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Publié le 17 mai 2022 Mis à jour le 18 mai 2022

Cette thèse est une comédie romantique [Thèse]

Comment comprendre les premiers rendez-vous au cinéma

Couple constitué d’un pop-corn sucre surpris et d’un pop-corn salé en pleurs devant un film dans une salle de cinéma.

Au cinéma, le spectacle est sur la toile, mais également dans la salle. Tapis dans l’ombre, animés par des jeux de lumière, se révèlent les visages de couples. Très souvent le but d’une sortie au cinéma consiste à aller voir un film avec quelqu’un.

Ce lieu emblématique, où siègent de nombreuses représentations stéréotypées du couple, est l’endroit propice pour observer l’émergence de relation amoureuse dans leur habitat naturel. Derrière les conversations relatives aux choix du film ou sa critique en passant par les décisions géostratégiques de la place et du dilemme existentiel du popcorn salé ou sucré, le cinéma permet l’intimité suffisante aux êtres se dévoilant l’un à l’autre dans le jeu de la séduction.

Mais quelles sont ces représentations associées aux premières rencontres de couple au cinéma ?  Comment le cinéma contribue-t-il à l’émergence et la ritualisation de la relation de couple ? Qu’est-ce qui permet de faire couple dans une sortie au cinéma ?

C’est ce que nous propose de découvrir Sarah Dinelli dans sa thèse « Premiers rendez-vous et sortie en couple au cinéma. Enquête socioculturelle et filmique réalisée auprès de spectateurices de cinémas d’Île-de-France ».

Pourquoi lire cette thèse

« Cette thèse est une comédie romantique »

Sarah Dinelli

La thèse s’ouvre magistralement par un message : « Cette thèse est une comédie romantique ». Cette phrase, seule sur cette page blanche, innocente à première vue, est en réalité un avertissement pour le lecteur. Le sourire et la surprise provoqués par cette phrase d’ouverture se transforment à la découverte du sommaire en des rires et une forte impatience d’entamer la lecture. L’ensemble du manuscrit vaut vraiment le temps, les détours au gré des références et même le retour pour saisir la profondeur et les clins d’œil du texte.

Sarah Dinelli réussit avec brio et style à rester elle-même et à s’affirmer tout en respectant les contraintes et standards académiques. Le texte prend rapidement la forme d’un tête-à-tête avec l’auteure dans lequel se déroule une conversation manuscrite mêlant humour et sérieux à la rencontre d’une personnalité assumée et de recherches maîtrisées. En effet, derrière cette impression de légèreté, les recherches proposées laissent transparaître une rigueur, un référencement et méthodologie remarquables, le tout en intégrant un processus réflexif permettant au lectorat de garder un certain recul sur le sujet.

Cette sensation de promiscuité résulte aussi du fait du sujet lui-même qui renvoie directement ou indirectement aux vécus du lecteur : sorties au cinéma, sorties en couple, les premiers rendez-vous, les différences de goûts ou encore sa relation au célibat. Cette capacité de chacun à renvoyer le sujet traité à sa propre pratique crée une forme de communauté de partage.

L’auteure propose que cette communauté de partage prenne la forme d’une conversation « démocratique » en se basant sur la pensée du philosophe François Flahault qui affirme qu’une conversation le soit quand le sujet de celle-ci permet à tous d’y participer. L’effet est remarquable, tout en évitant de tomber dans la cacophonie, le lecteur est invité dans de multiples conversations, avec l’auteur, les couples de l’enquête, le sujet de recherche et lui-même.

L’amorce

« Avant-propos : Une thèse n’est pas une thèse

Une thèse n’est pas qu’une thèse, dans le même sens qu’« une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats ». Je n’oserais pas employer une métaphore aussi fleurie, mais je dirais volontiers qu’une thèse peut être un parcours initiatique, politique et psychanalytique.

D’une part, grâce à tous les à-côtés de la thèse, les cours, les luttes, les rencontres amicales avec les autres doctorant·es, tout ce que l’on vit et qui résonne avec nos recherches. D’autre part, car l’on met en jeu beaucoup plus qu’un épais manuscrit en plusieurs exemplaires. La thèse se présente à nous comme une montagne, la consécration de toute notre pensée, tout notre savoir. On se sent, au départ, comme un chat abandonné au bord de l’autoroute qui doit retrouver le chemin de sa maison sans être sûr qu’on veuille encore de lui à l’arrivée.

Je me souviens d’une discussion avec Laurent Creton et mon amie récemment docteure Caroline Guigay, après un repas un peu arrosé lors d’une université d’été. Nous lui avions confié nos doutes, nos envies de reconversions (nonnes, vidéastes, etc.). Il nous avait rassurées en nous disant qu’on ne devait pas voir la thèse comme l’endroit inaccessible où l’on devait exposer tout notre être-chercheuse, un objet parfait qui serait l’achèvement de toutes nos recherches, mais simplement l’état, à un moment T, du savoir que l’on avait produit sur un sujet donné. De métaphore en métaphore, et de verre et verre, il nous avait dit :

« Votre thèse, c’est cette bouteille de vin ».

Encore aujourd’hui quand j’ai du mal à travailler, je pense à plusieurs phrases pour m’aider : à la prophétie sibylline « c’est une bouteille de vin », et à une phrase « pratique » que ma petite sœur avait collée sur son bureau, qui dit en substance « cette montagne, ne te demande pas “comment vais-je l’escalader ?” Grimpe ».

Pas toujours facile, quand on se sent surtout dégringoler, après avoir essayé de se rendre au sommet de la méritocratie. Aussi aimerais-je dans cet avant-propos faire la genèse de mon sujet de recherche, mais aussi parler de ces « à côté de la thèse », ces « en lieu et place de la thèse » ; de tout le travail fait « y compris quand on ne travaille pas ». Car c’est surtout en ne pas travaillant ma thèse, que je pense être devenue une sorte de chercheuse. »

Ménage à trois temps

Les résultats recueillis au cours des nombreuses conversations de son enquête couvrent de nombreux aspects des sorties au cinéma en couple

Nous découvrons, par exemple, que les trois temps du cinéma que sont l’avant-séance, la séance et l’après-séance sont un espace et des temps favorables pour l’installation du couple en tant que couple. Ces temps et lieux offrent aux sujets différentes saynètes dans l’espace public où ils se produisent en jouant au couple dans une démarche potentiellement conjugalisante.

Cette pièce consciente ou inconsciente est jouée tant à eux même qu’au public ou au lieu. Ainsi il sera possible pour eux d’y jouer la séduction, l’intimité, le dévoilement tant par le biais de comportement, de gestes, de stratagèmes de domination que de conversations comme lors de la prise de décisions à deux ou encore de commentaires sur le film.

Malgré le fait que ces moments de tâtonnement dans la rencontre de l’autre pourront être de futures sources de rire, ces derniers restent primordiaux dans la découverte de l’autre dans un processus de confrontation, de mise en commun ou de création d’habitudes partagées permettant aux membres du couple d’avoir accès progressivement aux goûts et à la sensibilité de l’autre.

L’art de monter la vie

Les connaissances et l’expérience en tant que monteuse de Sarah Dinelli permettent d’expliquer comment elle a réussi à offrir aux lecteurs un texte entremêlant subjectif et objectif, formel et informel, humour et sérieux. Elle réussit avec charme à créer une conversation démocratique par le biais du plaisir d'observer les pratiques des couples de spectateurs.

Cette thèse manuscrite permet au lecteur une conversation intime tant avec lui-même et son passé qu’avec l’expérience du reste du monde. Cette mise en commun de nos expériences permet à chacun de réveiller des souvenirs ou de se réinventer un futur. Derrière ces comportements quelques fois stéréotypés et ces conversations souvent naïves, se cache en réalité, le désir universel d’être heureux et de s’aimer.

Et vous alors ? Est-ce que ce sujet vous parle ?


Bonne lecture

Le film évoqué dans la thèse n’est pas disponibles en ligne, cependant des transcriptions des dialogues sont disponibles en fin de cette dernière.

Ce travail a été soutenu le 1er juin 2021 à Paris, réalisée au sein de l’Institut de Recherche sur le Cinéma et l’Audiovisuel (IRCAV) dans le cadre de l’obtention du grade de docteur en Études cinématographiques et audiovisuelles de l’Université Sorbonne Nouvelle à l’école doctorale Arts & Médias : ED 267 (Nantes — France)

Sources

Sarah Dinelli. Premiers rendez-vous et sortie en couple au cinéma. Enquête socioculturelle et filmique réalisée auprès de spectateurices de cinémas d’Île-de-France. Musique, musicologie et arts de la scène. Université de la Sorbonne nouvelle — Paris III, 2021. Français. ⟨NNT : 2021PA030042⟩. ⟨tel-03573768⟩

Thèse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03573768

PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03573768/document


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