Un curieux cycliste…
Il y a trois mois, je me suis rendu à la célébration du mariage d’un ami. Je m’y étais rendu à vélo. Durant les échanges au mariage, un des invités avec lequel j’avais entamé une conversation essayait de comprendre comment je pouvais être aussi bien sapé et utiliser une bicyclette pour me déplacer. Me connaissant professionnellement, il savait bien que je disposais bien de la capacité d’acquérir un véhicule ou au moins de pouvoir utiliser un Uber pour les déplacements pareils.
Cet homme, que j’appellerai « Daniel », n’est point le seul. À l’église, au travail et dans bien d’autres espaces publics où je me rends à vélo, je ressens toujours ce lourd regard inquisiteur et invisible des autres qui s’interrogent sur cet étrange bonhomme se rendant à vélo dans des endroits où l’on s’y attend le moins. Les plus curieux s’enquièrent parfois de savoir si cela n’était pas pénible ou « embarrassant » pour un homme de mon « calibre[1] ».
Ces regards inquisiteurs ou questions « curieuses » font désormais partie de mon quotidien. Du moins depuis quelques années, lorsque j’avais pris la ferme résolution d’intégré la simplicité comme principe de vie. À de nombreuses reprises, j’avais expliqué aux curieux et perplexes que l’adoption d’une bicyclette comme mode de transport privilégié à Accra (Ghana), était le fruit de 4 exigences :
- Écologique: Le vélo ne génère aucune production de CO2, étant ainsi bénéfique pour l’environnement. Au-delà des discours, de simples actions font une grande différence.
- Économique: j’économise énormément grâce au vélo. L’entretien d’une voiture est évidemment plus couteux et ma bicyclette satisfait amplement mes déplacements urbains.
- Santé: Se déplacer à vélo, permet de faire d’une pierre deux coups. En pédalant, on dépense de l’énergie corporelle et cela nous maintient en bonne santé physique et émotionnelle.
- Spirituel: En tant que Chrétien, nous sommes appelés à être modeste. Le choix de la bicyclette comme mode de transport, permet de s’associer plus facilement aux plus basses classes sociales et parfois de pouvoir mieux comprendre leurs réalités.
Je ne suis qu’une personne parmi tant d’autres[2], ayant délibérément opté pour la simplicité volontaire comme philosophie de vie[3]. Bien qu’au départ, cela fut apparemment simple, ce mode de vie devient de plus en difficile au fil du temps, surtout lorsque la vie en société s’est complexifiée[4]. Mon intention au travers de cet article, est de partager des astuces pratiques pouvant contribuer à une vie plus sereine et épanouie grâce à la simplicité volontaire, une attitude qui permet d’affirmer ses choix de vie, dans une société de surconsommation, en restant centré sur l’essentiel et la joie de vivre.
La simplicité comme alternative à la surabondance
Réfléchir à la simplicité conduit naturellement à s’interroger sur les équilibres, la sobriété, le minimalisme. Et la réflexion centrale à laquelle je nous invite est de savoir : « combien est assez » ? Comment définir l’équilibre, le minimal, le nécessaire ? Avons-nous vraiment besoin de plus d’argent, plus de voitures, plus de vêtements, de plus de divertissements et richesses pour être satisfait et heureux ? Devrait-on nécessairement avoir en surabondance afin de se sentir plus en sécurité, plus performants et acceptés par les autres ? Remplissons-nous nos vies d’activités et d’occupations continuelles pour fuir l’hideuse réalité, pour échapper aux questions existentielles exposant nos problèmes les plus profonds ? Et le COVID-19 était un appel à repenser la société de consommation ? Ne serait-il pas un clin d’œil du futur, sur la nécessité d’adopter des modes de vie plus simples, sobres et minimalistes ?
De tous temps, des humains se sont disputé les signes de la dominance sociale, du pouvoir, des richesses et ont passé leur vie à conquérir, accaparer, préserver[5]. La quête de l’excès, de l’affluence et abondance est désormais maladive.
Le philosophe Antisthène, qui était un disciple de Socrate, nous a conseillé de réduire les choses que nous possédons au strict nécessaire pour que nos âmes soient libres. En nous concentrant sur le strict nécessaire, nous créons l'espace émotionnel nécessaire pour nous concentrer sur une meilleure connaissance de nous-mêmes et, ce faisant, nous sommes mieux équipés pour vivre des vies plus simples et plus significatives.
Quand la complexité est célébrée, vivre simplement requiert plus de courage.
La simplicité est l’opposé de la complexité et diffère de la multiplicité. Aujourd’hui être simple est devenu complexe et être complexe est plutôt simple. La société nous conditionne naturellement à mener des vies artificielles, superficielles et matérielles où le bien-être est remplacé par le « bien-à-voir », le « bon-à-voir » et le paraitre.
Dans l’industrie médiatique, musicale, cinéma et culturelle en général, on célèbre davantage le vraisemblable que le vrai, à tel enseigne qu’il est devenu plus difficile de discerner le vrai de l’ivrai.
Dans un environnement pareil, il est plus difficile de vivre simplement, avec modestie et humilité car l’extravagance et le superflu sont davantage célébrés.
Vivre simplement requiert ainsi plus de courage et d’audace pour s’engager sur une voie alternative, différente ou radicalement opposée (parfois) à celle pratiquée par la majorité. Il s’agit de réfuter l’idée selon laquelle la croissance économique est indispensable au bonheur, en se mettant à consommer de façon raisonnable et sobre et donc à décroitre en se limitant uniquement à nos besoins réels[6].
Adopter donc une simplicité volontaire nécessite le courage de :
- Réduire ses achats pour se limiter au nécessaire
- Opter pour les sources d’énergies renouvelables pour modérer le réchauffement climatique ;
- Remettre en question le rapport au travail et redéfinir la notion de succès ;
- Lutter contre l’obsolescence programmée et le jetable
- Repenser le changement pour le changement et de la course aux innovations
Pour y parvenir, je vous suggère les 3 étapes ci-dessous :
- Première étape : réflexion
Établir une distinction entre les besoins, les désirs et le luxe[7].
- Deuxième étape : catégorisation
Une fois que nous distinguons clairement nos besoins (1) et nos désirs (2) du luxe (3), il est possible d’appliquer ces trois catégories à différents aspects de notre vie, comme les "biens matériels", le "temps", les "objectifs" ou les "relations". Par exemple, en ce qui concerne les biens matériels, nous pouvons nous demander quelles sont les choses indispensables pour mener une vie simple et pleine de sens ? Quelles sont les choses qu'il est agréable d'avoir et quelles sont les choses extravagantes et peut-être inutiles ?
- Troisième étape : priorisation
Réfléchir sur la pertinence de chaque action ou activité aide à se concentrer sur l’essentiel. Notre capacité à dire oui aux choses et activités significatives et non aux choses et activités inutiles est un pas précieux dans la bonne direction. Il est préférable de commencer par les nécessités, puis d'ajouter les désirs ou les luxes supplémentaires, plutôt que de commencer dans l'autre sens. Priorisez et concentrez-vous d’abord sur les nécessités de la vie : sur votre santé, sur votre attitude positive, sur votre famille, vos amis et sur l'aide aux autres. C'est le secret pour vivre une vie simple et pleine de sens.
La simplicité, une porte vers la liberté ?
Au-delà d’être un simple concept philosophique, la simplicité doit s’exprimer dans notre manière de vivre, dans nos décisions et relations avec les autres. Lorsqu’on a véritablement adopté la simplicité comme philosophie de vie, nos propos deviennent vrais et honnêtes, la convoitise pour le pouvoir et les positions s’estompe. On cesse d’être extravagant, ne cherchant plus à se faire voir, pour voir davantage les besoins des autres. On réalise soudainement qu’il est possible de vivre pleinement et profondément avec peu.
Il devient donc de plus en plus nécessaire de repenser les modèles de « réussite » sociale, de redéfinir les paradigmes du succès et d’adopter des modèles minimalistes ou ‘frugalistes’ pour vivre pleinement et harmonieusement en société.
Nous devons cesser de définir la valeur intrinsèque des personnes par leur avoirs pour prendre plus en compte la qualité de leur être. En adoptant ainsi la simplicité comme mode de vie, on se libère de la compétitivité malsaine et quête perpétuelle pour le pouvoir, les positions, les possessions. Je n’encourage point l’ascétisme[8], mais souligne la nécessité d’être équilibré en ne devenant point esclave de l’accumulation ou privation[9] des richesses au détriment de notre bien être personnel et communautaire.
La simplicité volontaire est une démarche personnelle, encore très minoritaire dans le monde et même en Afrique où je vis, car la majorité des personnes qui atteignent un certain rang socio-économique, s’empressent de l’extérioriser. Mon souhait est de voir cette philosophie de vie être démocratisée, devenir contagieuse et faire davantage d’émules.
Nombreux réaliseront que le secret du bonheur n’est point dans l’accumulation des biens mais dans le partage, dans la simplicité. Adopter cette philosophie alternative à la vie en société conduit naturellement à vivre autrement, différemment, pleinement, libéré de l’angoisse du paraitre et du pouvoir d’achat.
Références
[1] Pour emprunter leurs mots. Il leur était difficile de comprendre pourquoi un consultant international ayant animé une formation professionnelle de haut niveau dans un hôtel chic de la ville, pouvait emprunter une bicyclette pour retourner à son domicile.
[2] Il existe des associations de personnes ayant adopté le minimalisme et la simplicité comme principe de vie au Canada, en Europe et en Amérique du Nord. Vous pourriez découvrir l’une de ces associations ici :
[3] Je considère la simplicité comme une philosophie parce que cela fait appel à la conscience et la réflexion dans l’acte même de consommer.Une conscience qu’au-delà d’un certain seuil de confort ma satisfaction est suffisante à mon épanouissement, une conscience sur la nature de mes désirs : ceux qui touchent à mon être profond, au sens de mon existence, à ma singularité, ceux plus superficiels liés au paraître, au mimétisme social, à la rivalité, ceux carrément induits par le conformisme ou la publicité.Et d’autre part, une réflexion sur la réalité de mes besoins, sur les diverses façons de les satisfaire, sur l’évaluation des avantages immédiats et des effets négatifs à plus long terme.
[4] Avant la révolution industrielle et technologique, les temps étaient durs, la rareté était la règle, l’abondance l’exception. Mais après les progrès scientifiques et techniques, l’accès au confort a été démocratisé et on a rapidement vu naitre la « société de consommation » caractérisée par une course à l’abondance, à la croissance et les conséquences qui en découlent, surtout sur l’environnement. Au fil du temps donc, la complexité et la multiplicité furent célébré au détriment de la simplicité et du minimalisme. Avec l’épuisement des ressources, il fut nécessaire de trouver des politiques alternatives, de cultiver une prise de conscience collective et les concepts de décroissance, de frugalité conviviale, de simplicité volontaire revinrent dans l’actualité depuis la fin des années 80.
[5] Boutemy Jean-Claude, « La simplicité volontaire, une philosophie de vie », consulté le 29 juin 2021, http://www.lvn.asso.fr/spip.php?article980
[6] Marianne Mercier, « La simplicité, le luxe suprême », La Pause Philo (blog), 24 septembre 2015, https://lapausephilo.fr/2015/09/24/la-simplicite-est-la-sophistication-supreme-version-allongee-leonard-de-vinci/
[7] Dundon Elaine, « Finding Meaning in the Simplicity of Life | Psychology Today », consulté le 29 juin 2021, https://www.psychologytoday.com/us/blog/the-search-meaning-after-age-50/202106/finding-meaning-in-the-simplicity-life
[8]Je considère la simplicité comme ce juste milieu entre l’ascétisme (renoncement aux possessions) et le matérialisme (accumulation excessive de possessions). La simplicité est ainsi salutaire avec pour bénéficiaire ultime la communauté alors que l’ascétisme et le matérialisme sont des excès avec pour bénéficiaire ultime l’individu.
[9] L’ascète se prive volontairement des plaisirs de la vie matérielle dans sa recherche d’une vie spirituelle plus intense, alors que l’adepte de la simplicité volontaire ne fuit pas le plaisir, puisqu’il cherche à s’y épanouir pleinement, mais il a compris qu’il ne peut y arriver par les voies que lui offre la société de consommation. Donc vivre simplement n’est pas se priver d’un bien, mais choisir de le remplacer par autre chose qui apporte davantage.
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