Distorsion corporelle et anorexie mentale [Thèse]

Lorsque le cerveau a du mal à percevoir qui il est

Silhouette d'un corps sur laquelle s'ajoutent les contours d'un ventre obèse et d'un ventre anorexique

Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont
Friedrich Nietzsche — Philosophe (1844-1900)

Il peut être difficile de se mettre à la place d’un autre. De nombreux biais cognitifs permettent d’expliquer certaines de ces difficultés. Néanmoins, dans certains cas, la réalité même semble s’altérer et il devient alors délicat de concevoir le perçu de l’autre. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de notre propre perception?

L’anorexie mentale est un trouble de conduite alimentaire se caractérisant par une restriction des apports alimentaires sur une période prolongée, entraînant un amaigrissement important du sujet associé à une certaine satisfaction à maigrir et une phobie de prendre du poids. Les sujets ont une perception d’eux-mêmes altérée leur donnant l’impression d’être en surpoids permanent et limitant leur capacité à considérer la gravité de leur maigreur.

Comment se forment ces altérations de la perception de soi ? Comment est-ce que cela s’entretient ? C’est ce que cherche à comprendre Dewi Guardia dans sa thèse intitulée « Représentation du corps et anorexie mentale : de l’intégration sensorielle à l’action : approche neurocognitive du phénomène de distorsion corporelle ».

Pourquoi lire cette thèse

L’auteur nous invite par ses recherches à mieux comprendre la représentation du corps et son étude. La narration et la mise en perspective des articles de Dewi Guardia rendent ce manuscrit ludique, clair et abouti.

L’ensemble constitue un travail accessible dévoilant des méthodes d’études surprenantes et quelques fois intrigantes.

Extrait

« […] Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour affirmer l’existence d’un trouble de la représentation du corps dans l’anorexie mentale et pour lui porter une attention toute particulière, tant sur le plan diagnostique que sur les plans pronostique et thérapeutique.

Ce travail de thèse n’a pour ambition que de tenter d’appréhender un peu mieux les mécanismes sous-tendant ces distorsions corporelles en proposant d’enrichir la discussion physiopathologique d’un regard neuropsychologique. Il ne vise ni plus ni moins qu’à expliciter une des étapes du processus de décompensation anorectique basé sur l’élaboration et le maintien de fausses croyances en lien avec les profonds chambardements de l’éprouvé corporel. Mais, avant d’aller plus loin, il s’agit de bien définir ce que nous entendons par représentations du corps et quelles dimensions nous nous proposons d’explorer. Le plan de rédaction de cette thèse a été élaboré dans ce sens.

La première partie de ce travail visera à lever les ambigüités entre les notions de sensation, de perception et de connaissance qui participent de manière intégrative à l’élaboration d’une multitude de représentations du corps. C’est ainsi que les représentations du corps engagé dans l’action seront distinguées des représentations du corps impliquées dans des opérations cognitives plus complexes.

La seconde partie de ce travail s’intéressera au corps situé. Nous aborderons alors des notions telles que la définition de coordonnées spatiales, l’emploi de référentiels spatiaux dans le but d’interagir avec son environnement, et tenterons d’évaluer l’existence de perturbations des cognitions spatiales dans l’anorexie mentale, au moyen du paradigme expérimental de perception des orientations.

La troisième partie de ce travail se portera sur le corps agissant. Nous tenterons alors d’évaluer les répercussions des distorsions corporelles des patientes sur l’anticipation et la réalisation d’action impliquant les dimensions corporelles, et sur la simulation d’action menée par soi ou par autrui.

Enfin, le dernier chapitre exposera les éléments de discussion générale qui découlent des résultats obtenus dans les différentes expériences rapportées. Il développera également certaines perspectives que ce travail suscite tant du point de vue de la recherche que de la thérapeutique. »

Ce que l'on apprend

Le travail de recherche réalisé par l’auteur met en avant un nombre important d’observations relatives au processus d’altération de perception corporelle chez les sujets atteints d’anorexie mentale.

Certaines de ces observations semblent montrer une incapacité pour certains sujets à actualiser leur représentation corporelle. Il était déjà possible de constater des distorsions corporelles importantes lors de pertes de poids massives chez certains patients pris en charge pour une obésité sévère. Ainsi, malgré leur perte de poids mesurable, ces patients se sentaient toujours en situation d’obésité.

L’auteur propose que cette distorsion de représentation corporelle soit la conséquence d’un déphasage en raison d’une non-actualisation entre la représentation corporelle réelle et celle que le système nerveux central projette au sujet.

Un questionnement

Dewi Guardia dévoile une partie des mécanismes sous-jacents associés à l’anorexie mentale. Nous y découvrons comment la perception corporelle de soi peut se distordre sous l’effet de différents facteurs. Nous réalisons ainsi qu’il peut être alors quelques fois plus difficile de se mettre à notre propre place qu’à celle d’un autre.

Et vous alors ? Êtes-vous en phase avec vous-même ?

Bonne lecture !

Travail réalisé à l’université Lille 2 et au Laboratoire de Neurosciences Fonctionnelles et Pathologies (LNFP) au sein de l’école doctorale Biologie et Santé : ED 446 (Université Lille 2) (Lille — France).

Sources

Thèse

Dewi Guardia. Représentation du corps et anorexie mentale : de l’intégration sensorielle à l’action : approche neurocognitive du phénomène de distorsion corporelle. Médecine humaine et pathologie. Université du Droit et de la Santé - Lille II, 2012. Français. ⟨NNT : 2012LIL2S034⟩. ⟨tel-00828513⟩