Le bâtiment « De Rotterdam » (le Rotterdam) qui illustre l’article est l’œuvre de l’architecte, urbaniste et théoricien de l’architecture néerlandais Rem Koolhaas.
Situé dans la ville éponyme et construit en 2013, la construction a été conçue pour être vue en mouvement depuis la Nouvelle Meuse, ou encore depuis la route. Le point de vue mobile et changeant déforme le bâtiment, le reforme, le remodèle : quand on avance, à nos yeux, les tours se séparent et se rapprochent.
Les monuments : des sociétés éternelles
Historiquement, les monuments ont représenté des repères et la mise en forme des idéaux des humains. Nos aspirations y sont représentées, la manière dont nous organisons nos sociétés. Nous les espérons – nos société et nos monuments – immuables, durables, présents pour l’éternité.
À partir des théories d’Alberti, pendant cinq siècles, jusqu’au début du XXe siècle, les règles architecturales répondaient à la nécessité d’une beauté composée et harmonieuse. C’est-à-dire que, dans une composition architecturale, rien ne pouvait être ajouté ou retranché.
La mutation, l’adaptation, le dialogue même, n’étaient pas envisageables. Cela est resté un certain temps dans l’esprit des citoyens. Ainsi, en 1984, un an avant le démarrage des travaux, la pyramide réalisée par I. M. Pei au Louvre, faisait encore scandale.
Le « plan libre » du Corbusier
Au début du XXe siècle, la composition avait été remise en question par la « liberté absolue du plan » du Corbusier (le « plan libre »).
Cependant, « la quête de flexibilité offerte par le plan libre n’a généré qu’une architecture figée, incapable de répondre aux mutations perpétuelles de la société, à sa transformation rapide ».
Dans les années 1960, le groupe d’architectes Team X (l’équipe 10) écrivait que :
« Toute réponse architecturale [doit] se situer désormais dans un espace / temps mouvant et évoluant sans cesse et non plus dans l’immobile éternité de l’œuvre d’art. »
Il s’agit de concevoir et d’anticiper le changement d’usage. En effet, le monde actuel est changeant, au point que les notions de fluidité et de théories liquides continuent de s’avancer.
L’indétermination en architecture
Pour en revenir aux années 1960, elles ont vu émerger les théories de l’indétermination en architecture. Cependant les concrétisations (projets construits) ont été rares et les réalisations (projets non-construits) partielles.
Cette indétermination en architecture est l’objet de la thèse de Xavier Van Rooyen.
Il a procédé par une modalité d’architecture comparée. Il a dégagé dans ce travail des principes de mise en forme de l’indétermination dans l’architecture.
Sa recherche s’articule en trois axes :
- La théorisation de l’indétermination dans les années 1960.
- L’apport combinatoire de Rem Koolhaas à cette théorie. Il a en effet combiné la spécificité architecturale et l’indétermination programmatique.
- Le devenir de l’indétermination en architecture depuis les années 1990.
Ouvert et structuré
La thèse cite Peter Cook, qui met en regard la définition du dictionnaire Oxford et l’usage d’Archigram :
« Définition du dictionnaire Oxford :
Indéterminé : “Pas d’étendue ou de caractère fixe, vague, laissé à l’état de doute.”
Usage d’Archigram : D’évaluation variable. Pas une seule réponse. Ouvert à l’infini. »
Comment en effet articuler la notion d’indéterminé, qui est l’ouvert et l’architecture, qui est le structuré ?
En architecture, l’indétermination s’applique à trois niveaux :
- Le niveau programmatique. C’est-à-dire au niveau de ce qui encadre l’espace : le périmètre. Il s’agit d’anticiper les changements fonctionnels intérieurs.
- Le niveau volumétrique. Il permet de rendre possible une croissance du volume initial, tout en respectant le système.
- Le niveau esthétique. Il s’agit de l’appropriation du bâtiment par les usagers et de l’évolution par suite de leurs interventions.
La combinaison du spécifique et de l’indéterminé
Rem Koolhaas œuvre à l’échelle urbaine et à l’échelle architecturale, dans sa polarité spécifique / indéterminé.
À l’échelle de la trame, l’urbain est soumis aux aléas des facteurs externes, qui ne sont pas contrôlables.
Ici, c’est « le vide [qui] assure la stabilité de l’ensemble ».
À l’échelle architecturale, soit au niveau de l’enveloppe extérieure, spécifique, il intervient à l’intérieur avec des programmes génériques, indéterminés et neutres.
Pour le chercheur, les vecteurs de l’indéterminé sont les trois concepts :
- « Le plan libre » du Corbusier.
- « La coupe libre » : le renversement du plan libre par Rem Koolhaas.
- « La pièce libre », multifonctionnelle.
Quand le vide stabilise
À partir du plan libre et de la coupe libre, Koolhaas a développé des fragments, des îles :
« Chaque fragment volumétrique incorpore l’idée du changement. […] L’agrégation […] s’opère dans le plan vertical ou horizontal. »
« L’île programmatique […] se développe librement parmi la diversité. »
Les fragments sont stabilisés par le vide : les rues, les espace intersticiels.
Dans la conclusion, pour les architectes, l’auteur reprend un diagramme avec toutes les structures de l'indétermination, exprimées dans des programmes réalisés ou non (fig. 133). Les concepts d’indétermination sont également listés dans un tableau chronologique qui reprend les processus et les niveaux d’indétermination.
Architectes et non-architectes pourront aussi méditer sur cette notion du vide, qui trame et rend vivable le dynamisme du changement.
Illustration : podk de Pixabay.
À lire :
Xavier Van Rooyen, Architecture indéterminée. Architecture et théories
de l’indétermination depuis les années 1960. Art de bâtir et urbanisme,
faculté d’architecture, Université de Liège, 2021.
Thèse consultable sur : https://orbi.uliege.be/handle/2268/256683
Voir plus d'articles de cet auteur