Une mer invisible

D'où vient l'eau que vous consommez ? Peut-être d'une rivière ou d'un barrage, ou peut-être d'un grand réservoir loin de vos yeux, à des dizaines ou des centaines de mètres sous vos pieds.

Les aquifères sont des poches d'eau souterraines provenant des précipitations ou de la fonte des neiges. Ils fournissent la moitié de l'eau potable et presque toute l'eau destinée à l'agriculture et à l'industrie. Bien que les aquifères filtrent naturellement l'eau, une contamination importante par des pesticides, des décharges ou des fosses septiques peut affecter la potabilité. L' épuisement des aquifères  est un autre problème, lorsque la consommation dépasse la recharge annuelle, ce qui se produit déjà dans les régions du Sahara et dans l'aquifère d'Ogallala, l'un des plus grands des États-Unis. 

Un accord exemplaire sur le plus grand aquifère du monde

Situé dans le centre-sud de l'Amérique du Sud, l'aquifère Guarani (en fait un système d'aquifères) a été découvert dans la seconde moitié du XXe siècle. C'est l'un des plus grands aquifères du monde ; avec une superficie de plus d'un million de km² (un peu plus de deux fois la superficie de la France), répartie entre le Brésil (61,65%), l'Argentine (20,98%), le Paraguay (8,05%) et l'Uruguay (3,32%) ; un volume massif (environ 31 000 km3) ; desservant une population estimée à 15 millions de personnes.

L'aquifère Guarani repéré (en 1 sur l'illustration), au sud de l'Amérique du Sud, est connecté à l'aquifère amazonien au nord. 

Guarani est le nom du peuple indigène qui prospérait dans la région avant la colonisation portugaise de 1500.

Aujourd'hui, la nature transfrontalière de l'aquifère a abouti à un accord entre les quatre pays détenteurs. L'accord sur l'aquifère Guarani suit les grands principes du droit des Nations unies sur les aquifères transfrontaliers : utilisation équitable et raisonnable de l'eau, souveraineté territoriale sur les positions respectives de l'aquifère, obligation de ne pas nuire à l'environnement ou aux autres pays de l'accord, coopération et échange d'informations et de données. Il est le fruit d'une diplomatie préventive de l'eau, ayant été développé en l'absence de conflits entre les régions détentrices. 

Cet accord a été rendu possible grâce au travail conjoint d'universitaires, de gouvernements et d'organisations internationales. Entre 2002 et 2010, le projet Guarani a élargi les connaissances hydrogéologiques sur l'aquifère, analysé son impact sur l'écosystème et prospecté la coopération des quatre pays frontaliers. 

Après une période d'élaboration fructueuse, le travail commun qui caractérisait la phase du projet Guarani s'est dispersé. La coopération transfrontalière s'est poursuivie dans le cadre de projets sporadiques initiés précédemment, comme les études pilotes entre les villes de Concordia (Arg)-Salto (Uru) et Rivera (Uru)-Santana do Livramento (Bra).

L'accord, bien que signé en 2010 par les quatre pays, n'est entré en vigueur que fin 2020, suite à la ratification tardive du Paraguay (l'Uruguay a ratifié l'accord en 2011, l'Argentine en 2012 et le Brésil en 2017). Les raisons de ces retards vont des querelles politiques à la perte de vitesse des initiatives du projet Guarani, sur fond de tranquillité face à l'abondance relative de l'eau dans la région et à l'absence de conflits pour son accès. 

Malgré le fait qu'il s'agisse d'un jalon considérable dans la diplomatie des aquifères transfrontaliers, l'accord ne contient que des lignes directrices sur l'utilisation de l'aquifère Guarani. Il faudra donc plus de temps et de travail pour parvenir à une utilisation responsable et généralisée de cet atout.

Sommet souterrain

En décembre 2022, le Sommet des eaux souterraines organisé par les Nations Unies se tiendra à Paris, avec pour slogan "Rendre l'invisible visible". Cet événement pourrait-il faire revivre le géant guarani ? 

Peu d'entre nous connaissent la sécheresse et la soif. Cependant, il est possible de considérer que le changement climatique affecte des millions de personnes aujourd'hui et pourrait en affecter d'innombrables autres à l'avenir. Les zones souffrant de pénurie d'eau sont susceptibles d'augmenter à l'avenir ; on estime que d'ici 2030, 700 millions de personnes pourraient se déplacer pour accéder à l'eau. À l'heure actuelle, 4 milliards de personnes sont confrontées à une pénurie d'eau pendant au moins un mois chaque année. 

Pour la plupart d'entre nous, lecteurs de ce site, l'accès à l'eau n'a jamais posé de problème. Il nous suffit d'ouvrir le robinet pour profiter d'un flux abondant, qui s'écoule quand cela nous convient. Serait-ce aller trop loin que de rapprocher l'"invisibilité" des aquifères de l'"aveuglement" de l'utilisation irresponsable de l'eau ?

Références

Le système aquifère Guarani : d'une balise d'espoir à un point d'interrogation dans la gouvernance des aquifères transfrontaliers - Francesco Sindico, Ricardo Hirata, Alberto Manganelli
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214581817303464

Progrès et reculs diplomatiques du système aquifère Guarani en Amérique du Sud - Ricardo Hirata, Roberto Eduardo Kirchheim, Alberto Manganelli
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1462901120310339

L'Accord sur l'aquifère guarani : coopération sans conflit - Pilar Carolina Villar, Wagner Costa Ribeiro
https://globalwaterforum.org/2013/09/02/the-agreement-on-the-guarani-aquifer-cooperation-without-conflict/

L'Accord sur l'aquifère guarani entre en vigueur : qu'est-ce qui change maintenant ? - Pilar Carolina Villar
https://www.internationalwaterlaw.org/blog/2020/11/16/the-agreement-on-the-guarani-aquifer-enters-into-force-what-changes-now/

L'accord sud-américain de partage d'un énorme aquifère est noyé dans la politique - Chris Arsenault
https://www.reuters.com/article/us-latam-environment-landrights-analysis-idUSKCN12O1S2

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