Autrefois, il y a au moins cinq ans, notre principal espace personnel numérique était le "bureau" de notre poste informatique. Fichiers et dossiers y étaient rangés comme des chemises cartonnées sur des étagères, et nous avions tout sous la main.
Aujourd'hui, notre espace personnel virtuel s'est tant élargi que nous avons besoin de "cartes" pour nous y repérer. Les données que nous utilisons sont en effet de plus en plus souvent "dans les nuages", c'est à dire stockées dans de mystérieux endroits dont nous ignorons la localisation physique, mais que nous aimons retrouver à coup sûr sur la grande toile.
Et puisque nous utilisons des "cartes", nous devons acquérir des compétences de "navigation", cette dernière se substituant progressivement au "surf" rapide et ludique.
La carte, métaphore spatiale
Il n'est pas étonnant alors que les cartes figurent parmi les outils de représentation préférés des infographistes. Mais le mode de représentation cartographique est-il universel ? Et de quelles cartes parle t-on ?
Dans un article intitulé "The map as metaphor", Michiel de Lange s'interroge sur l'universalité de la métaphore cartographique : "La carte est-elle réellement une métaphore universelle ? Les personnes de toutes les cultures ont-elles la même capacité "naturelle" à comprendre la vue panoramique surplombant l'espace, le territoire et les routes ?" Il semblerait effectivement que la représentation cartographique soit universellement partagée. M. de Lange mentionne un travail de recherche effectué auprès de populations africaines nomades, qui a mis en évidence que l'individu dessine spontanément une carte lorsqu'il veut indiquer un itinéraire ou la distribution d'éléments sur un territoire.
Mais M. de Lange ajoute immédiatement que toutes les cartes ne se ressemblent pas.
Pour représenter l'espace du web, les infographistes utilseront volontiers la métaphore du plan de métro, en associant les sites importants aux stations, et les liens entre sites aux lignes. c'est ce que réalise depuis plusieurs années l'agence tokyoïte Information Architects, avec des cartes qui ont un grand succès. En voici une récente édition, qui utilise la métaphore du métro de Tokyo pour représenter le web :

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Partant d'un autre exemple qui faisait également entrer en jeu une représentation proche d'un plan de métro, M. de Lange affirme : "Aux cartes sont attachées des connotations culturelles, des qualités implicites qui réfèrent aux conditions de vie urbaine : 'l'urbanité métropolitaine', 'le flux', 'le transport', 'les carrefours'". On imagne effectivement que l'habitant d'une région désertique se repérera plus aisément sur la carte du Sahara que sur le plan de métro d'une grande métropole. Songez seulement qu'il y a quelques années seulement, j'ai rencontré des gens en Mauritanie qui, après une vie entière de nomadisme saharien, n'avaient jamais vu plus d'un arbre à la fois... Nous mesurons là la relativité de nos représentations, fortement dépendantes de nos expériences de vie.
La carte, métaphore conceptuelle
La carte est également largement employée en tant que métaphore conceptuelle, pour représenter non des espaces, fussent-ils virtuels, mais des idées, des concepts.
La carte de voeux du département de l'innovation et expérimentation de l'Académie de Paris, adressée aux enseignants, a fait le tour du web à partir du moment où elle a été placée sur Youtube. La "carte" de voeux se confond ici avec la "carte" géographique :
Cette métaphore cartographique est, encore plus que les cartes utilisées comme métaphores spatiales, saturée de références culturelles :

- Elle réfère explicitement à la Carte du Tendre, imaginée par Mme de Lafayette au XVIIe siècle pour symboliser le territoire de l'amour;
- Elle réfère encore plus explicitement à la carte de l'Ile au Trésor, qui se situe au coeur du roman éponyme de Stevenson;
- Elle renvoie également à Tintin et à ses aventures autour du monde, au travers de la police de caractères employée pour les incrustations de texte.
Au travers de cette carte, nous percevons donc un mélange de références à la culture classique et à la culture populaire, qui ramène le destinataire à la fois à sa culture d'adulte et à sa culture d'enfant. Ce qui est particulièrement habile pour le public enseignant, à la fois population réputée cultivée (au sens social du terme) et en contact permanent avec des enfants dont il partage inévitablement queques arpents de culture "jeune".
La carte en tant que métaphore privilégiée d'espaces et de concepts sans réalité physique semble donc avoir de beaux jours devant elle. Mais seuls les publics en possession de ses références culturelles l'appréhenderont de manière pertinente. Il convient donc de veiller à choisir la "bonne" représentation, celle qui parle à ceux qui la regardent.
The map as metaphor, blogue "The Mobile City"
2010, une chasse au trésor pédagogique, site de l'Académie de Paris.
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