La proportion préoccupante d'élèves qui sortent du système éducatif formel sans diplôme ou, même s'ils arrivent à décrocher le précieux sésame, ne travaillent que pour l'obtenir sans aucun intérêt pour les contenus d'apprentissage, incite à adopter de nouvelles approches pédagogiques, alternatives à l'apprentissage livresque orienté vers les savoirs plutôt que vers les savoir-faire.
S'agit-il d'ailleurs de "nouvelles" approches ? Il existe déjà bon nombre d'approches alternatives qui ne sont pas nécessairement complexes à mettre en place. Dans un grand dossier sur la motivation publié par le CEP (Center on Education Policy) aux Etats-Unis, le dernier article de la série porte justement sur l'utilisation de méthodes pédagogiques différentes pour accroître la motivation des élèves. Il fournit quelques exemples de classes ou d'écoles ayant voulu essayer autre chose.
Apprendre par l'enquête ou dans la communauté
Deux modèles sont mis en valeur dans l'article. Le premier est l'inquiry learning (apprentissage par l'enquête). L'enseignant y est un accompagnateur des apprenants, ces derniers devant trouver eux-mêmes des informations, à partir d'une situation stimulante et évoluant sans cesse, qu'ils utiliseront et transformeront en connaissances. L'article mentionne à ce sujet une expérience peu banale : un enseignant est parti à l'assaut du Mont Kilimandjaro, en Tanzanie. Ses élèves pouvaient suivre son périple chaque jour à l'aide des coordonnées GPS et en écoutant les baladodiffusions enregistrées par celui-ci à chaque étape de l'ascension. De cette façon, les jeunes ont beaucoup appris sur la culture, la géographie et la politique du pays.
L'apprentissage par enquête promeut l'autonomie de l'élève et la résolution de problèmes, seul ou en équipe. Cette méthode qui implique de plus en plus souvent l'usage de technologies (particulièrement Internet) augmente considérablement la motivation et même les notes des élèves, selon de récentes études citées dans l'article. Bien entendu, une expédition au Kilimandjaro ne fait pas partie des ingrédients obligatoires pour appliquer la méthode de l'enquête. Un tour dans le village voisin et la rencontre avec ses habitants, ou encore la découverte d'une activité économique de la région, feront parfaitement l'affaire. Tout est une question de présentation !
L'autre modèle mis en valeur dans l'article est le service learning, l'apprentissage par le service. Cette approche intègre des services rendus à la communauté par les élèves au curriculum scolaire. Par exemple, une classe peut choisir d'aider un groupe local travaillant à la préservation de l'environnement. Cette méthode pédagogique ajoute donc une dimension concrète à ce que les enfants apprennent à l'école. Ils peuvent faire des liens directs entre ce qu'ils vivent sur le terrain et les mathématiques, les sciences de la vie et de la terre, les sciences humaines, etc. Le genre de rapprochment absent, précisément, dans les approches classiques de l'enseignement, ou cantonné à quelques exemples pseudo-réalistes qui n'impliquent aucun engagement de la part des élèves.
Nul besoin de dire que cette démarche peut être très stimulante, particulièrement lorsque les élèves participent au choix du service communautaire pour lequel ils s’engageront. Les quelques recherches sur ce modèle encore marginal concluent qu'il pourrait être fort intéressant à intégrer, particulièrement dans les milieux où beaucoup d'élèves décrochent. Les premiers retours des enfants sont très convaincants et la plupart d'entre eux ont considéré que ce type d'enseignement était plus stimulant que la classe habituelle. De plus, cette approche permet de toucher concrètement du doigt les notions de travail et d'effort, indispensables à l'obtention de résultats tangibles dans la vraie vie. En France, un projet d'engagement des élèves dans une "'junior association" a été récompensé lors du dernier forum des enseignants innovants. Preuve que la méthode est connue, et même qu'elle fonctionne !
Et la technologie dans tout ça?
En plus de ces méthodes pédagogiques alternatives, d'autres éléments peuvent améliorer la motivation des apprenants. Les activités parascolaires participent grandement à l'engagement, au développement de nouveaux talents et de compétences sociales et émotionnelles. Il serait donc judicieux de ne pas négliger tous ces clubs d'échecs, de théâtre, de sciences et autres qui existent dans les écolesn car ils peuvent maintenir les élèves "chancelants" dans les établissements.
Et les Tice, dans tout ça ? L'article en fait bien sûr mention en soulignant qu'elles peuvent avoir des effets sur la motivation... à condition d'admettre qu'elles constituent surtout des moyens plutôt que des fins.
Les auteures de l'article ne sont manifestement pas très au fait des pratiques les plus en pointe en matière d'utilisation des Tice. Elles mettent l'accent sur la création d'un portfolio par les élèves, censé les encourager à faire retour sur leurs apprentissages et valoriser ces derniers, lorsque le portfolio devient public. Certes, mais elles passent sous silence qu'il est extrêmement difficile d'entretenir son portfolio sur le long terme. Devant l'ampleur de la tâche, surtout si l'on rêve d'un portfolio original et diversifié, beaucoup d'élèves se découragent.
Les auteurs signalent également l'apport des jeux vidéos pour l'apprentissage. Autrement dit, des serious games. Certains principes de game play, dont nous avons déjà abondamment parlé (voir par exemple cet article), influent effectivement sur l'engagement et la qualité des apprentissages. Mais il ne faut pas oublier que la manipulation de jeux vidéos dans le cadre contraint de la classe reste difficile, et surtout que la préoccupation de nombre d'enseignants est de maintenir l'intérêt des élèves dans la durée, une fois passé l'effet de nouveauté. De plus, il faut pouvoir disposer de jeux ou au moins de scénrios pédagogiques qui balisent les apprentissages. Par exemple, le célèbre M.I.T. a créé un serious game sur les mathématiques pour les élèves du primaire. Ils doivent sauver des animaux de la terrible Méduse et sortir du labyrinthe en résolvant des énigmes.
Apprentissage par enquête, par le service communautaire, TIC, portfolios numériques, jeux vidéo sérieux : les moyens de remotiver ceux qui ont perdu la flamme scolaire sont là. Évidemment, aucun d'entre eux n'est une panacée en soi. Pour que cela fonctionne, les enseignants doivent avoir suffisamment de souplesse pour les adapter aux besoins des différents élèves. Et surtout, ils doivent eux aussi être mûs par la curiosité, l'envie de faire autrement...
Référence :
« What nontraditional approaches can motivate unenthusiastic students? », Alexandra Usher and Nancy Kober, PDF, 21 p., 22 mai 2012
Voir plus d'articles de cet auteur