Les enseignants, selon le contexte, peuvent avoir des profils différents et leurs prérogatives, aussi bien officielles qu’officieuses, ne sont pas les mêmes. Entre l’approche par compétences et l’approche par objectifs mis en avant dans la pédagogie de plusieurs pays subsahariens, se trouve des enseignants à qui les prérogatives débordent amplement le cadre purement pédagogique.
Ainsi, quelles sont ces tâches supplémentaires effectuées par ces enseignants ? Ont-ils encore les possibilités de réaliser ce qui leur est demandé ? Comment améliorer leurs conditions ?
1-L’enrôlement des élèves : au-delà des salles de classe
Dans leur article intitulé les « Les difficultés au travail des enseignants », Christophe Hélou et Françoise Lantheaume présentent l’enrôlement des élèves ou d' apprenants comme le premier problème que rencontrent les enseignants.
Il s’agit d’un enrôlement à travers les sujets abordés, la manière de les aborder, le timing etc. afin de susciter l’intérêt des apprenants. Si cet enrôlement fait partie des prérogatives des enseignants, il y en a un autre qui sort carrément des fonctions de cet acteur de l’éducation : la mobilisation hors de la classe.
En principe, lorsque l’élève franchit le seuil de l’établissement, il est sous la responsabilité des enseignants mais il y a des contextes dans lesquels l’enseignant est obligé de circuler dans le quartier, dans les marchés ou tout autre endroit différent ou hors de l’école pour mobiliser les élèves. Cela s’est vu dans le nord du Cameroun ou des enseignants sont souvent obligés de rencontrer les élèves hors des établissements afin de les convaincre de rejoindre les salles de classe.
Brandon, un enseignant d’anglais au secondaire dans la région du centre du Cameroun, nous fait remarquer que plusieurs élèves désertent les classes pour des activités de chasse ou de commerce et qu’ils sont souvent obligés de sortir de l'établissement scolaire pour inviter les élèves à prendre part au cours. Plusieurs raisons justifient le désintéressement à l’école: activités pastorales, commerce et récemment la guerre qui aggrave la faim. Toutefois, quelqu’en soit la raison, ce n’est pas le rôle des enseignants de mobiliser les élèves de cette façon.
Le rôle extra-tâche ne s’arrête pas seulement à l’enrôlement des élèves, les enseignants se transforment très souvent en maçon ou en menuisier.
2-Enseigner la maçonnerie ne veut pas dire que l'on est maçon
En septembre 2022, une histoire pourtant pas isolée, a fait sensation au Nord du Cameroun. En effet, une enseignante affectée dans une école s’est trouvée en train de construire des huttes pour abriter ses élèves.
Margueritte 'est vue obligée de chercher des troncs d’arbres et autres objets pour construire une salle classe dans son école. Il s'agit de l'école publique de Laïnde-Bilonde dans le troisième arrondissement de la ville de Garoua, capitale régionale du Nord Cameroun.
C’est une école d’environ 500 élèves mais qui n’a que deux salles de classes construites en matériaux définitifs. Voilà une tâche attribuée à une enseignante qui est loin de faire partie de ses prérogatives. Dans un contexte pareil, l’enseignant ou l’enseignante est la personne à tout faire, ce qui nous amène à questionner son rendement. L’enseignant est certes un maçon, mais des savoirs et non des bâtiments, sauf si la maçonnerie fait partie de ses hobbies. Dans certaines localités où les salles de classes sont suffisantes... deux ou trois enseignants sont affectés pour six classes.
3-Un enseignant pour tous !
Un tour dans plusieurs écoles en Afrique subsaharienne fait constater une réalité accablante. Il y a environ un an, j’ai séjourné dans les Hauts plateaux, l’un des départements de la région de l’Ouest du Cameroun. C’est une région ou le taux (73,25%) de scolarité est l’un des plus élevés du pays, mais dans les coins reculés de cette région, le manque d' enseignants est criant. Dans un village de ce département, j’ai constaté qu’une école publique de 6 salles de classe n’avait que trois enseignants. Je ne vais pas citer l’école pour ne pas faire une fixation, c’est une situation non isolée. Dans d'autres établissements, la situation est davantage visible.
4-Comment ne plus trop en demander aux enseignants sous les tropiques ?
- Construire des infrastructures.
Malgré les progrès dans l’éducation, des problèmes infrastructurels sont légion. Si l’on admet que l’éducation est le socle de développement de la société, autant en faire une priorité et offrir des salles de classe dignes de ce nom afin de permettre aux enseignants de réaliser pleinement leurs fonctions : préparer les cours, les dispenser, évaluer et encadrer les élèves.
Même si ces prérogatives ne sont pas les mêmes dans les contextes où les technologies font de l’enseignant un accompagnateur, en Afrique subsaharienne et dans plusieurs localités, l’enseignant dans ses fonctions classiques est encore à valoriser. Également, il ne s’agit pas seulement de construire des salles de classe mais aussi de bâtir des maisons qui pourront abriter les enseignants envoyés dans les campagnes. Les conditions dans ces zones sont déjà assez rudes, alors, afin de motiver les pédagogues et éviter l’abandon des postes, les États peuvent mettre à leur disposition des logements, même provisoirement.
- Recruter des enseignants formés.
Selon le site Éducation international, « les écoles publiques camerounaises manquent de maîtres alors que des milliers d'instituteurs formés sont au chômage. Une inadéquation regrettable alors que de nombreux pays d'Afrique manquent, eux, d'enseignants qualifiés. » C’est une triste réalité dont la seule solution réside dans le recrutement massif des enseignants formés afin qu’on ait plus un enseignant pour trois ou quatre salles de classe et avec des salaires dérisoires.
- Former davantage les enseignants
L’Afrique subsaharienne aurait besoin de 11 millions d’enseignants. Les pays les plus touchés sont le Tchad, le Mali, le Niger et le RCA. La formation ici doit être contextualisée. Car les difficultés ne sont pas les mêmes. Le fossé entre les campagnes et les villes est énorme.
D’autres facteurs, comme le manque d'électricité, empêchent d’employer un certain nombre de technologies en campagne. Du coup, en attendant de résoudre le problème des infrastructures, il faut former l’enseignant, tout au moins dans la pédagogie classique.
- Répartition équitable des enseignants formés sur l’étendue du territoire.
Dans certains pays africains comme le Cameroun, on remarque une concentration des enseignants dans les centres-villes. Il arrive qu’une classe au cœur de Yaoundé, la capitale, ait trois enseignants alors que dans les périphéries, un enseignant gère plus de trois classes. Il est donc impératif de répartir équitablement les enseignants sur le territoire national.
- Observer l’enseignant dans la peau d’un soldat
C’est-à-dire, celui-là qui peut intervenir dans des contextes difficiles qui vont au-delà de la simple sécurité ou de la simple sûreté, peut être admirable mais ce n’est pas son rôle. Les contextes difficiles dans lesquels ils ou elles travaillent font souvent d’elles des personnes admirables.
Toutefois, il est évident que leurs charges ne leur permettent pas remplir le cahier de charges, purement pédagogique. L’enseignant soldat est donc celui ou celle-là qui travaille dans des conditions difficiles et est très souvent amené à réaliser des tâches qui n’ont rien à voir avec la pédagogie.
Illustration : DepositPhotos - artavet
Bibliographie
Kouagheu, Josiane « Au Cameroun, une école primaire clandestine éduque les enfants « traumatisés par la guerre»
En ligne, https://urlz.fr/kHTi
Hélou, Christophe et Lantheaume, Françoise, 2008, « Les difficultés au travail des enseignants »,
https://journals.openedition.org/rechercheformation/833
Nyet ? Paul Basile Odilon «Conditions de travail, vulnérabilité professionnelle et performance des enseignants dans les établissements secondaires publics à l'extrême Nord Cameroun», Revue Espace Territoires Sociétés et Santé
En ligne, https://urlz.fr/kHTa
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