télétravail ne prend pas ? Paris Tech review, 24 mars 2011 et Owni, 29 mars 2011.
Génération free-lance. Le Nouvel économiste, 8 mars 2012.
Je fais du co-working, l'ère annoncée de la fin de la glande. Philippe Boyrivent, 3 décembre 2011.
Espaces de coworking cités :
L'Atelier des médias, Lyon
L'Abri.co, Québec
Nexus, Montréal
La Cantine numérique, Rennes
Dojocrea, Paris
Illustration : ©Philippe Boyrivent, coworker à l'atelier des médias, Lyon. Site : petitfayot.com
Photos : ©Franck Ribard, coworker à l'Atelier des médias, Lyon. Site : regardobjectif.fr
Avec leur aimable autorisation.
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