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Publié le 05 mai 2013 Mis à jour le 05 mai 2013

Quand on fait dire n'importe quoi aux neurosciences

Les neurosciences sont utilisés à toutes les sauces, pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Les neurosciences essaient de comprendre cet organe vital ultrapuissant qu'est le cerveau, celui de toutes les espèces animales et celui de l'homme en particulier. Mais comme les autres sciences, il arrive que la neurobiologie soit détournée afin de lui faire dire absolument tout et n'importe quoi.

L'exemple de la neuroarchitecture

Fin 2010, un article du Wall Street Journal crée une vague d'intérêt pour un nouveau phénomène, la « neuroarchitecture ». Un décorateur d'intérieur aurait trouvé le moyen de créer une cuisine qui relaxe notre pauvre cerveau stressé. En effet, Johnny Grey, qui disait posséder des connaissances de neurosciences, affirmait qu'il existerait « un point de bien-être », un point G architectural en somme, qui favoriserait la détente et l'efficacité dans sa cuisine. Cette idée de « neuroarchitecture » a été puisée chez un neurobiologiste, John Zeisel. Cet article, publié sur le site Mind Hacks, décrit tout en le ridiculisant, le postulat du docteur Zeisel qui affirmait qu'il fallait que les maisons stimulent davantage les neurotransmetteurs comme l'endorphine pour que leurs habitants s'y sentent bien. Il aurait ainsi construit des instituts psychiatriques valorisant la lumière du soleil, l'eau et les jardins (la terre); ce qui stimulerait la sécrétion d'endorphine chez les patients et les aiderait à soigner les parties malades du cerveau.

Si les grands médias n'ont jamais remis en question ces principes, des sceptiques – comme le blogueur Neurocritic – ont rapidement publié leur vision de ces « découvertes ». Car ces gens savent bien que l'endorphine est certes libérée quand nous éprouvons du plaisir, mais aussi dans bien d'autres états émotionnels comme la peur ou la peine. Ainsi, l'équation « endorphine = plaisir » ne tient pas.

La mésaventure de la « neuroarchitecture » montre bien qu'à partir de quelques données de base en neurologie, augmentées de quelques éléments à l'allure vaguement scientifique, on peut bâtir une pseudo-théorie trop belle (et surtout trop simple) pour être vraie.  Pour le Neurocritic, l'étude sur le « point de bien-être » n'illustre que trop bien à quel point les gens sont prêts à gober n'importe quoi si le discours contient des neurosciences, de préférence bonnes pour la santé et le moral.

L'éducation aux neurosciences

Justement, pourquoi devenons-nous si crédules dès que sont citées les neurosciences dans un article? Jusqu'à une époque récente, les comportements humains étaient analysés surtout par la psychologie et la philosophie. Ces sciences humaines n'ont pas disparu, mais la plupart des personnes savent que ces sciences sont réfutables. Les théories qu'elles promeuvent sont difficiles à prouver puisqu'il est pratiquement impossible de bâtir une procédure expérimentale afin de les vérifier. Ce qui fait pencher ces disciplines du côté des interprétations plutôt que des vérités objectives, et génère de la méfiance chez de nombreuses personnes. 

Les neurosciences, au contraire, offrent un tas de statistiques et de protocoles qui rendent alors les conclusions d'études irréfutables aux yeux du grand public. Un mauvais réflexe qui mène à des dérives où certains essaient de détourner de réelles recherches crédibles ou de publier des conclusions scienytifiquement douteuses. Encore récemment, le Neurocritic a mis son grain de sel à propos d'une étude étrange qui affirmait que pour se remémorer de quelque chose, il suffirait de serrer fortement le poing. Ou sur une supposée « tache sombre » dans le lobe central du cerveau expliquant le sens du mal chez l'humain... cette formulation s'avérant être une interprétation journalistique erronée d'une recherche bien réelle, obligeant d'ailleurs le chercheur allemand à rectifier le tir dans les médias pour sauver sa réputation. D'ailleurs, comme l'indiquent le docteur Roth et le Neurocritic, il aurait suffi d'une simple recherche de la part des journalistes sur les publications en question pour savoir que le lobe central n'existe tout simplement pas.

Alors, que faire pour ne pas tomber dans le piège des neurosciences utilisées à toutes les sauces? Comme pour tout ce qui transite par les médias, il serait peut-être nécessaire d'adopter une position critique par rapport aux publications de résultats d'études et aux visualisations obtenues par résonance magnétique. Certes, le sujet est complexe, mais il ne faut pas se laisser intimider par les chiffres et le jargon scientifique et vérifier le protocole utilisé par les scientifiques pour arriver aux conclusions présentées. Heureusement pour les profanes, il existe des vulgarisateurs comme NeurocriticNeuroskeptic ou MindHacks qui interrogent et vérifient systématiquement les publications concernant des découvertes dans le champ des neurosciences et nous apprennent, par leurs analyses, comment discerner les résultats dignes d'intérêt de ceux qui n'ont pas de sens. À quand la venue de pendants francophones de ces blogueurs ?

RÉFÉRENCES :

Sussan, Rémi. "Peut-on mettre les neurosciences à toutes les sauces ?" InternetActu.net. Dernière mise à jour: 4 janvier 2011. http://www.internetactu.net/2011/01/04/peut-on-mettre-les-neurosciences-a-toutes-les-sauces/

Loader Wilkinson, Tara. "Interior Designer Johnny Grey Combines Psychology and Neuroscience to Create Custom-Tailored Kitchens" The Wall Street Journal - 3 décembre 2010 http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704693104575638641088853662.html.

Mind Hacks. "Building on brain clichés « Mind Hacks." Last modified 20 septembre 2007. http://mindhacks.com/2007/09/20/building-on-brain-clich%E2%88%9A%C2%A9s/.

The Neurocritic. "The Neuroscience of Kitchen Cabinetry." 5 décembre 2010. http://neurocritic.blogspot.ca/2010/12/neuroscience-of-kitchen-cabinetry.html.

The Neurocritic. "Want to remember something? Clenching your fist doesn't help!" 28 avril 2013. http://neurocritic.blogspot.ca/2013/04/want-to-remember-something-clenching.html.

The Neurocritic. "The 'evil patch' in the brain's central lobe." 5 février 2013. http://neurocritic.blogspot.ca/2013/02/the-evil-patch-in-brains-central-lobe.html.

Lallanilla, Marc. "Brain Area 'Where Evil Lurks' Doesn't Exist: Neurologist | Gerhard Roth Dark Mass | LiveScience." LiveScience.com. 6 février 2013. http://www.livescience.com/26918-gerhard-roth-brain-area-evil.html.

Illustration : PRESNIAKOV OLEKSANDR, shutterstock



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