Dans un "gros" musée tel que le Musée des Beaux-Arts de Montréal, le Musées de la Civilisation de Québec ou,
encore plus grand, le Musée du Louvre à Paris,
tout visiteur est pris de vertige devant l’abondance d’œuvres qui s’offrent à
lui : par quoi commencer ? Devant lesquelles s’arrêter ? Combien
de temps consacrer à chaque salle ?
Encore ne parle-t-on ici que des œuvres exposées et pas des
réserves, infiniment
plus importantes. Les trésors amassés par les musées au fil du temps
dépassent en effet de très loin ce que chacun d’eux est en capacité de montrer.
Par ailleurs, des musées de plus en plus nombreux donnent accès à leurs
collections en ligne. Ce sont ainsi des milliers ou dizaines de milliers d’œuvres
qui s’offrent à nous, chez nous. Là encore, comment s’y repérer ? Comment ne pas
se contenter de regarder ce que l’on connaît déjà ?
Mettre les oeuvres en scène, pour révéler leur pouvoir d'étonnement
Le paradoxe de cette abondance, c’est que nombre de
visiteurs des musées physiques ou en ligne ont le sentiment d’avoir « déjà
tout vu », et plébiscitent les expositions temporaires pour assouvir leur
soif de nouveauté. Pourtant, les collections sont pleines d’œuvres méconnues, au fort pouvoir d'étonnement. Mais où poser les yeux ? Comment savoir
où dénicher le détail bouleversant, l’attitude charmante, le ciel transparent
du crépuscule ?
C’est là qu’intervient la scénarisation des collections.
Les collections des musées sont porteuses d’une infinité
d’histoires, qui n’attendent que d’être mises en scène et exploitées par les
visiteurs. Cette scénarisation impose, comme au cinéma, des rapprochements dans
l’espace et dans le temps, des gros plans sur certains détails, des
accélérations et des ralentis. Toutes opérations difficiles à mener dans
l’espace physique du musée, mais plus simples à organiser en ligne.
Pourtant, rares sont les musées qui profitent de leur espace
numérique pour scénariser leurs collections, intégrer les œuvres à de
véritables récits. Les exceptions méritent d’autant plus d’être relevées.
Des thématiques originales pour découvrir les œuvres
Le Rijksmuseum d’Amsterdam propose une série d’histoires regroupées
sous le titre de « 10 things » ("10 choses", pas de version en français
pour le moment). Chaque histoire est en réalité un thème, exploré au travers de
10 œuvres, présentées en pleine page. Il y a peu à lire, beaucoup à regarder.
On peut ainsi savourer une histoire de sorcières, monstres et fantômes , découvrir 10 chats cachés dans les collections,
mais aussi accéder à 10 représentations de l’histoire du handicap. L'effet immersif est réel.
Mais les pièces ainsi accessibles ne nous parlent que d’elles-mêmes.
Pour y accéder et s’y intéresser, il faut d’abord s’intéresser aux œuvres d’art.
Cela semble évident et pourtant ! De nombreuses personnes ne viennent pas spontanément explorer les collections en ligne des musées. Il a en effet été démontré que les publics des musées virtuels sont les mêmes que ceux des musées
physiques, et que le niveau d’étude reste élevé :
« une (…) enquête menée en 2018 sur les pratiques
culturelles [des Français] révélait déjà que les visiteurs en ligne étaient les
mêmes que ceux in situ et que leur profil majoritaire reste celui d’un cadre
diplômé du supérieur. De fait, si le contenu en ligne peut attirer davantage de
public au milieu des cimaises des musées, il ne le diversifie pas. » in
Musées : quels modèles économiques à l’ère du numérique ?
Educart : priorité au récit et aux rencontres
improbables
Pour redonner un air de nouveauté aux pièces d’une
collection, tout comme pour inviter ceux qui n’ont pas l’habitude de s’en
approcher, la mise en récit constitue une stratégie tout à fait intéressante.
En effet, le récit inscrit les œuvres dans une histoire, il donne du sens à ce
que l’on va voir. En cela, il ouvre les œuvres sur le quotidien, révèle en elles de nouvelles significations.

Educart, le dispositif numérique mis en ligne en 2022 par le Musée des Beaux-Arts de Montréal, est à cet égard exemplaire.
Sur
la page d’accueil, pas une œuvre d’art, mais des planètes qui tournent. Chacune
porte un nom : Cœur, Demain, Libertés, Corps… qui apparaît au survol de la souris.
La page de présentation du thème propose d’abord un texte, d’où
se dégagent des mots colorés. Un clic sur l’un d’eux et voici une œuvre,
inscrite sur une ligne de temps.
Un clic sur l’œuvre, et l’on accède à une
fiche pédagogique. Les informations associées aux œuvres ne s’adressent pas,
comme c’est trop souvent le cas, à ceux qui savent déjà beaucoup en matière d’histoire
de l’art.
Les questions qui suivent ces informations s’avèrent précieuses pour
apprendre à observer et analyser une œuvre, bien au-delà du « j’aime – j’aime
pas ».
Les œuvres ainsi intégrées aux parcours sont étonnamment
variées. On passe sans heurt du portrait d’un noble anglais du XVIIe siècle à l’interview
d’un danseur de krump. Des connections s’établissent ainsi, qui constituent la base d’une vision
renouvelée de l’art, non hiérarchisée et loin de tout académisme.
Ce dispositif de consultation des œuvres appartenant aux
collections du Musées des Beaux-Arts de Montréal a été conçu pour un usage en
milieu scolaire. Chaque parcours thématique a d’ailleurs été co-construit avec une école . Mais chacun aura plaisir à s’y perdre
pendant des heures. Car Educart facilite l’accès à des œuvres peu connues, difficiles d’accès
ou pas dans l’air du temps ; et surtout, il donne aux œuvres une place
légitime dans les réflexions sur les grands enjeux contemporains.
L’art rejoint
ainsi la vie, hors des murs, hors du cercle étroit des spécialistes. Une
initiative dont beaucoup pourront s'inspirer !
Illustration : Gabrold, Deposit Photo
Références
Musée des Beaux-Arts de Montréal : https://www.mbam.qc.ca/fr/
Educart : https://educart.ca/fr/
Rijksmuseum : https://www.rijksmuseum.nl/fr/visitez
10 things : https://www.rijksmuseum.nl/en/stories/10-things/
Musées : quels modèles économiques à l'ère numérique ? Pour l'Eco, 2021
https://www.pourleco.com/consommation/musees-quels-modeles-economiques-lere-numerique
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