Christian Depover et François Orivel l’affirment si bien dans leur ouvrages Les pays en développement à l'ère de l'e-learning, Unesco Paris 2012, L’enseignement à distance a longtemps été perçu essentiellement comme un moyen de rendre l’enseignement accessible à tous ceux qui ne pouvaient pas s’inscrire à un enseignement « normal », que ce soit pour des raisons d’éloignement géographique, de manque de ressources financières, ou par manque de temps (de la part de ceux qui travaillent). Si les MOOCs (Massive Online Open Courses) sont aujourd’hui considérés comme étant l’avenir de la formation à distance selon certains spécialistes, les interrogations que suscitent la vulgarisation et la démultiplication des plateformes d’Elearning, des programmes de formations à distance destinées aux étudiants dans les pays du Sud, et bien d’autres restent nombreuses jusqu’ici et peinent à trouver des réponses pour certaines. Nul besoin ici de refaire le débat sur les nombreux avantages et limites des MOOCs et les opportunités qu’ils représenteraient pour les étudiants, notamment ceux des pays en développement. Toutefois, loin d’être uniquement une aubaine pour ces derniers, l’Elearning et les MOOCs en particulier, posent en filigrane un autre problème : celui des langues utilisées dans les formations à distance.
Les MOOCs : un autre vecteur de l'hégémonie anglo-saxonne ?
C’est un sujet dont on parle assez peu, mais qui pourtant mérite peut-être une attention particulière. La langue utilisée pendant l’apprentissage est l’un des piliers de la formation à distance.
Dans un billet publié sur son blog, l’enseignant-chercheur sud africain Paul Prinsloo, livre une analyse assez critique sur le rôle des langues utilisées dans les formations à distance, notamment en ce qui concerne les MOOCs. Il regrette d’une part, la prédominance de l’anglais comme principale langue d’apprentissage utilisée dans la plupart de ces MOOCs, tout en reconnaissant tout de même d’autre part que la maitrise de cette langue reste un avantage pour les étudiants d'aujourd'hui (ceux des pays du Sud surtout) dont elle augmente les chances d’employabilité et de réussite dans un monde de plus en plus globalisé. Une analyse qui ne laisse pas indifférent, surtout lorsque l’on sait que la langue (que ce soit dans le domaine de l’apprentissage ou ailleurs) n’est pas qu’un simple outil tout à fait neutre. Elle sert également à véhiculer toute une culture.
L’hégémonie de la langue anglaise représenterait alors une réelle menace pour d’autres langues comme le français certes, mais surtout pour les langues nationales des pays du Sud, africains notamment, les Africains étant de plus en plus nombreux à avoir recours à l’enseignement à distance. Or, la majorité des contenus dispensés dans le cadre de formations à distance sont en anglais. Ou en français. Quoiqu’il en soit, cela se fait au détriment des langues nationales, pourtant très populaires et beaucoup plus parlées dans ces pays.
À y regarder de plus près l’on notera que, bien au-delà des opportunités que l'enseignement en anglais pourrait offrir, ce sont des cultures qui risquent de disparaitre peu à peu si rien n’est fait pour inverser cette tendance. Car, ces langues étrangères, quoiqu’on en dise, représentent un danger pour les langues locales. Mais l’Afrique peut-elle vraiment faire face à cette hégémonie anglo-saxonne ?
Les réalités linguistiques des pays africains comme facteurs aggravants
Si des solutions peuvent être envisagées pour tenter de contrer cet impérialisme de la culture anglo-saxonne, la multitude de langues nationales que l’on recense dans la plupart des pays africains ne peut que conforter la percée des offres de formations dans des langues internationales en direction de ces pays. L’anglais et/ou le français ont beau être les langues officielles en vigueur dans la plupart de ces pays, elles ne sont pas toujours bien maitrisées par une grande majorité des apprenants. Ces contextes linguistiques hétérogènes constituent alors malgré eux des freins à la mise en place de dispositifs de formations à distance adaptés aux réalités linguistiques locales. Car, comment ferait-on par exemple dans un pays comme le Cameroun où l’on recense plus de 200 langues locales ?
Bien que les langues internationales constituent parfois elles-mêmes des barrières à l’apprentissage selon les zones linguistiques (de nombreux francophones ne pouvent par exemple pas bénéficier de formations dispensées en anglais), il importe peut-être aussi de se poser la question de savoir ce que les pays africains auraient concrètement à gagner si ces formations à distance étaient dispensées dans leurs langues nationales. Une politique qui se heurterait sans aucun doute à plusieurs obstacles si tant il est vrai que dans des pays comme le Bénin l’usage des langues nationales en milieu scolaire est proscrit.
Au final, devrait-on prétexter le respect des cultures pour s'enfermer dans nos seules langues maternelles au point de boucher nos horizons ? Ou à l'inverse adopter l'anglais et oublier toute la richesse attachée à nos langues locales ? Le choix est, littéralement, impossible. Il nous faudra donc nous soumettre à une solution que nous n'aurons pas vraiment choisie. Mais n'est-ce pas déjà fait ?
Paul Prinsloo : The Tower of Babel : MOOCs, Online Learning, and Language... 27 novembre 2012.
photo : ¡Fgz! via photopin cc
Voir plus d'articles de cet auteur