Ce que nous nommons émancipation c’est le libre choix d’une âme entre différentes limitations
Chesterton
Qu’est ce que l’émancipation ?
S'émanciper signifie s'extraire de la domination, d'une tutelle, d'une servitude, d'une aliénation, d'une entrave, d'une contrainte morale ou intellectuelle ou encore d'un préjugé. L'émancipation est l'un des éléments moteurs de la transformation de la société.
Cette visée est au cœur du projet de développement des adultes. Elle est un des fondements de la culture de la formation professionnelle. Elle vise donc la libération et l’indépendance de chacun par le savoir et le surplus de conscience associé. Pour s’émanciper il s’agit de comprendre les systèmes sociaux et de développer la possibilité d'exercer son pouvoir d'action en leur sein. La compréhension des systèmes sociaux favorise l'émancipation collective, car identifier les règles invisibles qui nous tiennent ensemble nous fait évoluer et parfois leur laisse moins de prise.
L’apprentissage des systèmes sociaux
Il existe plusieurs théories expliquant les systèmes sociaux.
Tout d'abord, la théorie des systèmes (Bernard-Weil, 1999) qui considère les systèmes sociaux comme des ensembles d'éléments interconnectés et interdépendants. Les interactions et les relations entre ces éléments sont étudiées pour comprendre la dynamique du système social dans son ensemble. Cette théorie est utilisée par Edgar Morin pour décrypter la complexité.
La théorie de la contingence (Louis 2002) suggère que les systèmes sociaux sont influencés par leur environnement et que différentes situations nécessitent des approches et des solutions différentes. Dans cette théorie, l'apprentissage des systèmes sociaux prend en compte la diversité des contextes et des cultures.
La théorie de l'apprentissage social développée par Albert Bandura est particulièrement influente en pédagogie. Elle montre comment l'apprentissage se produit par observation et imitation des comportements d'autrui. L'apprentissage implique donc d'observer les comportements des autres membres du système social et de comprendre leur effet sur les éléments du système. L'apprentissage opère par modélisation.
Dans la théorie de l'interactionnisme symbolique (Lacaze, 2013) les individus interagissent avec leur environnement social en utilisant des symboles (mots, gestes, signes, etc.). Il s’agit donc de comprendre les symboles et les significations qui leur sont attribuées dans un contexte donné.
L'apprentissage des systèmes sociaux s’assimile à un mouvement autopoiétique (autocréatif) pour fonder l'action collective
Comprendre un système social rejoint l’ambition de conscientisation portée par Paolo Freire. Rappelons d’abord que le concept d'autopoïèse se réfère à la capacité des systèmes vivants à s'auto-produire et à s'auto-réguler, en utilisant les ressources disponibles dans leur environnement.
Le concept a été développé par les biologistes Maturana et Varela (Kawamoto, 2011) pour décrire les systèmes biologiques, mais il a depuis été appliqué à d'autres domaines, y compris les sciences sociales. Les systèmes sociaux, comme les groupes, les organisations et les communautés, ont souvent une capacité à s'auto-organiser et à s'auto-réguler en réponse aux influences externes et internes. Les membres d'un système social collaborent pour atteindre des objectifs communs, tout en s'adaptant aux changements et aux perturbations qui se produisent.
Cependant, les systèmes sociaux sont souvent plus complexes que les systèmes biologiques, car ils impliquent des êtres humains dotés de capacités cognitives et de libre arbitre. Les individus qui composent un système social peuvent interagir de manière imprévisible. Ils changent de comportement en réponse à des stimuli différents. Les systèmes rétroagissent aussi avec les acteurs augmentant le nombre de boucles de rétroaction. De plus, les systèmes sociaux sont influencés par des facteurs externes, tels que la culture et les valeurs, qui ont un effet sur leur évolution.
Plus intelligent socialement
L'apprentissage des systèmes sociaux participe de l'émancipation des adultes, car il dévoile comment les individus et les groupes interagissent, collaborent, se confrontent et se transforment au fil du temps. Cet apprentissage les aide à acquérir des compétences interpersonnelles, à développer leur intelligence émotionnelle, à améliorer leur communication, à mieux comprendre les différences culturelles et également à renforcer leur engagement civique. Ils sont alors en mesure de faire des choix en conscience.
Les systèmes sociaux sont complexes, avec de nombreux acteurs, des processus dynamiques et des relations multiples. Crozier (1977) a montré comment dans les organisations des groupes humains apprennent à gérer des marges d'incertitude pour acquérir du pouvoir sur les situations dans lesquelles ils sont impliqués. Il peut être difficile de comprendre et d'analyser ces systèmes, surtout pour les adultes qui ne sont pas formés à la pensée systémique. Il est donc utile de développer des compétences de base en matière de systèmes et d'apprentissage pour naviguer dans cette complexité.
Les perceptions subjectives, les préjugés, les représentations mentales et les stéréotypes freinent la compréhension des systèmes sociaux par les acteurs individuels et collectifs. Chacun perçoit le monde selon un angle de vue dépendant de sa trajectoire de vie, de l'addition de ses choix passés, de son éducation et des préférences qu'il s'est construites. Les sociologues s'efforcent d'objectiver les représentations mentales qui circulent dans ces systèmes par leur immersion et leurs observations, questionnaires ou enquêtes.
Il est difficile d'avoir une vue objective et équilibrée des systèmes sociaux car le formateur, l'observateur ou l'apprenant sont toujours situés dans ce système et jamais dans une position en extériorité. Lors de formation en groupe, en particulier lorsque ceux- ci sont hétérogènes, il est loisible d'encourager les adultes à prendre en compte leurs biais pour mieux interagir ensemble.
Comment apprendre à comprendre et agir dans un système social?
Toutes les formes de dialogue ou de discussions ouvertes et constructives sont des opportunités pour les adultes de reconnaître et de respecter les différences de valeurs et de place dans le système. Il est possible de faire l'apprentissage des systèmes sociaux de façon formelle ou informelle. Par les cours universitaires en sciences sociales (comme la sociologie, l'anthropologie, la psychologie sociale, etc.), par les formations professionnelles, comme les formations en management, en relations humaines, en négociation, par des webinaires et les formations en ligne offerts par des institutions éducatives, des organisations professionnelles ou des consultants indépendants.
Mais les moyens informels sont aussi pertinents, avec des livres et les articles sur les systèmes sociaux par la fréquentation des réseaux sociaux, pour échanger des informations, des idées et des opinions sur les systèmes sociaux. Les internautes peuvent suivre des experts, partager des articles et interagir avec d'autres personnes qui s'intéressent à ce sujet. Ils sont responsables de leur propre apprentissage et peuvent être exposés à des points de vue différents.
Les activités humaines les plus riches pour mieux appréhender les systèmes sociaux, relèvent probablement de l'observation participante qui implique de participer activement à un système social, en observant les interactions et les comportements des membres, et en prenant note des normes, des valeurs et des pratiques qui régissent le système. Les simulations peuvent permettre de recréer des situations sociales complexes, en utilisant des modèles et des scénarios pour comprendre les interactions et les relations entre les différents éléments du système social.
Les débats et les discussions peuvent permettre de confronter différentes perspectives et points de vue, et de mieux comprendre les enjeux et les défis auxquels sont confrontés les systèmes sociaux. Dans des groupes d'étude informels, cercles ou communautés d'intérêt, les membres peuvent se rencontrer régulièrement pour discuter de lectures, partager leurs idées et pratiquer des exercices d'analyse des systèmes sociaux traitant de la vie locale, de la culture, des problèmes spécifiques d'une organisation ou d'une association.
La façon "d'apprendre à faire social" la plus éprouvée repose probablement sur toutes les formes de dialogue autour d'un sujet commun. Tous les dialogues sont alors intéressants, les cercles de dialogue, les cercles de parole, les cercles de réflexion, les cercles d'apprentissage, les cercles de résolution de problèmes visent à explorer des situations complexes ou des défis rencontrés dans un système social et à chercher ensemble des solutions ou des alternatives. (Cristol, 2017)
Les savoirs-faire émancipateur acquis dans un cercle de dialogue
La fréquentation d'un cercle de dialogue peut contribuer à la transformation d'un système social de différentes manières, en fonction des objectifs et des pratiques du cercle, ainsi que des contextes dans lesquels il s'inscrit. Un cercle permet de favoriser la compréhension mutuelle, d’encourager la réflexion critique de développer des compétences de dialogue chez les participants, en renforçant leur capacité à communiquer de manière efficace, à écouter activement, à formuler des questions pertinentes, à respecter les autres points de vue et à rechercher des consensus constructifs.
Enfin, le cercle de dialogue stimule l'engagement et l'action des participants en faveur de la transformation du système social, en leur permettant de mieux comprendre les enjeux et les défis auxquels ils sont confrontés, en les incitant à réfléchir à des solutions concrètes et en les encourageant à agir individuellement et collectivement pour le changement.
Sources
Docebo. Qu’est ce que l’apprentissage social et comment l’adopter?
https://www.docebo.com/fr/learning-network/blog/quest-ce-que-lapprentissage-social-et-comment-ladopter
Wikipédia. Emancipation https://fr.wikipedia.org/wiki/Émancipation
Bernard-Weil, É. (1999). La théorie des systèmes ago-antagonistes. Le débat, (4), 106-120.
https://www.afscet.asso.fr/msc/textes-2008/ebw-debat99.pdf
Louis, D. (2002). La théorie de la contingence. Publications Études & Analyses.
https://www.etudes-et-analyses.com/gestion-strategie/management-et-organisation/memoire/theorie-contingence-318008.html
Lacaze, L. (2013). L'interactionnisme symbolique de Blumer revisité. Sociétés, 121, 41-52.
https://doi.org/10.3917/soc.121.0041
Wikipédia Edgard Morin https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin
Kawamoto, H. (2011). L'autopoïèse et l'« individu » en train de se faire. Revue philosophique de la France et de l'étranger, 136, 347-363. https://doi.org/10.3917/rphi.113.0347
Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L'acteur et le système.
https://www.decitre.fr/livres/l-acteur-et-le-systeme-9782757841150.html#ae85
Cristol, D. (2017). Les communautés d’apprentissage : apprendre ensemble. Savoirs, 43, 10-55.
https://doi.org/10.3917/savo.043.0009
Voir plus d'articles de cet auteur