Pratiquer seul ?
On peut pratiquer le yoga seul sans professeur :
avec des vidéos,
des podcasts, avec des consoles de jeux comme la Wii,
avec des livres, des schémas, des photos
commentées, des cours express d'initiation. Malgré la qualité des ressources en ligne ou des supports,
l'absence de face à face et de suivi (la plupart des sites ne
proposent pas l'accompagnement d'un professeur) sont probablement
pour cette activité la plus forte cause d'abandon. Comme le dit
l'auteur du blog du yoga au quotidien, « Sans
professeur, vous n'aurez jamais de corrections et donc ce sera
beaucoup plus difficile de pratiquer correctement. En outre,
pratiquer le pranayama (exercice de respiration) sans assistance au
départ, s'avère compliqué. Et du yoga sans pranayama, c'est
vraiment comme rouler dans une voiture sans batterie. C'est
absolument inefficace. »
Respiration alternée - Pranayama par inghtthebo
Une parole particulière
Le yoga est très dépendant
de la parole du professeur, de la richesse de ses descriptions de
postures, de l'univers qu'il évoque pour renforcer les
visualisations. C'est un mélange habile de consignes précises,
progressives, d'encouragements, d'échappées vers des images
évocatrices de matières et de couleurs, de descriptions de
l'anatomie pour faire entrer chacun dans la sensation de son propre
corps.
La parole est un fil qui structure le temps de chaque séance
mais contrairement à l'enseignement magistral, elle ne laisse pas le
groupe dans la passivité, elle oblige à l'action.
Un bon professeur de yoga ne
doit pas heurter des croyances, des valeurs et son approche doit
mesurer soigneusement l'impact de ses paroles, qui éviteront de
sonner comme une langue de bois ou de provoquer des fermetures
affectives. Dans un groupe en effet, comment parler d'une discipline
du corps et de l'esprit sans passer par une grille trop médicale,
scientifique, qui serait celle des soignants, ou une grille trop
performante qui serait celle des professeurs de gymnastique, ou
encore une grille dangereusement mystique qui serait celle des
sectes ?
Une présence qui oblige
Le mot « yoga »
a un sens particulier depuis son origine : c'est le fait
d'atteler des chevaux à un char, puis par dérivation le fait de
s'atteler soi-même à une tâche. Ce sens est fondamental dans
l'apprentissage : l'engagement implique de s'attacher fortement
à un rituel, une habitude, un intérêt et d'en faire un des pivots
autour duquel on va faire tourner sa vie. Lorsqu'on commence
l'apprentissage de quelque chose, on s'y lie d'une façon ou d'une
autre, et pas toujours dans le désir ou le plaisir. L'enseignant
c'est celui qui est chargé d'assurer la constance et la répétition,
de rappeler qu'il y a une voie qui mène à un enrichissement d'équilibre, de santé et de bien-être à travers la
contrainte. Cette contrainte est dosée par le professeur en fonction
de la motivation qu'il sent chez chaque personne. C'est donc à lui
que l'on fait confiance pour s'imposer un effort.
Qu'en pense un professeur de yoga ?
Yan
Vergez,
professeur de yoga et formateur en gestion du stress et management à
Montpellier nous a donné son avis sur l'auto-apprentissage et sur la
place de l'enseignant dans la discipline qui est la sienne, si liée
au corps et à la présence. De
formation universitaire (maitrise S.T.A.P.S ),
il a approfondi
plusieurs techniques relatives au Yoga et à la sophrologie pour
suivre une voie qu'il qualifie de plus « spirituelle ».
Est-ce
que vous pensez que le yoga peut s'apprendre seul avec une wii, des
vidéos, des enregistrements ?
Je serais tenté de répondre
oui, mais à un certain niveau d'autonomie. Avec une longue pratique
du yoga, on peut tirer partie d'un support en ligne, d'un
enregistrement et se passer de l'enseignant mais un individu peu
ou pas expérimenté risque de ne rien comprendre et de se blesser.
Ces types de cours sont trop généralistes et ratent une dimension
importante du yoga, qui est l'individualisation de l'enseignement. Le
professeur puise dans une variété de directions données, de
descriptions de postures celles qui font écho pour chaque personne.
Quelle est l'importance
du groupe en yoga ?
C'est
la même que dans n'importe quel sport : l'instinct grégaire.
Le groupe exerce une pression sur chacun qui le fait aller plus loin
que s'il était seul, c'est une force d’entraînement. En même
temps, il faut que le groupe soit suffisamment limité pour que
l'enseignant puisse « ajuster » les postures ( ce mot est
plus approprié que « corriger »). Certains grands
groupes en Inde sont dirigés par un professeur qui parle et des
assistants qui observent au plus près et ajustent.
Comment définiriez-vous
la notion de progrès en yoga ?
C'est
la capacité à faire de sa séance l'outil d'appréciation de son
existence. Pour moi l'objectif principal du yoga, c'est d'aimer la
vie. On doit se servir du cours pour en arriver là. Finalement,
lorsqu'on est devenu suffisamment autonome, la personne du
professeur, la question de sa présence ou pas est secondaire.
La notion de niveau n'a donc aucune raison d'être ?
Les
cours de niveau, la visée de la performance sont même
contre-indiqués. Le but d'un cours peut d'ailleurs évoluer en
fonction de la pratique et les objectifs changer.
Est-ce qu'il peut exister
une évaluation en yoga ?
L'auto-évaluation
est très importante et elle passe par la confiance en soi à travers
des schémas corporels, l'image
que nous nous faisons de notre corps.
C'est ce que pratiquent déjà un grand nombre de professeurs de
sport à l'école. On demande à un élève de courir, non pas en
évaluant son score, mais en lui demandant de deviner le score qu'il
va faire. C'est lui qui va mesurer sa progression.
Est-ce que vous pensez que
certains principes du yoga pourraient être profitables à des
enseignants d'autres disciplines ?
Cela
dépend du public : je ne peux envisager un enseignement imposé,
c'est pourquoi j'ai choisi de m'adresser à des adultes déjà
motivés, intéressés par cette démarche de recherche de
développement personnel. Pour l'école, il est évident qu'on ne
peut rien enseigner à quelqu'un en le lui imposant et qu'il faut
clairement essayer autre chose.
D'une discipline à l'autre
Le yoga et la manière dont ses "pratiquants" envisagent l'apprentissage, dans une perpective de développement personnel met en évidence des notions centrales qu'il serait utile d'intégrer vraiment dans les pratiques scolaires et universitaires : la notion de confiance, liée à celle de contrainte acceptée. Il n'est pas inutile de rappeler également que tout enseignement devrait poursuivre le but d'augmenter le bonheur d'exister, comme le disait Georges Snyders :
"L’enseignant progressiste affirme que l’école ne
parvient à la légitimité que si le jeune la ressent comme un
espace-temps de joie présente – et non pas comme indéfiniment retardée,
encore moins comme un monde d’ennui, étranger à ses préoccupations
propres."
En lire plus sur Georges Snyders, sur le blog de Claude Lelièvre sur Educpros
Illustration : yoga for geeks, kris krug, Flickr, licence CC BY-NC-SA 2.0
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