Il peut paraître ‘normal’ que les Travaux Pratiques (TP) ne s’envisagent que dans un laboratoire mais cette organisation systématique est-elle toujours justifiée ? Peut-on questionner ce principe ? Certains ont déjà franchi le pas et mettent en place des démarches qui permettent de travailler à distance.
Nous vous proposons de baliser une réflexion pour voir dans quelle mesure et sous quelles conditions, on peut envisager des TP à distance ainsi que quelques exemples de réalisations concrètes à partir du groupe de travail informel riposte créative et de l'article du blog Prodagéo sur le sujet.
Les objectifs visés
Avant de définir comment organiser les séances de travaux pratiques, il est essentiel de préciser les objectifs visés et les modalités d’évaluation afin d’assurer la cohérence globale de l’activité. Ainsi, il semble que les TP peuvent viser deux objectifs principaux :
- Confronter la théorie à la pratique ou compléter la théorie par la pratique ;
- Développer des gestes professionnels ou ‘métier’ qui peuvent être physiques ou intellectuels : raisonnement, démarche, collaboration, …
Pouvez-vous définir les objectifs que vous poursuivez pour chacune des séances de TP que vous préparez ? Il est fort probable que plusieurs manipulations permettent de travailler le geste visé ou mettre en évidence le phénomène étudié, peut-être que certaines peuvent se réaliser hors classe ?
L’évaluation
Une fois les objectifs définis, se pose la question de l’évaluation du travail des élèves. L’enjeu n’est pas la notation du travail de l’élève mais la rétroaction que l’on va lui apporter pour l’aider à progresser. 3 types de traces peuvent nourrir cette rétroaction :
- La production : qui peut être un produit fini, un document texte, audio, photo, vidéo, un tableau de mesure, une courbe, ...
- Le processus : en s’appuyant sur des observations, les documents intermédiaires, qui peuvent être très différents d’une présentation du processus a posteriori qui est souvent aseptisée et ne présente que le résultat du cheminement, sans en aborder toutes les étapes ;
- Le propos : qui reflète l’analyse réflexive menée par l’élève sur ses apprentissages, son auto-évaluation et la rétroaction qu’il peut apporter sur son travail.
En faisant le lien avec les objectifs visés, il apparaît qu’un savant dosage de ces 3 éléments est souvent nécessaire, reste à définir quels observables l’enseignant va choisir pour permettre une évaluation la plus pertinente possible.
Les difficultés liées à la distance
Deux éléments peuvent compliquer la mise en place de TP à distance :
- Le besoin en matériel ou matière première spécifique, qui peuvent être des données ‘brutes’, de la matière d’œuvre, des outils, …
- Le suivi par l’enseignant ‘en continu’ pour accompagner les apprenant dans leur démarche.
Nous verrons ci-dessous les outils utiles et les stratégies que l’on peut mettre en place pour s’affranchir plus ou moins partiellement de ces contraintes.
Des outils utiles
- Une suite Office : pour produire des rapports, des analyses de données, des présentations (format standard de Compte-rendu (CR) de TP)
- Un éditeur enrichi : qui peut être collaboratif, enrichi par vidéo/audio ( par exemple CodeCast, qui permet à l’enseignant de présenter le code informatique à produire et l’apprenant peut à tout moment arrêter la présentation et prendre la main sur l’éditeur de code, ...)
- Des photos, audios et vidéos : pour présenter sa réalisation, sa démarche, un geste professionnel, les étapes intermédiaires, …
- Un outil de classe virtuelle : Répertoire
- En mode atelier/groupe : pour le travail en groupe où l’enseignant peut passer de groupe en groupe et intervenir en cas de besoin.
- En groupe ou en suivi personnel : Pour l’analyse du travail et la rétroaction, par l’enseignant ou d’autres apprenants.
- Un forum : spécifique à la formation pour l’entraide entre apprenant, ou grand public, (par exemple stack overflow ou Stack Exchange) pour aller chercher l’information et savoir transposer des éléments de réponse dans mon contexte particulier.
- Un smartphone qui est un couteau suisse, bardé de capteurs qui peuvent être utiles pour ‘mesurer le monde’ et capter des traces (photo, audio, vidéo).
Quelques approches concrètes pour des TP à distance
- Plusieurs organismes de formation proposent le CAP pâtissier 100 % à distance. Ils utilisent des vidéos pour présenter les gestes professionnels, et s’appuient sur des classes virtuelles pour le suivi des apprenants tout au long de la formation. L’analyse experte de la production complétée par un échange entre le formateur et l’apprenant permet de retracer le processus de réalisation, les difficultés rencontrées, les stratégies mises en place et d’apporter une rétroaction constructive pour aider l’élève à progresser.
- L’IUT de Cachan s’est doté d’un émulateur de machine à commande numérique ce qui permet de s’affranchir d’une machine réelle pour l’apprentissage de l’usinage en sécurité. Cela peut aussi permettre de travailler hors de l’atelier.
- L’EPFL a développé le projet R2T2 et lance des défis aux élèves et étudiants autour de la programmation de robots Thymio : Des robots, physiquement présents dans les locaux de l’EPFL sont accessibles pour tester les programmes développées aux 4 coins du monde. Ces robots peuvent se programmer, entre autre, avec le langage scratch qui fédère une communauté très active autour d’un espace de capitalisation des réalisations où chacun peut partager ses programmes et réalisations.
- L’université Colorado Boulder propose un laboratoire virtuel intégrant plus de 150 simulations interactives couvrant différents domaines scientifiques et technologiques. Ces simulations peuvent avantageusement compléter un enseignement théorique.
- L’université de Grenoble propose LabNbook qui est un cahier de laboratoire partagé. Il permet de collaborer entre étudiants (présents en laboratoire ou à distance), d’intégrer la démarche, les résultats, l’analyse et les rétroactions de l’enseignant dans un même document.
- Jean-Marie Gilliot récapitule, dans ses causeries (ici et là) avec Chrsitophe Batier, de nombreuses autres démarches qui s’appuient sur les smartphones des élèves avec des défis, la question de la mutualisation des mesures, des sciences participatives, etc …
En conclusion
Ces différentes approches permettent de voir que l’on peut travailler des gestes professionnels à distance (comme pour la pâtisserie), et, dans une certaine mesure, s’affranchir de matériel complexe (en s’appuyant sur les smartphones, des émulateurs, des simulations). De même, des modalités d’accompagnement sont sérieusement envisageables.
De tels TP ‘sortis des laboratoires’ semblent donc envisageables. Ils peuvent même apporter une plus-value en intégrant des modalités de collaboration et s’ancrer dans le quotidien des élèves, ce qui peut être une vraie source de motivation et d’engagement. Enfin, les enseignants doivent s’outiller pour accompagner les élèves dans leur démarche et être rigoureux pour suivre effectivement et régulièrement les élèves dans la durée.
Références
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