Pour comprendre le rôle du modèle dans nos sociétés, le plus simple est d'abord d’aller voir comment se comporte notre cerveau et quel y est le rôle du modèle.
En fait, tous les apprentissages, qu’ils soient intellectuels ou physiques, passent par le même mécanisme du modèle.
“Nous savions que nous devons nos performances sportives à un minuscule amas de cellules nichées dans les profondeurs de notre cervelet. Ce que nous ne savions pas … c’est qu’au cours de l’apprentissage de nouveaux gestes moteurs (un swing de golf par exemple), les neurones du cervelet effectuent d’élégants calculs, quasi mathématiques, afin de comparer en temps réel ce qu’ils ressentent à ce qu’ils s’attendaient à ressentir.
Ils s’ajustent ensuite rapidement en modifiant la force des connexions entre d’autres neurones pour former de nouveaux schémas cérébraux permettant d’effectuer la tâche à accomplir. Autrement dit, des neurones cérébraux individuels ont la capacité de reconnaître de façon dynamique la différence qui existe entre les rétroactions sensorielles attendues et l’information qu’ils reçoivent effectivement au cours de l’apprentissage moteur. La différence calculée est ensuite utilisée pour modifier rapidement les schémas cérébraux et les connexions entre les neurones afin de permettre l’apprentissage de nouvelles habiletés motrices”.
Sources : “50 – Apprentissage du mouvement : notre cerveau sait prévoir l’inattendu” par Hubert Desrues - 23 août 2015
https://www.ogolf.fr/50-apprentissage-mouvement-cerveau-sait-prevoir-linattendu/
“Toute entrée dans les apprentissages commence par un point de départ théorique ou pratique. C’est le point de comparaison. Il va étayer l’expérience et l’enrichir à chaque fois que l’expérience se reproduira. On peut comparer cette connaissance à un nuage de points de contrôle ou de comparaison, dont la périodicité d’un point vers l’autre va plus ou moins fortifier la connaissance et sa transmission dans le cerveau.
Plus l’information est récurrente plus elle créera de routes et d'autoroutes neuronales propices à l’intégration de l’expérience proche ou complémentaire. Il y a une mécanique itérative de l’apprentissage et un mouvement de va et vient d’une expérience sur l’autre qui génère la modélisation et l’intégration de schémas intellectuels qui vont favoriser l’opportunité d’intégrer de nouvelles connaissances physiologiques, physiques et par le corps.”
Source : L'apprentissage spontané à partir d'un modèle : ajustement et renforcement - avril 2018
https://cursus.edu/fr/11749/lapprentissage-spontane-a-partir-dun-modele-ajustement-et-renforcement
Les modèles peuvent être aussi des modèles sociaux, pas seulement de nature de l’expérience, ou de la prédictibilité, mais aussi de la norme.
“De La civilité puérile d’Érasme aux Petites filles modèles en passant par Les aventures de Télémaque, la littérature d’enfance et de jeunesse a longtemps été considérée comme un conte moral contribuant à l’édification des jeunes générations en mettant en scène valeurs et normes d’une époque et d’une société. Qu’en est-il dans la période contemporaine ?
Prenant place dans l’ensemble des éléments culturels qui entourent l’enfance, qu’ils soient issus des supports traditionnels ou des médias les plus modernes, la littérature enfantine peut toujours être considérée comme une des formes contemporaines de ces anciens manuels de civilités au travers desquels s’édictaient et se transmettaient les normativités. Si le statut de l’enfance a évolué, de même se sont transformées les formes d’édiction des normativités. On peut donc faire l’hypothèse que ces mutations se traduisent et se reflètent au travers de ce miroir culturel. C’est pourquoi on choisira ici l’angle particulier d’un rituel de socialisation, en pleine réinvention, l’anniversaire, pour examiner mutations et variations des figures de l’enfance au miroir de sa mise en scène littéraire.
En effet, alors que traditionnellement l’anniversaire s’organisait principalement autour de l’ancien de la famille, ainsi que l’illustre joliment l’ordonnancement de l’anniversaire de tante Brunette d’Elsa Beskoff publié en 1925, il célèbre maintenant tout d’abord l’enfant, autour duquel se réunit soit le cercle de famille, soit le cercle des copains…”
Source : Enfance modèle, modèle d'enfance ?
La représentation de l'enfance au travers du rite de l'anniversaire dans la littérature enfantine
Les enfants dans les livres (2013)
https://www.cairn.info/les-enfants-dans-les-livres--9782749237312-page-23.htm
Et la norme change. Les habitudes de vie changent. Ici le centre de l’attention des anniversaires traditionnels est passé des aînés à celui des petits enfants. Cela en dit beaucoup sur nos mutations sociales et sur la construction de nos sociétés.
“«Nous les vieux»
A 78 ans, le pape François n’a jamais caché qu’il ressentait le poids de l’âge. «Nous les vieux, nous sommes tous un peu fragiles, mais certains sont particulièrement faibles, seuls, marqués par la maladie. Certains dépendent des soins et de l’attention des autres. Ferons-nous un pas vers eux, ou les abandonnerons-nous à leur destin?
Une société sans proximité, où la gratuité et l’affection sans contrepartie disparaissent, est une société perverse. Là où il n’y a pas d’honneur pour les anciens, il n’y a pas de futur pour les jeunes», a relevé le pape répétant ainsi une interpellation faite aux participants des JMJ de Rio en 2013. (apic/rv/mp)”.
Source : Pape François: «Une société sans respect des anciens porte le virus de la mort» - mars 2015
https://www.cath.ch/newsf/pape-francois-une-societe-sans-respect-des-anciens-porte-le-virus-de-la-mort/
Je ne prends pas cet exemple pour créer une polémique religieuse, ce n’est pas le but, mais les leaders religieux sont parmi les rares à parler de ce problème. Avant, la famille était au coeur du cycle de la vie et la mort et la vie étaient des choses naturelles. Aujourd’hui, les anciens et la mort sont cachés et c’est le nouveau modèle que nous proposons à nos enfants. Les naissances sont célébrées mais la fin du cycle est brisée.
La conséquence est un changement radical du modèle. C’est possible que ce soit aussi une des causes de la disparition des religions. Les religions ont un point commun à toutes, c’est la gestion de la mort et de l’espoir face aux désespoirs. La mort fait toujours partie de nos vies, mais elle est effacée et les liens familiaux sont de plus en plus distendus jusqu’à dans certaine situation aller jusqu’à abandonner ses propres parents à leur sort.
Je garde en tête cette anecdote étrange qui fait sourire mais qui est le prémisse de ce qui peut se passer ici en occident aussi dans quelques décennies.
Le Japon est bien en avance au niveau développement sociétal que nous ne le sommes aujourd’hui. Pour voir notre futur, il faut aller voir ce qui s’y passe aujourd’hui.
“Alors que certains aspirent à retrouver la liberté, d’autres veulent volontairement finir leurs jours incarcérés en dépit des conditions difficiles réputées des prisons japonaises. Ces individus sont tous des personnes âgées à le retraite…
Depuis le milieu des années 2000, un phénomène surprenant ne cesse de s’amplifier au Japon : des personnes du troisième âge commettent des délits dans le but d’être incarcérées au motif qu’elles bénéficient de meilleures conditions de vie en prison qu’en liberté. Situation cynique unique au monde d’une société qui semble avoir abandonné ses anciens au point où l’enfermement, normalement synonyme de privation de liberté, devient une délivrance.”
Source : Japon : quand papy et mamie préfèrent aller en prison… - Juin 2022
https://japanization.org/japon-quand-les-personnes-agees-veulent-vivre-en-prison/
Les modèles évoluent dans le temps. Et, des modèles qui évoluent dans le temps, cela veut aussi dire que l’on peut les infléchir et qu’ils ne sont pas gravés dans le marbre. Les normes et même les statuts changent…
“L’adolescence est généralement décrite comme une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, mais les modalités de passage de l’adolescence vers l’âge adulte se sont progressivement désagrégées : il n’y a plus de rituels installés. Aujourd’hui, avec la massification scolaire et l’allongement des études, il est difficile de fixer les bornes d’âge qui encadrent l’adolescence : on parle de préadolescence dès 11 ans et de post adolescence jusqu’à 17 ans ; ce n’est même plus la puberté qui détermine ce stade. Dans cet ouvrage, nous nous attacherons à la tranche d’âge des 12-17 ans.
On trouve les mêmes difficultés à définir le début de l’âge adulte qui est normalement déterminé par la majorité à 18 ans. Les crises économiques successives ont accru les épreuves que rencontrent les jeunes pour acquérir leur autonomie et indépendance économique, intégrer le monde du travail, trouver un logement. Les jeunes adultes face à ces aléas ont ainsi des « itinéraires zigzagants». Le caractère mouvant de leur parcours bouleverse les catégories traditionnelles : « Il semble qu’à défaut de régler la place des jeunes, on recule les limites de leur reconnaissance comme adultes. Cette incapacité de nos sociétés à gérer le passage de l’enfance à l’âge adulte pourrait, de fait, constituer une nouvelle définition de l’adolescence.
À cela s’ajoutent les mutations des modèles et des références culturelles depuis trois générations. La famille se décompose et se recompose, le père a perdu sa place de « Pater familias », la mère qui travaille a changé de rôle, ce qui en conséquence bouleverse toutes les représentations attachées à la différence des genres. Le modèle éducatif n’est plus dans l’imposition mais dans la négociation, on assiste à la crise de l’école comme instance de transmission. Sans oublier l’individualisation de plus en plus forte de la société, la mondialisation…”
Source : Les adolescents et la culture - Dans Cahiers de l’action 2013/1
https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2013-1-page-9.htm
Le modèle est le pilier de nos cerveaux et de nos sociétés. Même nos cellules fonctionnent sur le modèle.
L’ARN sert de modèle à l’ADN qui le duplique à l’infini ou presque. Car le modèle s’use et peut mourir. Quand les télomères des brins d’ADN se raccourcissent alors nous vieillissons…
“Un télomère est une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d'ADN à l'extrémité d'un chromosome. À chaque fois qu'un chromosome en bâtonnet d'un eucaryote est répliqué, lors de la réplication, qui précède la mitose (division cellulaire), le complexe enzymatique de l'ADN polymérase s'avère incapable de copier les derniers nucléotides : l'absence de télomère signifierait la perte rapide d'informations génétiques nécessaires au fonctionnement cellulaire. De récents travaux suggèrent cependant que l'ADN répétitif des télomères pourrait être transcrit en ARN répétitifs qui joueraient un rôle dans la stabilisation du télomère1. Télomère provient du grec telos, la fin, et meros, partie, donc la partie à l'extrémité de l'ADN.
Les télomères raccourcissent avec l’âge, l’inflammation et le stress”.
Source : wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9lom%C3%A8re
Est-ce que les modèles s’usent jusqu’à faire mourir leurs hôtes oui, certainement lorsque l’on parle de nos corps, mais pour les sociétés, il y a un espoir car nous avons le pouvoir de générer de nouveaux modèles. Reprenons le cerveau de notre golfeur.
“L’expérience qui se répète à l’infini est un modèle en lui-même qui va générer de nouveaux modèles.
“Notre cerveau sait prévoir
Pour maîtriser un nouveau mouvement, le cerveau commence par estimer l’influx qu’il devrait recevoir du système sensoriel. Le cervelet utilise ensuite cette prédiction pour calculer l’écart entre ce que la personne avait l’intention de faire et ce qu’elle a réellement fait...
Quoi qu’il en soit cette découverte conforte une de nos intuitions : la sensation du swing, ressentie en fin d’exécution est bien l’un des éléments actifs de notre apprentissage… Mais notre cerveau a besoin d’un modèle pour savoir à quoi s’attendre et comparer avec la sensation effectivement ressentie. D’où l’importance de l’enseignement, et de l’observation des joueurs de « haut-niveau »…”
Sources : “50 – Apprentissage du mouvement : notre cerveau sait prévoir l’inattendu” idem en début d'article
L’espoir est encore là.
Peut-être pas si nos sociétés font n’importe quoi. J’imagine assez bien qu’une vision ou stratégie est nécessaire. Le modèle peut ici être appelé norme. De la même façon qu’il existe une norme de la paix et une norme de la guerre, ou des modèles positifs et des modèles négatifs. Créer des normes ou modèles positifs est de notre responsabilité et si nous laissons filer alors ne nous plaignons pas si notre monde devient déplaisant.
Et, si vous vous posez la question de quand est-ce qu'on cesse de suivre des modèles ? Ma foi, jamais il me semble, mais on en change. La chance, dans tout cela est d'être des êtres créatifs et donc capable de créer de nouveaux modèles.
Voir plus d'articles de cet auteur
