
Atlas des langues en danger dans le monde
L'Atlas des langues en danger dans le monde est un outil numérique interactif de l'UNESCO qui propose des données actualisées sur environ 2 500 langues en danger dans le monde.
Publié le 20 juin 2012 Mis à jour le 20 juin 2012
Gilberte Furstenberg a enseigné le français langue étrangère au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge, USA, pendant une trentaine d'années. Engagée de longue date dans la production de matériel interactif multimédia pour l'apprentissage du Français Langue Etrangère (FLE), elle est la co-auteure de Cultura , projet interculturel en ligne qu'elle a développé avec Sabine Levet et Shoggy Waryn. La conversation qui suit tourne autour de ce dernier projet.
Gilberte, d'où vous vient ce goût pour la dimension interculturelle et l'utilisation des TIC en apprentissage linguistique ?
Lorsque je sus entrée au MIT comme professeure de français en 1981, je ne trouvais aucun intérêt aux TIC pour l'enseignement des langues. En gros, on ne voyait que des exercices à trous et autres activités ponctuelles sans grande valeur ajoutée. Mais évidemment, le MIT étant un pôle d'excellence technologique, je me doutais qu'il se passait des choses beaucoup plus intéressantes de ce côté-là dans l'établissement... J'ai fait le tour des départements et c'est dans le département d'architecture que j'ai découvert quelque chose de passionnant : les enseignants-chercheurs créaient des visites interactives de villes sur DVD. L'utilisateur se trouvait en immersion dans l'environnement urbain et pouvait piloter son parcours. Je me suis inspirée de ce travail pour réaliser mes deux premiers produits multimédias : A la rencontre de Philippe (simulation d'une recherche d'appartement à Paris, l'utilisateur étant dans le rôle d'un étudiant étranger fraîchement débarqué dans la capitale française et essayant d'aider Philippe à résoudre ses problèmes) et Dans un quartier de Paris (découverte d'un quartier au travers des regards multiples de ses habitants).
Cultura est en quelque sorte le produit de ces premières expériences : on y trouve de l'interaction, de l'immersion, et des regards multiples. C'est également le produit de très bonnes conditions d'enseignement (peu d'étudiants à suivre, le français ne constituant pas, vous vous en doutez, une matière aussi courue que les mathématiques ou l'informatique au MIT), dans un environnement où tout le monde a un vrai goût pour la recherche et l'expérimentation.
Il est temps de nous en dire plus sur Cultura...
Il s'agit d'une plateforme en ligne sur laquelle des étudiants américains apprenant le français et des étudiants français poursuivant leur apprentissage de l'anglais interagissent dans le but de mieux comprendre la culture de l'autre. Ce dispositif met ainsi la culture au centre de l'apprentissage linguistique, à l'inverse de ce qui se passe habituellement dans les cours de langue. Il faut donc obligatoirement deux établissements (un dans chaque pays) pour mener le projet. L'objectif est qu'à travers ces interactions, les étudiants explorent la « face non visible » de la culture de leur langue cible. Pour développer cette plateforme, nous étions trois : Sabine Levet, qui anime le projet jusqu'à aujourd'hui, Shoggy Waryn, le plus technophile d'entre nous, et moi. Nous avons bénéficié d'une subvention de 3 ans au démarrage du projet, qui nous a été accordée par The National Endowments for the Humanities, organisme fédéral américain.
Pourquoi investir tant de moyens dans un projet qui ressemble à première vue à beaucoup d'autres activités d'appariement ?
Parce que Cultura n'a rien à voir avec les projets d'appariement tels qu'ils étaient majoritaires à l'époque (et peut-être encore aujourd'hui). Cultura a un objectif : accompagner les étudiants dans la découverte et la compréhension de la culture de l’autre, par le biais de forums de discussion en ligne. Pour cela, nous voulions éviter à tout prix les conversations banales entre étudiants qui, après les présentations et l'échange de quelques photos, tournent court. Notre objectif est de les engager dans des discussions approfondies et la consultation de matériel complémentaire leur permettant d'aller au-delà des lieux communs : les Américains aiment les hamburgers, les Français préfèrent le sandwich jambon-beurre; les Américains sont très directs, les Français sont plus réservés... Autant de choses que l'on retrouve encore dans les manuels de langues étrangères, mais qui n'apportent rien à celui qui veut réellement comprendre les modes de vie, les valeurs, les façons de raisonner de ceux dont il apprend la langue.
Quel est donc le dispositif mis en place ?
Nous avons adopté une approche comparative et interactionnelle. Les interactions s'effectuent à partir de sujets qui sont proposés aux étudiants par le biais de questionnaires interculturels : de chaque côté de l'Atlantique, les étudiants commencent par réagir à une liste de mots-clés (les mêmes pour les deux groupes), auxquels ils doivent associer d'autres mots. Puis ils répondent à deux questionnaires identiques, l'un leur demandant de finir des phrases et l'autre de réagir à des situations hypothétiques. Lorsqu'ils voient ce qu'ont produit leurs camarades de l'autre culture, ils prennent immédiatement conscience des écarts culturels. Mais ceci n'est qu'un point de départ. Nous fournissons ensuite une grande variété de documents complémentaires aux étudiants, tirés des environnements français et américains (données statistiques sur les pays, articles de presse, extraits d'oeuvres littéraires, analyses comparées de films...), qu'ils vont également comparer et à partir desquels ils vont interagir sur les forums de discussion en ligne. Les étudiants sont invités à échanger leurs analyses et leurs points de vue, se poser mutuellement des questions. Là, de véritables conversations s'engagent, qui permettent à chaque groupe d'approfondir sa compréhension de la culture de l'autre.
Puisque nous sommes dans une activité linguistique, j'imagine que lors de ces échanges, chaque groupe d'étudiants utilise la langue cible, celle qu'il apprend ?
Pas du tout ! Chacun s'exprime dans la langue source : anglais pour les étudiants aux Etats-Unis, français pour les étudiants en France. Ceci, pour plusieurs raisons. D'abord, pour créer une égalité linguistique entre les étudiants. Par exemple, les étudiants français participant au projet ont tous 7 ou 8 ans d'apprentissage de l'anglais derrière eux. Alors que nos étudiants du MIT n'ont que 3 semestres d'étude du français... Ensuite, parce que l'objectif n'est pas dans cette phase d'échanges d'améliorer ses compétences écrites dans la langue cible, mais bien de décrirec, de comparer et de s'interroger sur les deux cultures. Il ne pourrait y avoir d'échanges approfondis si les étudiants étaient limités par leur compétence linguistique. Regardez par exemple ces échanges récents autour du thème de la police. Imaginez-vous une telle qualité de discussion si les étudiants devaient s'exprimer dans une langue étrangère qu'ils maîtrisent imparfaitement ?
Mais alors, où est l'apprentissage de la langue, dans Cultura ?
En classe ! L'activité en ligne est une partie du dispositif hybride global. Les échanges et matériels présents sur le site constituent le matériau de base de nombreux échanges en présence, qui se font cette fois dans la langue cible. De plus, au MIT nous demandons régulièrement à nos étudiants des synthèses écrites en français sur des points qui les ont particulièrement intéressés lors des discussions en ligne. Nous constatons d'ailleurs que les étudiants progressent très vite en expression écrite lorsqu'ils sont immergés dans Cultura; il y a un effet de mimétisme très efficace dans l'expression. Voyez par exemple cet essai, rédigé par un étudiant qui n'avait qu'un peu plus de 2 semestres d'apprentissage du français lorsqu'il l'a écrit. Enfin, les étudiants tiennent un journal de bord tout au long du semestre, dans lequel ils notent leurs contributions, ce qui les a frappés, et leur propre évaluation de leurs progrès dans la langue cible.
Ce journal de bord est-il rédigé dans la langue cible ?
Il est rédigé autant que possible dans la langue cible, mais pas nécessairement dans sa totalité.
Exemples de journaux de bord : http://cultura.mit.edu/culturaNEH/classroom/carnets/carnet1.jpg
http://cultura.mit.edu/culturaNEH/classroom/carnets/carnet3.jpg
Je précise malgré tout que chaque enseignant impliqué dans le dispositif le gère et l'exploite à sa manière, que ce soit pour les devoirs demandés ou au niveau de ce qui se passe dans la salle de classe. L'essentiel est que l'espace Internet commun aux deux classes génère une matière vivante et riche, qui sera ensuite exploitée de diverses manières.
Au fil des échanges, les étudiants doivent avoir envie de se connaître un peu mieux ?
Oui, et c'est d'ailleurs pour cela que les modalités de mise en oeuvre de Cultura évoluent : à côté des échanges écrits asynchrones qui favorisent la compréhension et la réflexion interculturelles, ma collègue Sabine a depuis peu instauré l'usage de Skype pour des échanges synchrones. Pendant ces échanges, les étudiants utilisent indifféremment la langue source ou la langue cible, le chat ou la voix, en fonction de ce qui convient le mieux à ce qu'ils veulent dire. Même si cette communication est moins « réfléchie » que la communication écrite asynchrone sur les forums, elle reste structurée par une tâche à réaliser, prescrite par l'enseignant : faire un point sur les échanges à la mi-semestre, commenter des tableaux de statistiques, etc. Ces échanges sont réalisés par groupes de trois ou quatre étudiants, ces derniers se sentant un peu intimidés par une communication un-à-un.
Tous les enseignants de FLE auxquels j'ai parlé de Cultura connaissaient déjà ce projet et l'admiraient. Qu'est-ce qui fait sa popularité, selon vous ?
Je suis ravie que notre projet soit aussi connu, mais je signale que nous avons très peu de retours directs ! Je sais qu'au moins une thèse a été écrite à partir de ce projet et des mécanismes d'apprentissage qui y sont mis en oeuvre. Mais nous aimerions avoir davantage de commentaires de la part des enseignants utilisateurs. Comme vous avez pu le constater, toute une communauté s'est désormais formée autour de Cultura. Nous proposons en effet gratuitement à tous les enseignants qui le désirent d'héberger leur échange au MIT et nous mettons à leur disposition une application permettant de créer les questionnaires, de collecter les réponses automatiquement et de les afficher en ligne. Il leur suffit de s'inscrire sur cette page.
La plateforme est ouverte, de très nombreux échanges s'y sont développés. Les enseignants ne répliquent pas ce que nous avons fait, ils développent des échanges originaux. Il y a par exemple plusieurs échanges organisés autour du monde des affaires et de l'entreprise. A l'université d'Hawaï, des enseignants travaillent avec leurs étudiants sur l'incroyable diversité de la population sur place, et invitent les étudiants de différentes origines à partager leurs représentations. C'est passionnant ! Il y a ainsi des enseignants qui explorent les variations entre la notion d'identité culturelle telle qu'elle est vécue par des Samoens vivant à Hawaï d'ne part, et ceux qui vivent au Samoa d'autre part.
Pour résumer, je dirais que le projet a du succès d'une part parce qu'il est souple et ouvert, d'autre part parce qu'il repose sur une méthodologie à la fois solide et innovante, qui met l'accent sur la notion de processus et la co-construction des savoirs. C'est une méthodologie d'approche interculturelle, bien plus qu'un outil d'apprentissage linguistique au sens strict. Les utilisateurs conservent toute leur marge de manoeuvre, toute leur liberté pour l'utiliser dans leur propre contexte, avec leurs propres objectifs. Sa durée de vie - 15 ans maintenant - est peut-être également un gage de qualité... Qui sait ?
Le fait qu'une large part de l'engagement dans Cultura s'effectue en ligne a t-il aussi de l'importance dans ce succès ? Pensez-vous que Cultura soit vu comme un projet « techno » et donc, attractif pour les étudiants ?
Ce n'est pas là que réside la nouveauté car les Tice sont désormais bien intégrées à la panoplie d'outils disponibles pour l'apprentissage d'une langue étrangère et de sa culture. En revanche, il est rare que les scénarios pédagogiques d'apprentissage linguistique accordent une telle place aux échanges en ligne. Dans Cultura, échanger avec ses homologues distants n'est pas une activité annexe, à faire quand on a le temps ou pour mettre un peu de piquant dans l'apprentissage. C'est l'activité essentielle, incontournable. Et personnellement, j'ai toujours accordé cette place centrale aux échanges en ligne, y compris lors de leur exploitation en classe. De la même façon, les étudiants du MIT prennent ces échanges très au sérieux et quand un nouveau sujet est lancé, ils participent aux échanges comme à n'importe quel autre travail obligatoire dans le cadre de leur cours de français.
J'ai constaté que cette place centrale de l'activité Tice n'était pas aussi évidente partout. Les étudiants américains s'étonnent régulièrement du fait que leurs pairs français participent beaucoup moins qu'eux aux échanges en ligne. Sur un groupe de 18 ou 20 étudiants, on en voit rarement plus de 7 ou 8 qui s'expriment régulièrement. Je ne pense pas que ce soit un problème d'organisation du temps d'apprentissage ou de contraintes structurelles trop fortes dans les établissements français qui se sont engagés dans les échanges. Ce phénomène est surtout dû, je crois, à la vision implicite générale de l'activité Tice dans le processus d'apprentissage. En France, c'est encore une activité périphérique; le temps d'apprentissage en classe, complété par un travail personnel à rendre à l'enseignant, reste le modèle dominant de l'apprentissage « juste », « légitime ».
Vous n'êtes donc pas entièrement satisfaite de la qualité des échanges avec vos homologues en France...
Je ne veux surtout pas dire cela ! Peu de temps après la naissance du projet, nous avons trouvé un partenaire idéal pour travailler. Il s'agissait de Kathryn English, d'abord professeure à Telecom Sud Paris, puis à Paris 2 (ou elle enseignait la communication interculturelle) et enfin à l'École Polytechnique. Cette enseignante en communication, elle-même d'origine américaine, a parfaitement adhéré au dispositif. C'est à dire qu'elle ne l'a pas utilisé comme un outil standardisé, elle a fait de très nombreuses propositions et en a tiré le plein bénéfice. Cette collaboration m'a montré à quel point le choix du partenaires est crucial, dans ce genre de projet. Avec Kathryn, nous avons véritablement construit ensemble, et nos étudiants en ont tiré un grand profit. Nous avons travaillé ensemble pendant 12 semestres, de 1998 à 2007. Depuis, nous avons aussi travaillé régulièrement avec des partenaires des universités de Lile, de Brest, l'ENSEIRP de Bordeaux. Nous archivons tous nos échanges en ligne depuis 1997. Dans la mesure où je suis maintenant à la retraite, je ne suis plus directement impliquée dans l'animation du dispositif aujourd'hui mais je sais que d'autres échanges se passent parfaitement bien, y compris avec des collègues français.
Mais je tiens à signaler qu'au MIT, la place des Tice est centrale, lorsque c'est la place que l'on souhaite leur donner, à cause d'un environnement très favorable. Ailleurs, et notamment en France, je pense qu'il faut encore se battre et faire du chemin pour faire accepter les Tice comme des vecteurs d'apprentissage légitimes et exploiter tout leur potentiel, qui est énorme.
Un dernier message pour les lecteurs de Thot, avant de nous séparer ?
Je dirais que j'ai découvert à quel point l'utilisation raisonnée et méthodique des Tice permettait d'insuffler de la vie et de la diversité dans le cours de FLE. Lorsqu'on réalise une activité, aussi intéressante soit-elle, dans le cadre d'une classe, au bout d'un certain temps on tourne un peu en rond. Les étudiants sont vite au bout de leurs réflexions et possibilités, car ils sont en vase clos. Ces échanges en ligne ont apporté un souffle d'air frais inestimable, ouvert l'horizon culturel des étudiants. Ils y ont trouvé une motivation supplémentaire et des occasions de donner la pleine mesure de leurs capacités de réflexion sur la culture étrangère. C'est la rencontre de l'autre qui permet cela. Mais il ne suffit pas d'installer le dispositif au niveau technique, puis de laisser faire. Non, il faut animer, documenter, structurer, ré-exploiter, évaluer en permanence. Laisser un tel matériau à la périphérie de l'apprentissage et des activités serait un vrai gâchis. La place centrale est celle qui lui convient le mieux, j'en suis convaincue.
Pour aller plus loin :
Les pages de Gilberte Furstenberg sur le site du MIT
Une interview de Gilberte Furstenberg accordée à RFI en 2003
Un article publié sur MITNews en 2006
Le site de démonstration de Cultura
Le site communautaire de Cultura, contenant des informations pratiques et pédagogiques, et surtout les échanges passés et en cours
Et spécialement pour les lecteurs de Thot Cursus :
Gilberte Furstenberg nous a fort aimablement autorisés à diffuser un récent diaporama dans lequel elle présente le projet Cultura dans le détail.
L'interculturel en classe de langue : quelles incidences sur l'interaction ? (pdf, 6,4 Mo) G. Furstenberg, présenté pendant les Journées CLE formation à Barcelone, le 4 mai 2012.
Photo G. Furstenberg : ©Donna Coveney.
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