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Publié le 15 février 2022 Mis à jour le 15 février 2022

Un Doctorat ? Et après ? [Thèse]

La professionnalisation du doctorat pour améliorer l’employabilité et la transition des jeunes docteurs.

Illustration inspirée de la couverture du roman « Le Guide du voyageur galactique » représentant une main tenant un diplôme de doctorat avec la mention « Don’t panic » soit « Ne paniquez pas »

Si j’étais à nouveau un jeune homme et devais décider comment gagner ma vie, je n’essaierais pas de devenir savant, chercheur ou enseignant. Je choisirais plutôt de devenir plombier ou colporteur, afin de trouver cette modeste part d’indépendance dont on peut encore bénéficier dans les circonstances présentes.

Albert Einstein — Physicien théoricien et plombier refoulé (1879-1955)

Le doctorat est un diplôme d’excellence reconnu internationalement se préparant généralement après un master de recherche sur une période de trois ans ou plus. Il s’agit du grade universitaire le plus élevé. Un doctorat peut être réalisé au sein d’une université, d’une école spécialisée ou encore d’un partenariat avec une entreprise privée.

Depuis la réforme Licence-Master-Doctorat (LMD), le doctorat est l’unique diplôme de troisième cycle dont le programme et l’intitulé sont fixés par chaque université. En soi, l’expérience d’un doctorat peut changer drastiquement en raison de nombreux facteurs comme la discipline, le sujet de recherche, mais aussi l’institution et les encadrants des candidats.

Lors d’un doctorat, le travail de recherche original du doctorant se cristallise sous la forme d’un manuscrit final : la thèse, suivi d’une présentation en public : la soutenance, pouvant aboutir à l’obtention d’un diplôme national de docteur. Ces travaux pourront également être publiés sous la forme d’articles validés par des pairs dans des journaux académiques spécialisés.

Et après ?

L’obtention d’un doctorat offre de nombreux débouchés propres à chaque filière ou modalités liées à la thèse. Ainsi, le jeune docteur peut s’orienter vers une carrière dans le monde académique, industriel ou autre.

Cependant, ce diplôme d’excellence est le plus souvent associé à une incertitude professionnelle. En effet, les opportunités d’emploi permanent dans la recherche publique s’amoindrissent en raison de réductions budgétaires tandis que le nombre de candidats augmente faisant exploser la compétition entre les candidats. Cette situation aboutit à une précarisation des emplois de la recherche sous la forme de Contrats à Durée Déterminée (CDD) sur le modèle de « recherche par projets ».

Le rêve d’un emploi à vie dans les métiers de la recherche publique semble s’éroder avec le temps, poussant les institutions, les programmes doctoraux ainsi que les docteurs à se réinventer professionnellement pour s’adapter à la compétitivité du marché et permettre leur insertion professionnelle.

Pourquoi le doctorat ? Pourquoi intégrer les docteurs dans les entreprises ? Quels sont les freins et leviers de la professionnalisation du doctorat ? C’est ce que se propose d’explorer Julien Calmand dans sa thèse intitulée « La professionnalisation du doctorat : vers une segmentation de la formation doctorale et des parcours des docteurs ? ».

Pourquoi lire cette thèse

Julien Calmand par son style et le développement clair de sa pensée offre au lecteur une thèse agréable à lire. L’ensemble des sujets abordés, en particulier la précarité des emplois dans la recherche publique, sont des sujets d’actualité pour de nombreux docteurs du monde entier, rendant les conclusions et propositions de l’auteur pertinentes. Le recours à des concepts bourdieusiens pour étudier le monde académique et la formation doctorale aboutit à un travail de recherche en sociologie captivant pour qui aime Bourdieu.  

Extrait

« Depuis plus de cinquante ans, l’accès des docteurs aux emplois permanents dans la recherche publique (université et établissements publics de recherche) demeure incertain dans les premières années qui suivent la thèse, que ce soit en France ou à l’étranger. Cette incertitude constitue une donnée inhérente au fonctionnement des recrutements aux emplois permanents dans la recherche publique, qui occupent une part importante dans les débouchés des docteurs.

Dans ces carrières, les places sont rares, le nombre de prétendants est élevé et la concurrence est rude. La file d’attente pour la stabilisation s’est en outre allongée au fil du temps. Depuis la crise de 1968, des tensions traversent régulièrement le monde universitaire : la question du statut dans l’emploi et des activités des divers acteurs sont au centre des conflits. Pour autant, le fonctionnement systémique des carrières ne permet pas à lui seul d’expliquer la précarité croissante dans les emplois de la recherche publique.

De nouvelles façons d’expérimenter la recherche et de nouveaux processus d’innovations se sont parallèlement imposés dans les laboratoires de recherche publique. La “recherche par projets” repose sur une forte division du travail au sein des centres de recherche, où elle s’appuie sur une main-d’œuvre flexible, favorisant l’emploi des docteurs en contrat à durée déterminée. En France, d’autres mouvements plus conjoncturels peuvent aussi expliquer la précarité des docteurs en début de carrière. Ainsi, sous les effets des politiques de réduction budgétaire engagées par l’État depuis de nombreuses années, la norme d’emploi statutaire s’érode dans la fonction publique : la part des emplois publics permanents décroît au profit d’emplois en Contrat à Durée déterminée (CDD) au point de remettre en cause l’idée d’“emploi à vie” dans les métiers de la recherche.
[…]
L’instabilité chronique et la faible intégration des docteurs dans les entreprises influencent les représentations de la transition de la thèse à l’emploi et questionnent la “rentabilité” du doctorat sur le marché du travail. Ces deux dimensions sont au cœur de la plupart des recherches en sciences sociales qui portent sur le devenir professionnel des docteurs que ce soit en France ou à l’étranger.

Ainsi, à partir de l’exploitation d’enquêtes statistiques, leur processus d’insertion est jugé “difficile” et leurs trajectoires présentées comme “chaotiques” au regard des autres diplômés de l’enseignement supérieur notamment en comparaison avec les diplômés des grandes écoles. Là aussi, les comparaisons internationales suggèrent l’existence d’une “exception française” puisqu’ailleurs, le doctorat assure une plus-value sur le marché du travail au regard des diplômes de niveau inférieur.

Nous défendons ici l’idée que les débuts de carrières chaotiques des docteurs et leur instabilité chronique dans la recherche publique, associée à leur faible intégration dans les entreprises, sont à l’origine des réformes structurelles des formations doctorales à partir du milieu des années 2000, dans un contexte de chômage de masse des jeunes. Nous résumons l’ensemble de ces réformes par le terme de “professionnalisation” de la formation doctorale, du doctorat et des docteurs, qui constitue l’objet central de la thèse.

Le processus de professionnalisation de la formation doctorale s’inscrit dans celui, plus ancien, de professionnalisation de l’enseignement supérieur depuis 2007 et la mise en place de la Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités (LRU). Dans un double mouvement, à la fois exclusif et inclusif, le processus de professionnalisation du doctorat repose sur le développement, au sein du système éducatif, de formations dites générales opposées aux formations dites professionnalisantes. Si le mouvement de professionnalisation des formations de l’enseignement supérieur a été largement analysé par les recherches en sciences sociales, les objectifs, les mouvements et les conséquences de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur ont été peu étudiés en ce qui concerne la formation doctorale.
[…]
Ce sont à la fois les effets de la professionnalisation des formations de l’enseignement supérieur sur les parcours scolaires et professionnels des jeunes qui seront étudiés. Dans ce domaine, d’abondantes publications ont contribué depuis trente ans à diffuser l’idée que le devenir professionnel des docteurs serait plus “difficile” que celui des autres diplômés de l’enseignement supérieur, justifiant pour partie les réformes en faveur de la professionnalisation du doctorat.

Légitimées par les données statistiques, ces publications ne décrivent cependant pas précisément comment s’opère la transition professionnelle une fois le diplôme de doctorat obtenu. Nous proposons donc de repenser le processus de transition de la thèse à l’emploi en nous appuyant à la fois sur des matériaux sociologiques et de nouvelles enquêtes statistiques.

Interroger les effets de la professionnalisation du doctorat nous amène enfin à discuter la controverse sur le statut des docteurs. L’un des principes de la professionnalisation de la formation doctorale, qui considère la thèse comme une expérience de travail et les doctorants comme des professionnels en situation d’emploi, se heurte en effet à la diversité des conditions de réalisation de la thèse, certains doctorants, par exemple, se considérant au contraire comme des étudiants. Aussi, est-il difficile de trancher sur le statut de la transition de la thèse à l’emploi : insertion professionnelle ou poursuite de carrière ? »

Principaux résultats

Les travaux de Julien Calmand semblent montrer que le processus de professionnalisation du doctorat visant à améliorer le devenir des docteurs et favoriser leur intégration en entreprise reste inachevé.

Parmi les nombreux résultats recueillis, certains semblent indiquer un changement des choix de carrière des jeunes docteurs avec une augmentation des carrières en dehors de la recherche publique ainsi qu’une hausse des docteurs employés dans le privé. Cette corrélation semble indiquer une amélioration de l’adéquation entre le projet professionnel en fin de thèse et le devenir professionnel des sujets étudiés.

De plus les recherches menées par Julien Calmand mettent en évidence que les ressources mises en place dans la professionnalisation du doctorat restent rares et inégalement réparties pouvant donner lieu à des inégalités dans les capitaux acquis lors du doctorant, limitant certains docteurs sur le marché du travail comme ceux appartement à des disciplines sans liens avec le champ économique.

Perspective

Cette thèse permet de découvrir, d’observer et d’envisager l’évolution des dispositifs mis en place afin de permettre l’adaptation du doctorat à l’hypercompétitivité du monde du travail.

Ne paniquez pas ! Tout n’est pas si sombre. Julien Calmand propose une forme de numerus clausus offrant une meilleure régulation des entrées en doctorat adaptées aux besoins d’encadrement dans les universités et aux positions permanentes. D’une part cela permettrait au doctorat de devenir le premier grade du corps des enseignants-chercheurs en garantissant la stabilité en début de carrière. Et d’autre part, le mode de sélection par concours permettrait de réduire les facteurs arbitraires ponctuant les parcours doctoraux.

Pour l’auteur, un tel système permettrait la mise en place d’une pédagogie adaptée à l’enseignement supérieur sur le long terme, associée à la transmission d’une culture professionnelle tout en autorisant les mobilités des docteurs vers le privé.

Et vous alors ? Si c’était à faire ou à refaire, seriez-vous docteur ou plombier ?

Bonne lecture !

Thèse soutenue le 15 décembre 2020. Travail réalisé à l’université Bourgogne Franche-Comté à l’IREDU (Institut de Recherche sur l’Éducation : Sociologie et Économie de l’Éducation) au sein de l’école doctorale ED SEPT (Sociétés, Espaces, Pratiques, Temps) : ED 594 (Université Bourgogne Franche-Comté) (Dijon — France).

Sources

Thèse

Julien Calmand. La professionnalisation du doctorat : vers une segmentation de la formation doctorale et des parcours des docteurs ? Éducation. Université Bourgogne Franche-Comté, 2020. Français. ⟨NNT : 2020UBFCH027⟩. ⟨tel-03202061⟩

Liens

Page : https://memsic.ccsd.cnrs.fr/IREDU/tel-03202061v1

PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03202061/document


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