« À qui sait attendre, le temps ouvre ses portes ».
Ce proverbe chinois empreint de sagesse nous porte à réfléchir sur la patience, le temps, l’histoire et la connaissance.
Non, il n’est pas question de philosophie aujourd’hui, mais plutôt d’un retour dans le temps, un voyage dans le passé avec pour cadre la recherche des langues, ou plutôt comment les langues ont su passer outre le temps en franchissant les frontières temporelles.
Pour illustrer ce passage, je vous propose un voyage initiatique en quête des pétroglyphes, puis, par un exemple concret et précis, de redécouvrir le français d’Acadie afin de tenter de répondre à la question suivante : les langues sont-elles intemporelles ?
La quête des pétroglyphes
Le voyage d’initiation commence par une découverte linguistique si ancienne qu’elle date de l’apparition de l’Homme sur la Terre. Plus ancienne que l’invention de l’écriture, qui date tout de même du IVe millénaire avant Jésus-Christ, avec la population de l’Indus et les Mésopotamiens, les premiers pétroglyphes auraient vu le jour aux environs de 10.000 av. J.-C. Cette proto-écriture peut être associée à l’art rupestre des peuples préhistoriques néolithiques, tout comme les pictogrammes et idéogrammes, un semblant de langue en devenir… Qui plus est, on les retrouve sur tous les continents, excepté l’Antarctique.
Le mot pétroglyphe provient des mots en grec ancien πέτρος, pétros (« pierre ») et γλυφή, gluphḗ (« gravure ») et représente un dessin symbolique gravé sur de la pierre, par incision, frottement ou pulvérisation.
Bien qu’utilisés du néolithique à la fin du paléolithique pour être par la suite remplacés par des systèmes d’écriture plus avancés tels que les pictogrammes et les idéogrammes, certains peuples «primitifs» ont pourtant continué à utiliser ce système de communication jusqu’au XXe siècle, moment de la rencontrer avec les civilisations occidentales.
Bien qu’il soit difficile de parfaitement traduire les pétroglyphes, les scientifiques s’accordent sur le fait qu’ils représentent un langage symbolique ou rituel.

Le professeur Barry Fell, de l’Université Harvard, proposa même une explication de son déchiffrage (controversé) de certains pétroglyphes situés en Virginie Occidentale (États-Unis), qui seraient une transcription de l’Ogam, écriture irlando-celtique du VIe au VIIIe siècle. Il aurait réussi à associer des glyphes aux consonnes, mais d’un point de vue linguistique, les spécialistes demeures très suspicieux et remettent en doute la découverte de ce savant. Le mystère demeure donc !
Un autre mystère qui persiste est le fait que d’un continent à l’autre, d’une culture à l’autre, on retrouve les mêmes pétroglyphes, notamment des « hommes-soleil ». Décidemment, outre les frontières temporelles, les frontières culturelles semblent se dissoudre !
Retour en Acadie
Le voyage dans le temps se poursuit. Cette fois, avec un clin d’œil historique, celui du Grand Dérangement, à savoir la déportation des Acadiens en 1755, du Canada vers le reste du monde. Le 15 août, c’est la fête nationale de l’Acadie, qui regroupe aujourd’hui les provinces maritimes du Canada : le Nouveau-Brunswick, l’île du Prince-Edward, la Nouvelle-Écosse, mais aussi une partie du Maine (États-Unis) et du Québec. Cette population représente environ 500.000 personnes (2009) dont l’identité culturelle et linguistique est encore très forte de nous jours. Ils sont fiers de parler français et revendiquent leur patrimoine culturel historique. Mais au moment de la déportation de ces Acadiens, au tout début de la colonisation nord-américaine, quand ils ont été chassés par les Anglais, on peut s’interroger sur la langue qu’ils parlaient. Le français, certes, mais, est-ce le même que nous utilisons aujourd’hui ?
En 2019, pour célébrer cette fête, un jeune professeur de linguistique de l’UQAM (université du Québec à Montréal), Philip Comeau, a réalisé une capsule vidéo présentant la langue parlée lors du Grand Dérangement. En collaboration avec Melissa O’Neil de l’organisme Historica Canada, un scénario a été proposé dans le cadre des « Minutes du Patrimoine » : « Une Acadienne y raconte que ses ancêtres sont venus de France pour se bâtir une meilleure vie. On y voit des bateaux britanniques lors de la prise de possession des colonies françaises et la narratrice explique que les officiers ont séparé les hommes des femmes et des enfants. ».
Pour faire revivre ce français d’il y a plus de 250 ans, le linguiste a dû mener plusieurs investigations auprès des locuteurs les plus proches de ceux du français du XVIIIIe siècle, en Nouvelle-Écosse, connue pour être une province très conservatrice au niveau de sa langue.
Ainsi a-t-on pu, par le biais de ses différentes investigations, redécouvrir ce français du passé, à l’instar du son «è» en «a», typique du français acadien (par exemple, frAre au lieu de frÈre), mais aussi le R roulé (qu’on entend encore aujourd’hui en particulier dans la province du Nouveau-Brunswick). Outre le vocabulaire, la grammaire est également différente, comme «j’étions» (j’étais), conjugaison qui se retrouvait encore dans la France du début du XXe siècle. Tout cela nous permet de revivre notre langue dans le passé et de voir à quel point elle a évolué de nos jours.
Finalement, la langue, les langues et le langage en général, qu’il soit sous forme picturale ou orale a toujours fait partie de l’histoire du monde. Les traces laissées par nos ancêtres du passé nous permettent d’effleurer cette réalité linguistique qui était la leur.
En extrapolant un peu, ne peut-on même pas dire que les émoticônes que nous utilisons aujourd’hui allègrement dans nos communications virtuelles ne seraient-elles pas qu’une nouvelle version, modernisé des pétroglyphes et hiéroglyphes ? Les paroles s’envolent, mais les écrits restent, alors laissons nous aussi une trace de notre langue aux générations futures !
Sources et illustrations
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