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Publié le 23 novembre 2019 Mis à jour le 23 novembre 2019

De la nécessité d'investir dans l’enseignement musical en Afrique

Pourquoi et comment améliorer la sensibilité culturelle des jeunes?

<p>Charlotte Dipanda tenant une guitare. Creative Commons</p>

Au Cameroun, presque chaque région dispose d’un genre musical traditionnel. Dans le Nord-Ouest, il y a la danse de la bouteille et le Njang; dans la région de l'Ouest on y retrouve le Magabeu, le Ben Skin et le Makassi; dans les régions du Nord du Cameroun, il y a le genre qu’on appelle Sahélien; dans la région du Sud-Ouest, il y a le Ngom a vetuli des peuples Bakweri et Balondo et le genre Abanda du peuple Bangwa.

Mais le Makossa et le Bikutsi sont certainement les plus populaires et emblématiques du Cameroun. Cependant, les jeunes s’y intéressent de moins en moins, se laissant influencer par les genres musicaux dit « modernes » et majoritairement importés des pays anglo-saxons. On assiste donc ainsi à la création de genres musicaux comme le Soul Makossa, le Bikutsi Slow…

Bien que ce renouvellement de la création soit positif, il n’en demeure pas moins que le niveau d’éducation artistique et culturel de la population soit de plus en plus faible, limitant ainsi leur capacité à décrypter, décoder et apprécier la «bonne» musique[1]. En effet, ces dernières années, la production musicale au Cameroun, va dans tous les sens. Les artistes naissent et émergent de partout et produisent des contenus musicaux avec des vidéos qui flirtent à la pornographie, etc.

Avec la défaillance de l’instance nationale de régulation, le public est ainsi exposé à des productions autant de piètre que de bonne qualité. D’où l’importance de l’éducation musicale et artistique pour permettre de relever le niveau de sensibilité culturelle de la population. Cependant, il sera au préalable nécessaire de surmonter certains obstacles.

Les freins à l’éducation musicale

- Dépriorisation des cours de musique dans les curriculums

Aujourd'hui, l'éducation musicale au Cameroun a été réduite de façon drastique. Les cours de musique ont été éliminés de la majorité des programmes scolaires.

- Au niveau de la formation des enseignants.

L’éducation musicale est très peu visible dans les écoles camerounaises, à part dans certaines Ecoles normales ou de formation des enseignants. Le temps de formation qui y est consacré est très limité et très peu d’enseignants parviennent à acquérir cette discrimination auditive et à maitriser toute la complexité de cet art qu’est la musique.

Il existe une pénurie d’enseignants spécialisés et on observe de plus en plus, une influence excessive de la culture occidentale. Les résultats d’une étude menée par Atsena Abogo sur la réception de la musique afro-américaine au sein de deux établissements secondaires au Cameroun, révèlent que 65% de jeunes (78/121) écoutent surtout des émissions musicales sur les chaînes de télévision étrangères, dont 52/75 qui écoutent des vidéoclips afro-américains et 15/75 des vidéoclips camerounais[2]. Cette préférence semble être liée principalement à l'habillement et la façon de danser des personnages des vidéoclips, ainsi qu'à la culture matérielle (argent, vie luxueuse, manifestation de l'amour) qui est y diffusée. Les filles semblent plus affectées par cette culture de masse, d'où le manque de patriotisme chez certaines.

- Peu d'activités pratiques.

C’est en se confrontant avec la réalité de l’espace, sous toutes ses formes, que les dimensions artistique et esthétique trouvent leur plein épanouissement chez l’apprenant. Elles vitalisent les pratiques créatrices expérimentées puis construites en classe. Or très souvent au Cameroun, l’éducation musicale est majoritairement théorique et il est fort dommage que les élèves ne puissent se confronter à la réalité d’un public.

De l’importance de l’éducation artistique et culturelle

L’enseignement artistique a comme but de développer la sensibilité et les capacités de création, faire découvrir des œuvres d’art et de faire saisir les démarches artistiques. Il s’agit d’aider le jeune camerounais, dès l’enfance, à acquérir une écoute discriminante, qui va lui permettre de se situer, d’acquérir des repères du langage musical de plus en plus fin. Cependant l’enseignement de la théorie musicale est maintenu, malgré une tradition locale principalement orale. L’accent est davantage mis sur l’écoute active et l’imitation. La majorité sinon toutes les écoles publiques camerounaises fonctionnent encore sur le modèle transmissif où par mimétisme, dans un jeu de questions-réponses, l’élève reproduit ce que le professeur lui montre.

En revanche, dans les écoles privées – qui ne sont le plus souvent accessibles qu’aux enfants d’oligarques camerounais – l’on retrouve davantage de pratique et d’expérimentation. En effet, l’expérimentation est aujourd’hui au centre de tout apprentissage, l’enfant pourra, dès lors, acquérir des connaissances en se posant des problèmes, en formulant des hypothèses, en trouvant des solutions.

L’état de la recherche en pédagogie démontre qu’on ne peut plus se satisfaire de transmettre un savoir, qu’il soit technique ou culturel, pour que l’élève y trouve un sens. Il faut d’abord qu’il puisse le vivre, le rencontrer en le pratiquant. Nous sommes à une époque de transition qui demande une véritable rupture avec nos fonctionnements antérieurs basé sur la reproduction des modèles éducatifs standardisés.

Comment permettre aux jeunes camerounais de s’approprier des éléments du langage musical ?

Plusieurs types d’activités passives ou actives servent de support à l’enseignement musical. Nous avons par exemple :

  •  Les activités de pratiques instrumentales qui favorisent la rencontre entre l’élève et la musique. L’école doit aussi permettre à l’enfant d’apprendre à maîtriser sa main, son geste, autant d’aptitudes qui lui permettront de se rapprocher de la matière musicale ;

  • Les activités de pratiques vocales comme le chant collectif pour permettre de canaliser l’attention des élèves et leur permet de partager un instant de plaisir irremplaçable, où ils vont devoir accepter l’autre, le respecter, apprendre à supporter son regard… autant de comportements importants pour le vivre-ensemble.

Pour développer l’éducation musicale au Cameroun, il est important de repenser les politiques publiques sur l’éducation artistique et culturelle. Actuellement obsolètes et inadéquates aux besoins des apprenants du 21ème siècle, elles doivent être mises à jour pour équiper la jeunesse camerounaise d’une sensibilité et créativité nécessaires pour le vivre ensemble.

Pour cela, il faut passer d’un modèle d’éducation musicale transmissif basés sur l’imitation pour un modèle plus actif qui associe l’élève dans le processus de création et de réception. Il est important que les décideurs politiques, éducatifs et culturels au Cameroun prennent conscience qu’il est temps de renouveler les pratiques d’éducation musicale à l’école pour faire de la classe un espace d’apprentissage mais surtout un laboratoire d’expériences. C’est en cela qu’une solide formation des enseignants est indispensable si l’on ne veut pas que nos enfants puissent nous reprocher, un jour, de ne pas avoir suffisamment pris le temps de leur enseigner tout ce qui leur permet de développer leur intelligence, leurs capacités à entrer en relation, à créer, à fabriquer, construire et composer. L’enseignement de la musique, la place et les modalités de l’évaluation de cette discipline en sont les garants.

Notes

  [1] Bien que cette caractérisation puisse être l’objet de controverse, nous pensons qu’il existe des standards minimums de qualité ou fondamentaux pour pouvoir apprécier une œuvre. À cet effet, l’artiste camerounais de renom Talla André Marie déclarait  :

« Je pense que la musique camerounaise est à l’image de tout le Cameroun, c’est-à-dire elle prend de l’eau… mais néanmoins il faut toute proportion gardée, dire qu’il y a eu des chanteurs qui se sont distingués et ont fait des choses admirables. Malheureusement partout quand il y a la crise, les gens cherchent à s’en sortir par tous les moyens, je pense que c’est ce qui pousse beaucoup à chanter du n’importe quoi.

C’est d’ailleurs cet aspect qui m’inquiète et me pousse à mettre en place une école de musique. Un conseil que je donnerai aux fabricants de Balafons, qu’ils en fassent des chromatiques, car j’ai fait une étude tout récemment et j’ai remarqué que nos balafons avaient les mêmes sons, c’est parce qu’ils sont diatoniques depuis des lustres et chantent dans une gamme qui ne change pas ; avec les balafons chromatiques, on a la facilité de passer d’une gamme à une autre.»
URL : http://www.culturebene.com/6454-talla-andre-marie-la-musique-camerounaise-prend-de-leau.html

[2] La Réception Par Des Jeunes Camerounais de La Musique Afro-Américaine. Étude de Cas Dans Deux Établissements Secondaires Au Cameroun [Thèse de Maitrise].
Québec. Presses de l’Université Laval. », consulté le 06 mai 2019,
https://www.academia.edu/840766/La_r%C3%A9ception_par_des_jeunes_camerounais_de_la_musique_afro-am%C3%A9ricaine._%C3%89tude_de_cas_dans_deux_%C3%A9tablissements_secondaires_au_Cameroun_th%C3%A8se_de_maitrise_._Qu%C3%A9bec._Presses_de_l_Universit%C3%A9_Laval


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