Six techniques commerciales et oratoires en vogue dans les cars de transport en commun

Dans le car, un auditoire captif...

Le e-commerce est certes en train de gagner du terrain et se positionne de plus en plus comme une pratique commerciale rapide et efficace aussi bien pour les consommateurs que pour les vendeurs dans la mesure où il est dématérialisé. Mais, il existe encore d’autres pratiques qui émergent et gagnent du terrain à certains endroits du monde comme le marketing dans les cars de transport en commun.

Pratique récurrente en Afrique, les personnes qui ont déjà emprunté un car de transport en commun pour se déplacer d’une ville camerounaise à une autre ont eu à expérimenter ce phénomène. Il s’agit des hommes ou des femmes qui font usage de la rhétorique ou de l’art oratoire durant le voyage pour vous entretenir sur plusieurs sujets avec un seul but : le placement de produits.

Mon expérience, en tant que voyageur, m’a permis d’identifier les techniques communes à ces commerçants d’un autre genre, que nous proposons d’appeler les marketeurs des cars de transport. Ils travaillent à titre individuel ou pour le compte d’une agence. Que ce soit dans l’un ou l’autre cas, les procédés sont presque les mêmes.

1-Des salutations qui surgissent de nulle part

Alors que vous venez de quitter l’agence ou venez d’entamer le chemin qui va vous conduire à votre destination, une voix surgit dans le bus et vous dit « Bonjour chers passagers de … » ou alors « Chers passagers de …bonjour. Il ne s’agit surtout pas du conducteur ou alors de son convoyeur.

Pour les passagers habitués, la suite peut s’imaginer mais pour les personnes non habituées, une attention particulière est accordée à cet orateur occasionnel. Après la règle de politesse, il se présente et vous souhaite un bon voyage tout en implorant le bon Dieu de vous accompagner tout au long du voyage. C’est dans sa présentation que vous aurez une idée de son statut. S’ensuit les conseils pour mieux appréhender le voyage.

2-Des conseils de séduction

Les routes de l’Afrique tout comme toutes les autres routes ont des réalités propres aussi bien pour les personnes véhiculées que pour les autres usagers et, selon les trajets il peut avoir des particularités liées à la sécurité, les arrêts ou les pauses.

L’orateur surfe donc sur cette réalité pour captiver l’attention de son public. Au niveau de la sécurité et de la sureté, il vous rappellera qu’il faut mettre des ceintures de sécurité, s’il y en a dans le bus, de préparer vos pièces d’identité pour les différents contrôles routiers; il prend soin de vous en parler avec des checkpoints précis.

Il vous indiquera quoi faire au cas ou vous n’avez pas votre pièce d’identité avec vous. Il vous présentera également ce qu’il y a sur le chemin comme produits à s’enquérir, bref il joue le rôle d’un éclaireur dont le but est de faciliter le trajet des voyageurs. C’est également lors de cette étape que des éloges sont faites à l’endroit du conducteur ou de l’agence de voyage.

Après ce premier attrape-nigaud, il s’ensuit une autre phase de séduction : une série de question réponses.

3-Un test de connaissance improvisé et primé

L’orateur, après avoir joué au bon samaritain qui ne souhaite qu’un merveilleux voyage aux passagers, avec une belle transition vous présente comment il faut toujours actualiser son savoir pour pouvoir bien affronter la vie. Un autre bon conseil qui vous invite indirectement à faire un test de connaissance improvisé.

Avant de commencer avec ses questions, il vous présente les prix à gagner, généralement des sucettes ou des bonbons. Les questions vont du général au particulier et portent sur la culture générale. Il vous posera des questions du genre : quel est le plus long fleuve d’Afrique ou du monde ? En quelle année eut lieu la première guerre mondiale ? Quel est le plus grand footballeur du siècle passé ? Qui est l’auteur de telle citation ? Dans quel livre de la bible on trouve le verset biblique ou coranique suivant… ; car il faut tenir compte des différentes forces religieuses du pays.

Cette phase dure une dizaine de minutes. À chaque bonne réponse, le passager qui a répondu reçoit un bonbon ou plusieurs. L’orateur précise toujours qu’il s’agit d’un bonbon aux vertus thérapeutiques avérées. Par conséquent, il est consommable par des personnes de tous les âges. Les questions de fin sont plus spécifiques et portent sur des maladies. À titre d’illustration, quelle est la maladie la plus mortelle au monde ? Une question transitoire pour la prochaine phase.

4-Les erreurs à ne plus commettre

Dans cette autre phase, le présentateur revient sur les problèmes d’hygiène ou sur les maladies les plus récurrentes et dont la solution se trouve dans les produits locaux, dans la médecine traditionnelle. Le problème d’hygiène est souvent lié à l’hygiène menstruelle ou des organes génitaux. M. Kamdem que nous avons rencontré lors de notre dernier voyage entre Yaoundé et Dschang a orienté sa question sur le prélèvement vaginal: "Quels sont les personnes qui font régulièrement leur prélèvement vaginal dans ce car?". Un sujet qui a attiré la curiosité de plusieurs personnes, notamment les femmes.

C’est encore ici qu’une kirielle de maladies récurrentes sont présentées avec des solutions. Généralement, il vous présente une maladie, vous parle de ce qui se fait, de ce qui ne devrait plus se faire et surtout ce qu’il faut désormais faire. Il vous dira que le mal de dent ne devrait plus être traité par le tabac, car ce n’est qu’un calmant et ne soigne pas le mal. Il faudra désormais écraser de l’aile, l’associer à un tel autre produit et appliquer sur la gencive ou la dent qui vous fait mal; le mal gastrique communément appelé le « mal d’estomac » ne se soigne pas par le petit cola mais peut être totalement éradiqué par un produit qu’il possède.

5-Du placement des produits

Ici débute la vente proprement dite. Avant de commencer à proposer ses articles, il fait goûter ou essayer certains produits aux volontaires ou pose la question de savoir s’il y a quelqu’un dans le bus qui connait le produit et ses bienfaits. Chaque produit est présenté et vendu ,l’un après l’autre.

Généralement, il vous présente un produit original qui couterait 5 voire 10 fois plus cher en pharmacie ou dans les commerces spécialisés. Il vous dira que le produit est soit nouveau ou en promotion : « ce produit coute normalement 25 000 Fcfa (environ 17 euros) en pharmacie mais pour des personnes présentent dans ce car et qui en veulent, je peux le leur vendre à 5 000 FCFA (environ 8 euros) et, ceux ou celles qui en veulent davantage peuvent acheter 3 cartons ou 3 pièces au prix d’un.

« Quelles sont les personnes qui en veulent ? », Voilà une question d’identifications des potentiels acheteurs. Lorsqu’il y a peu de mains levées, il fait semblant de désigner les intéressés. Une fois les intérêts manifestés, il distribue le produit, collecte l’argent et passe à un autre produit. Cet exercice varie selon le nombre de produits à vendre. Ce sont généralement les produits d’hygiène (dentifrices), des thés amincissants ou contre la tension artérielle, les pommades contre les douleurs, les plantes médicinales conditionnées, des bandes contre les douleurs etc. Une fois les produits placés, il termine avec d’autres conseils et des adieux.

6-Adieux sous forme de fidélisation

Lorsque le commerçant termine la vente, il souhaite une fois de plus un bon voyage aux passagers en leur laissant des prospectus des documents contenant des contacts, soit personnels ou de l’agence pour laquelle il travaille afin de fidéliser ses nouveaux clients. C’est aussi lors de cette phase que les questions sont posées sur l’usage de certains produits.

Il revient également ici sur les conseils de grand-mère pour toujours être en bonne santé. C’est également un moment des divers. Des sujets différents peuvent être abordées. C’est aussi le moment de rembourser ceux qui ne sont pas entrés en possession de leur reliquat. Une fois la vente terminée, l’orateur prend congé des passagers et descend lors du prochain arrêt ou d’autres arrêts, souvent pour reprendre le même exercice dans un autre bus.

En conclusion, le commerce dans les bus n’est encadré par aucune règlementation. Les commerçants peuvent faire des chiffres d’affaires qui peuvent atteindre une centaine d’euros en deux heures de temps. Lorsqu’ils ne sont pas reconnus par des agences dont ils utilisent les voyages comme boutique, ils le font à titre individuel et donnent une certaine rétribution au chauffeur qui résulte d’un entendement mutuel.

Même s’il y’a souvent de témoignages positifs des clients en faveur de certains produits, il n’en demeure pas moins que cette pratique commerciale, surtout lorsque les produits sont thérapeutiques, est à craindre. Il n’y a pas de traçabilité aussi bien pour le suivi des malades que pour les taxes qui pourraient en découler. Les gouvernements gagneraient mieux à contrôler l’activité ou à la régulariser.

Il faut tout de même apprécier les techniques oratoires de ces commerçants, elles peuvent inspirer dans les circuits normaux de distribution.