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Publié le 28 avril 2010 Mis à jour le 28 avril 2010
Claire Belisle, ingénieure de recherche au CNRS (France) en sciences humaines et sociales, québécoise d'origine, connaît bien les questions liées à l'interculturalité et celles qui ont trait à la mise en place de parcours de formation à distance. Elle a publié en 2008 un long article intitulé "eLearning and intercultural dimensions of learning theories and teaching models", dans la série des eLearning papers publliés par la Commission européenne.
L'Europe est en effet un territoire dans lequel la question de l'interculturalité se pose avec acuité, compte-tenu du nombre de cultures nationales et de langues qui constituent le patrimoine des Européens. Cette préoccupation d'interculturalité se traduit par l'enseignement obligatoire, dans les écoles de l'UE, d'une, voire deux langues étrangères et par l'effort effectué pour promouvoir toutes les langues d'Europe.
Les professeurs de langues ont donc été les premiers à intégrer des préoccupations interculturelles à leurs cours. Mais, souligne C. Belisle qui cite là M. Byram, "il était habituel d'enseigner les langues au secondaire comme si les élèves devaient faire du tourisme dans les pays étrangers. Ils disposaient du minimum linguistique pour survivre dans de telles situations de vacances, et on leur fournissait des informations utiles mais superficielles sur les pays en question. Ceci n'avait aucune influence sur la perception de leur propre identitié et sur celle des autres.; ils étaient implicitement invités à consolider leur ancrage dans leurs propres valeurs et culture".
Aujourd'hui, la mobilité européenne aidant, tout Européen a des chances d'être amené à travailler à l'étranger, ou à travailler chez lui avec des collègues étrangers. Il lui faut donc d'autres compétences, interculturelles et non pas exclusivement linguistiques, qui lui permettront d'aborder "l'Autre" avec tolérance, respect, empathie et flexibilité.
C. Belisle défend la thèse selon laquelle l'usage des TIC en cours de langues contribue à atteindre cet objectif complexifié et élargi. Les environnements d'apprentissage immersifs, l'interaction incontournable avec le programme, et surtout l'interactivité qui met l'apprenant en situation de communication avec des pairs parfois fort éloignés, constituent des éléments facilitants.
Mais se pose alors une autre question, celle qui, finalement, intéresse le plus l'auteure de l'article : quel modèle culturel transparaît au travers des dispositifs d'enseignement utilisant les TICE, ou les dispositifs de eLearning ? La réponse à cette question s'effectue selon deux axes.
Les tâches induites par la conception et l'animation d'une séquence d'enseignement à distance contraignent l'enseignant à se poser la question de son propre système de références, de sa culture pédagogique. En effet, C. Belisle signale qu'on a un peu trop tendance à associer automatiquement TIC et constructivisme, comme si les outils étaient intrinsèquement porteurs d'une théorie de l'apprentissage favorisant la construction des savoirs en situation par l'apprenant. Or, il n'en est rien, et l'auteure donne des exemples d'usages finalement très behavioristes (privilégiant la réponse normée à une situation répétitive) des TIC. Le fait de favoriser l'activité de l'apprenant, qui semble acquis dans la majorité des parcours d'eLearning de qualité, ne suffit pas à l'engager dans la construction singulière des savoirs. C. Belisle invite donc tous les enseignants d'Europe à faire le point sur la théorie de l'apprentissage et le modèle d'enseignement qu'ils privilégient, de manière à être bien conscients qu'il s'agit d'un système de références parmi d'autres, qui peut ne pas être partagé par les apprenants.
Mais les TIC se jouent des frontières et des cultures nationales. L'expression est sans doute un peu excessive, mais elle témoigne malgré tout d'une réalité : la généralisation d'usage des TIC a provoqué de profonds changements dans la manière d'appréhender le savoir. Elles sont porteuses d'une nouvelle culture de l'apprentissage, supranationale, à laquelle doit répondre un nouveau modèle pédagogique.
Car aujourd'hui, le défi des institutions éducatives n'est plus de permettre l'accès à un corpus déterminé de savoirs, mais plutôt d'accompagner les apprenants dans la maîtrise d'informations et savoirs toujours plus nombreux et plus facilement accessibles.
Pour illustrer son propos et montrer quelques-uns des changements que doivent opérer les systèmes éducatifs nationaux, C. Belisle analyse trois situations problématiques, familières aux enseignants.
A/ Le plagiat. L'abondance des ressources académiques mises à dispostion sur Internet et la facilité technique à opérer un copier-coller de ces ressources ont fait exploser les pratiques de plagiat. Les institutions éducatives luttent tant qu'elles peuvent contre ce "fléau", même si certaines d'entre elles reconnaissent que la technologie est moins en cause ici que la culture du partage des ressources qui domine sur Internet, comme le soulignait D. Peraya dans une intervention à l'Université de Montréal. C. Belisle préfère déplacer le problème et interpelle les institutions : pourquoi s'obstiner à exiger des écrits originaux de la part des étudiants, quand c'est leur faculté à identifier, évaluer, synthétiser et présenter l'information préexistante qui est devenur la compétence clé, qui leur sera utile à long terme ? L'agencement personnel des ressources, qui permet de leur donner un sens en fonction du contexte, est en effet une pratique essentielle facilitée par la numérisation. Pratique qui semble d'ailleurs remise en cause par de nouveaux supports, tels l'iPad, qui remet les textes "sous un écran de verre" en interdisant la sélection de fragments et le copier-coller, comme le mentionne Steven B. Johnson dans une récente allocution.
B/ La tension entre l'apprentissage collectif et l'évaluation individuelle. C. Belisle souligne que le travail collaboratif est à la fois privilégié aujourd'hui par la majorité des organisations de travail, où il devient très difficile d'évaluer la part individuelle dans les productions matérielles et imméatérielles, et par les apprenants eux-mêmes qui, au travers des réseaux sociaux, collectivisent des parts de plus en plus importantes de leur vie et de leurs apprentissages formels et informels. Pourtant, nombre d'institutions éducatives continuent d'appliquer des évaluations individuelles, qui se trouvent donc en décalage avec les pratiques effectives et à acquérir par les apprenants, dans la perspective de la construction de leurs compétences citoyennes et professionnelles. Il est temps de reconsidérer les pratiques d'évaluation, pour intégrer une réalité fortement encouragée par les TIC.
C/ La nécessité d'acquérir une pensée critique réflexive. L'auteure prend acte de la prolifération de ce qu'elle appelle les "ego littératures", c'est à dire les ressources personnelles produites grâce aux outils numériques, qui ont fait s'effondrer le système de hiararchie des ressources propre au système de publication écrite. Sur Internet, tout se vaut. Ceci ne favorise pas l'émergence d'une pensée critique, comme en témoignent d'ailleurs les réactions, visibles dans les commentaires présents sur les blogues et les pages personnelles des sites sociaux, qui oscilent fréquemment entre l'éloge aveugle et l'agressivité gratuite. La pratique du trolling ne pouvant ici être assimilée à une pensée critique et constituant un véritable fléau, comme nous l'évoquions dans cet article. La construction d'une pensée critique et réflexive, puisque tout un chacun est amené à exposer ses publications au public, constitue donc la priorité absolue des missions des institutions éducatives.
Il n'est pas dit que, même immergés depuis l'enfance dans le monde numérique, les étudants de tous pays et toutes cultures adhèrent à ce nouveau modèle et s'adaptent sans broncher à un enseignement fortement constructiviste. L'enseignant doit donc s'attendre à des résistances, aussi bien au niveau de son institution qu'à celui des apprenants. L'expression d'une pensée critique réflexive, pour ne prendre que cet exemple, est en effet perçue par certains comme une compétence essentielle, alors que d'autres y verront surtout de l'impertinence, de l'arrogance ou même un délit susceptible de mener son auteur en prison.
Cet article avait écrit en 2008, année européenne du dialogue interculturel; 2010 a été décrétée par l'UNESCO année internationale du rapprochement des cultures. Les éducateurs ont leur part à jouer dans l'atteinte de ces nobles aspirations. Ils doivent être conscients de leurs modèles théoriques, et de ceux que véhiculent les apprenants en contexte multiculturel. Surtout, ils doivent investir massivement la culture née de la généralisation des TIC, et compter avec la transformation du rapport au savoir qu'elles ont engendrée.
L’e-learning et les dimensions interculturelles des théories d’apprentissage et des modèles d’enseignement. C. Belisle, eLearning papers n° 7, février 2008, résumé en français, article en anglais. Téléchargeable en pdf.
Illustration : VLADGRIN, Shutterstock.com
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