
Les thèses qui comptent pour l'apprenance
Les sciences de l'éducation et de la formation se développent à l'aide de nouveaux concepts. Celui d'apprenance ne cesse de prendre de l'ampleur.
Publié le 06 mai 2019 Mis à jour le 19 avril 2023
Koffi Baako est un jeune inscrit en thèse à l’Université de Dschang, au département « Études Africaines » où il travaille sur l’épistémologie de la pensée africaine. Cependant, ses travaux de recherche n’avancent pas très vite car la bibliothèque universitaire ne dispose pas des ouvrages clés sur ce sujet. Rien d’étonnant ! Il se décide donc naturellement à aller explorer cette bibliothèque universelle qu’est Internet, une porte d’accès aux savoirs numériques de l’humanité en quelques clics. Après plusieurs semaines passées à fouiller et fouiner sur le web, il est parvenu à glaner quelques articles intéressants ça et là.
Mais comme toujours, les meilleurs articles, ceux là qui l’intéressent vraiment, sont visibles mais inaccessibles. Il ne peut qu’en consulter de brefs résumés mais ne peux accéder gratuitement à la version intégrale. Il aimerait bien payer les 20 à 30$ exigés[1] pour l’article mais voilà, il ne dispose pas de compte ni de carte bancaire. Visa, MasterCard… sont des services bancaires dont il connait assez vaguement la fonction, mais ne s’est jamais aventuré à s’en servir. Bien plus, il découvre que pour au moins une bonne dizaine d’articles clés dont il aurait besoin, l’addition serait assez salée pour Koffi s’il devait tous les payer avant consultation. Et rien ne lui garantit que ces articles, une fois achetés, combleraient effectivement ses attentes et sa soif… Ne pouvant contourner cette muraille économique, il se résigne à faire avec les « moyens de bord », mais cela affecte sa productivité…
Pangop Hector quant à lui est un professeur de sciences biomédicales à l’Université de Douala. Après 30 années de service et d’intense production scientifique, il se rend compte que son score de visibilité scientifique est toujours faible, alors que d’autres enseignants, parfois moins consistants et pertinents que lui, ont rapidement trouvé la face du soleil, car disposant d’un accès plus aisé et diversifié aux plateformes de distribution et de dissémination des savoirs.
Il ne s’agit là que de deux exemples figuratifs, parmi tant d’autres que rencontrent les chercheurs ou étudiants originaires des pays en développement. L’accès intégral aux articles ou revues scientifiques est un frein majeur aux progrès de la science.
Conscients de ces barrières, des informaticiens ont longtemps essayés de trouver des moyens alternatifs pour avoir accès à des contenus. Si d’habitude, c’était l’industrie de la musique, du cinéma, du logiciel ou du divertissement qui étaient la cible des piratages, la donne a légèrement changé au cours de la dernière décennie, car les éditeurs scientifiques sont désormais ciblés et voici quelques solutions populaires pour accéder gratuitement à la Science.
Lancé le 5 septembre 2011 par une jeune chercheuse en neurosciences vivant en Russie, la Kazakhe Alexandra Elbakyan, Sci-Hub est sans aucun doute l’équivalent de Google dans la mise à disposition gratuite d’articles scientifiques. Depuis qu’il est devenu populaire, les porteurs de ce projet livrent régulièrement des combats[2] contre les géants du marché de l’édition scientifique comme Elsevier[3] et ACS (American Chemical Society) qui accusent un considérable manque à gagner et se plaignent de ce mode de distribution gratuite de la connaissance.
« Nous luttons contre l’inégalité de l’accès à la connaissance dans le monde, peut-on lire sur le site. La connaissance scientifique devrait être accessible à tout un chacun, quels que soient son niveau de revenus, son statut social, son lieu de vie, etc. »
«En mars 2017, la base de données de Sci-Hub contenait 68,9 % des 81,6 millions d'articles scientifiques enregistrés auprès de Crossref et 85,1 % des articles publiés dans les revues d'accès payant. La couverture variait selon la discipline et l'éditeur, et Sci-Hub couvre de préférence le contenu populaire et payant. Pour les articles d'accès payant, Sci-Hub offre une plus grande couverture que l'Université de Pennsylvanie, une importante université de recherche aux États-Unis. »
D’après les analyses d’une équipe de chercheurs américains, australiens et allemands en février 2018.
Aujourd’hui, Sci-hub donne accès, gratuitement, à plus de 85 millions d’articles de chercheurs et a plus de 500 000 téléchargements par jour, selon les chiffres donnés par le site. Au regard des poursuites à son endroit, Sci-Hub est parfois contraint de fermer un domaine mais en ouvre un autre dans la foulée.
Contrairement à Sci-Hub, Unpaywall qui fut aussi lancé en 2011 par Heather Piwowar, Jason Priem et Cristhian Parra, n'est pas considéré comme illégal par les éditeurs de revues scientifiques. En fait, près de la moitié des articles recherchés en ligne sont disponibles quelque part en version gratuite et libre d'accès.
Unpaywall est donc une base de données de plus de 45 millions d'articles accessible par un moteur de recherche pour permettre aux chercheurs de dénicher dans l'immensité du web des articles en accès libre. Par exemple, lorsqu'un chercheur tombe sur un article en accès protégé et payant, Unpaywall cherche si une version gratuite — et légale — est stockée quelque part. Et la recherche est plus facile grâce à l’extension pour le navigateur lancée en Avril 2017.
L’extension de Google Scholar permet de rechercher automatiquement la disponibilité d’un article scientifique en version gratuite, en passant par les réseaux sociaux académiques comme ResearchGate ou Academia, où des chercheurs téléchargent leurs articles sans être systématiquement autorisés à les déposer par les éditeurs .
Le projet Open Access Button (OAB) a pour but de nous faire rebondir, gratuitement et légalement, d’un option payante à une alternative libre. Contrairement au Google Scholar Button, l’OAB ne dépouille pas les réseaux sociaux académiques. Si une version gratuite de l’article est disponible, celle-ci s’ouvre directement.
Cette extension de navigateur ( Firefox ou Chrome), créé par des chercheurs de l’Imperial College de Londres, a un double objet: reconnaître l’affiliation de l’utilisateur à une université et donc ouvrir les articles au format PDF en fonction des abonnements de sa bibliothèque ; ouvrir en complément des versions gratuites des articles quand elles existent.
Cette extension de navigateur dispose de nombreuses fonctionnalités :
arXiv est un service de distribution gratuit et une archive en libre accès de 2 088 732 articles savants dans les domaines de la physique, des mathématiques, de l'informatique, de la biologie quantitative, de la finance quantitative, des statistiques, de l'ingénierie électrique, de la science des systèmes et de l'économie.
Les documents de ce site ne sont pas examinés par des pairs par arXiv.
La plupart des bibliothèques africaines, en particulier subsahariennes, n’ont pas les moyens de souscrire aux prix exorbitant des bases de données commerciales, ni ne sont en mesure de mettre à disposition de leurs chercheurs une documentation à jour.
D’après le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), l’intérêt du continent africain pour le libre accès se limite encore largement à la possibilité d’accéder gratuitement aux recherches produites à l’étranger, alors qu’il existe quelques initiatives africaines, « fragmentées et désorganisées ».
Rares en effet sont les établissements africains à avoir défini une politique claire en matière de libre accès à l’information scientifique[4].
Le répertoire des politiques sur le libre accès, ROARMAP ne recense que 19 politiques formulées sur le continent africain : 2 en Afrique du Nord (Algérie), 2 en Afrique de l’Ouest (Ghana et Nigeria), 7 en Afrique de l’Est (Kenya et Zimbabwe) et 8 en Afrique du Sud (Université de Pretoria).
Le site African Journal Online (AJOL), qui s’est donné pour mission de valoriser les recherches menées en Afrique, recense également près de 200 revues publiées en libre accès.
Sur le Global Open Access Portal (GOAP) , l’Unesco souligne 4 défis à relever pour garantir un accès large et gratuit à l’information scientifique et technique en Afrique :
Comme nous l’avons vu, le libre accès accroit la visibilité des recherches, facilite et accélère l’évaluation de leurs résultats par les pairs et améliore l’internationalisation de la recherche, en particulier pour les pays en développement.
Si la connaissance est un enjeu de pouvoir, faciliter le partage et l’accès le sont davantage. Ainsi, il y’a urgence de largement faire diffuser les résultats des recherches produits en Afrique par des africains pour rendre la Science plus équilibrée et équitable. Des projets comme Sci-Hub sont ainsi bienvenus car ils permettront de faire évoluer le modèle économique des revues scientifiques afin de se tourner vers l’Open Source et le réel partage des connaissances à travers le monde !
[1] Le prix d’accès aux articles scientifiques, qui ne cesse d’augmenter, agite la communauté scientifique depuis plusieurs années. En 2012, plus de 15 000 chercheurs avaient signé une pétition intitulée « Le coût du savoir », dénonçant les prix « exorbitants » d’Elsevier, qui publie pas moins de 2 000 revues scientifiques par an.
[2] ‘Sci-Hub, le site qui pirate des articles de recherche scientifique, est de retour’, 15 February 2016, https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/02/15/sci-hub-le-pirate-bay-de-la-recherche-scientifique-est-de-retour_4865611_4408996.html
[3] Elsevier avait porté plainte contre le site pour violation de droits d’auteur et obtenu gain de cause auprès de la justice américaine. Le nom de domaine initial, Sci-hub.org, avait été supprimé par les autorités. Mais le site est réapparu sous une autre adresse, Sci-hub.io
[4] Soline Lau-Suchet, ‘« Open access » et ressources en libre accès sur le continent africain #OAweek’, Billet, Le Carreau de la BULAC (blog), accessed 29 April 2019,
https://bulac.hypotheses.org/3615
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