Qu’est-ce qu’un avatar ?
La définition de wikipedia est multiple, mais en voici deux qui peuvent faire sens dans notre monde hyper-connecté.
La définition traditionnelle parle de la dimension sans limite et metamorphique qui appartenait à une sorte de mythologie historique, comme la tête de la Gorgonne, les déesses de la beauté, de la guerre, et qui rejoint notre réalité à grands pas depuis l’arrivée des jeux vidéo et du metavers.
« Le terme avatar trouve son origine en Inde (du sanskrit avatāra : « descente » ; ava-TṚ : « descendre ») et peut être traduit par « incarnation divine »1.
Depuis la fin du XIXe siècle, « le sens d'avatar s'étendit à chacune des formes diverses que prend successivement une chose ou une personne » (Dictionnaire de l'Académie française, 1969)…"
Source Wikipedia - Avatar - https://fr.wikipedia.org/wiki/Avatar
La définition informatique est un peu plus prosaïque et est la première étape de l’avatar. On le connait depuis 20 ans et il fait partie de nos univers, C’est dans beaucoup de programme la visualisation de notre identité que celle-ci soit simple ou complexe.
"Un avatar est un personnage représentant un utilisateur sur Internet et dans les jeux vidéo. À l’origine, il s'agit de l'incarnation numérique d’un individu dans le monde virtuel d'un jeu en ligne. Par extension ce terme est arrivé dans les forums de discussions puis dans le langage courant, il désigne alors le pseudonyme utilisé sur les sites internet et les réseaux sociaux. »
Source Wikipedia - Avatar - https://fr.wikipedia.org/wiki/Avatar
Aujourd’hui avec la digitalisation, ces avatars surgissent dans la plupart des applications
...que ce soit nécessaire ou pas, ils participent à la définition de nos identités. Quelques fois pour garantir la confidentialité ou la fluidité de l’affichage des applications, mais le plus souvent, et pratiquement toujours aujourd’hui, dans des contextes d’amusement personnel ou d’interactions professionnelles.
Cependant, est-ce pour un mieux ?
“L’auteur présente, en Cyberpsychologie, un modèle de relation entre un individu et un avatar numérique (incarnation de soi sur Internet, ou dans les jeux vidéo). Cette relation dépend d’un processus, la cyber-empathie, qui comprend deux boucles d’interactions.
Dans la première, pré-réflexive, l’avatar est modélisé dans le cerveau. En l’internalisant, le cerveau simule un double virtuel des propriétés de l’avatar. Simultanément, la personne externalise son schéma corporel dans l’objet, conduisant à une modification de ce même schéma dans le cerveau. C’est ce qui permet à l’avatar d’apparaître, progressivement, comme un double virtuel du corps.
Dans une seconde boucle réflexive, l’avatar est intégré comme une partie du psychisme même, c’est-à-dire comme un double virtuel du psychisme. Dans un premier temps, une extension de la surface du Moi à la technologie se manifeste. Elle s’accompagne d’une projection de l’image du corps, et de la subjectivité. Dans un second temps, un dédoublement virtuel du Moi opère, permettant une empathie avec sa propre vie psychique. Enfin, une intégration se présente, consistant à faire de l’avatar une partie de soi. Elle est permise par le Moi-cyborg, qui intervient comme une figuration (inconsciente) dont le sujet se sert pour se représenter la technologie comme une partie de lui-même.
Aussi, la personne noue avec l’avatar une relation semblable à celle qui se déroule à l’intérieur de son propre psychisme, en influençant en retour ses conduites, et en modelant potentiellement son identité.”
Source : Soi-même comme un avatar. Comment l’identité se construit aujourd’hui
Frédéric Tordo - Dans Imaginaire & Inconscient 2021/1 (n° 47),
https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2021-1-page-77.htm?contenu=resume
De la projection du soi à la cyber-augmentation, dès départ l’avatar se révèle un puissant outil qui transforme notre vision de nous-même depuis le soi intérieur, mais si l’avatar représente la personne, il est aussi une projection extérieure qui a vocation à entrer en interaction avec les autres selon des champs du possible de nos identités démultipliées quasiment à l’infini.
« Le caractère malléable du Soi est une composante essentielle dans la constitution d’une identité virtuelle dans les interactions en ligne (Turkle, 1995). Les avatars (c’est-à-dire des représentations numériques de soi) sont un exemple particulièrement représentatif de cette malléabilité dans les environnements virtuels. En effet, l’avatar est un personnage, souvent personnalisable, qui symbolise l’utilisateur en projetant son identité et ses actions dans le virtuel (Ducheneaut, Wen, Yee, Wadley, 2009). L’utilisateur a la possibilité de créer un avatar à son image, d’expérimenter une multiplicité d’identités ou de mettre en avant certaines facettes de son soi idéal (Bessiere, Seay, Kiesler, 2007). Les possibilités offertes par la personnalisation de l’avatar permettent en effet de moduler les rôles sociaux, l’identité ou encore le genre des utilisateurs.
De ce fait, puisque les avatars permettent à l’utilisateur de changer d’apparence dans l’environnement virtuel, une question centrale consiste à savoir si les avatars sont susceptibles de moduler les comportements des utilisateurs qui les incarnent. Ainsi, lorsqu’on incarne un avatar particulier, les spécificités de ce personnage – et, donc, de l’identité virtuelle – peuvent-elles nous conduire à nous comporter et nous exprimer différemment, voire à penser différemment ?».
Source : Effet Proteus et amorçage : ces avatars qui nous influencent - Jérôme Guegan, Stéphanie Buisine, Julie Collange
Dans Bulletin de psychologie 2017/1 (Numéro 547)
https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2017-1-page-3.htm
Beaucoup de question sur ces phénomènes inédits il y a encore quelques décades. La question à se poser aussi est l’effet d’éventuelles modifications de notre cerveau, de nos visions des choses, de nos interactions avec les autres. Notre cerveau fonctionne sur les modèles. Plus on fait une action, plus elle s’imprime profondément dans notre psyché, dans notre vie… dans nos études, dans notre travail. Offrez de nouveaux modèles et peut-être allez-vous créer une nouvelle civilisation.
L’effet Proteus : autoperception en environnement virtuel
"Selon Yee et Bailenson (2009), les environnements virtuels, qui rendent les interlocuteurs anonymes, peuvent être vus comme des versions numériques de la chambre noire de l’expérience « Deviance in the dark » citée plus haut (Gergen et coll., 1973). Il s’agit, en effet, d’espaces propices à la désindividuation en raison de l’anonymat et de l’isolement physique des différents utilisateurs.
En outre, dans ces environnements, l’avatar n’est pas un simple costume mais une «représentation de soi pleine et entière» (Yee, Bailenson, 2007). En d’autres termes, le costume est un indice identitaire parmi d’autres, mais l’avatar constitue le premier indice identitaire dans les environnements virtuels. De ce fait, les individus déindividués dans ces environnements devraient être particulièrement sensibles aux indices sociaux associés à la nouvelle identité qu’ils infèrent à partir de leur avatar.
De la même façon que les individus en uniformes noirs se conforment à une identité plus agressive (Frank, Gilovich, 1988), les utilisateurs percevront les spécificités de leur avatar et s’y conformeront en adoptant des comportements enclins à confirmer les attentes d’un hypothétique observateur extérieur.
Sous l’action de sa propre image, de la représentation de soi virtuelle, l’individu va donc s’auto-influencer et rationaliser ses attitudes et ses comportements au sein de l’environnement virtuel, dans le sens des indices identitaires véhiculés par l’avatar. Cette influence de l’apparence de l’avatar est appelée « effet Proteus » (du nom du dieu de la mythologie grecque qui possédait la faculté de métamorphose).
En accord avec la théorie de l’autoperception, ce phénomène peut apparaître même lorsque l’individu est seul. L’utilisateur peut, en effet, se percevoir « à la troisième personne », en adoptant le point de vue d’un observateur extérieur. Ainsi, s’il est trivial de rappeler que l’utilisateur exerce un contrôle et une influence directe sur l’avatar qu’il incarne, ce dernier peut aussi infléchir les comportements et les attitudes de l’utilisateur. En conséquence, on peut considérer que « la relation utilisateur/avatar s’initie de façon circulaire et conduit à l’élaboration d’une identité spécifique » (Guegan, Michinov, 2011). »
Source : Idem précédent - Effet Proteus et amorçage : ces avatars qui nous influencent
Jérôme Guegan, Stéphanie Buisine, Julie Collange
Plus qu’un modèle, l’avatar démontre une construction empirique et exponentielle de la personnalité de celui qui utilise l’avatar. Nous nous pensions malléables avec des bases personnelles solides. Mais, tel un chien dans un jeu de quille, l’avatar nous démontre que rien n’est figé même nos personnalités. Prenons l’exemple de ceux qui expérimentent le jeu du changement de sexe derrière leurs avatars.
« D’autres travaux analysant les situations de jeu massivement multi-joueurs ont également révélé que le sexe de l’avatar incarné peut influencer l’utilisateur en accord avec les stéréotypes de genre et les rôles sociaux associés. Par exemple, les joueuses incarnant un avatar masculin ont plus tendance à s’engager dans des affrontements au sein du jeu et communiquent moins avec les autres joueurs (Huh, Williams, 2010). À l’inverse, les joueurs incarnant un avatar féminin (qu’ils soient des hommes ou des femmes) sont plus enclins à soigner leurs coéquipiers (Yee, Ducheneaut, Yao, Nelson, 2011).
Dans leur ensemble, ces différentes recherches permettent d’apprécier l’influence que l’avatar peut exercer sur les comportements, mais également sur les attitudes des utilisateurs. L’étude de Fox, Bailenson et Tricaze (2013) fournit un bon exemple de ce phénomène. Cette expérience examine l’influence que le caractère plus ou moins sexualisé et suggestif d’un avatar féminin peut exercer sur les utilisatrices qui l’incarnent. En particulier, les auteurs ont manipulé deux facteurs : la tenue (sexualisée versus non sexualisée) et le visage de l’avatar (ressemblant à soi versus ne ressemblant pas à soi).
Durant l’expérience, chaque participante entrait en interaction avec un avatar masculin. À l’issue de l’interaction, les auteurs mesuraient les pensées liées au physique, c’est-à-dire des éléments d’auto-objectivation (Fredrickson, Roberts, 1997) impliquant de considérer les femmes comme des objets réduits uniquement à des attributs sexuels. Les résultats révèlent que les participantes incarnant un avatar sexualisé expriment davantage d’éléments d’auto-objectivation que les participantes incarnant un avatar non sexualisé.
Par ailleurs, cette étude examinait le degré avec lequel les participantes présentaient un biais de responsabilité injustifiée à l’égard des victimes de viol. Il apparaît que les participantes incarnant un avatar sexualisé qui leur ressemble physiquement présentent la plus forte inclination à manifester ce type de biais. En effet, l’attribution de responsabilité à la victime permet de générer des croyances protectrices (si les victimes sont en partie responsables de leur sort, il y a moins de chance que cela m’arrive), d’autant plus utiles que l’avatar sexualisé et l’utilisatrice se ressemblent. Les résultats de cette expérience soulignent l’influence que l’apparence de l’avatar peut exercer au niveau attitudinal et sur le plan de la mobilisation de certains types de croyances".
Source : Idem précédent - Effet Proteus et amorçage : ces avatars qui nous influencent
Jérôme Guegan, Stéphanie Buisine, Julie Collange
Les avatars ont des effets sur l’empathie et l’appartenance communautaire. Ainsi face à des situations de victimes de viol, un utilisateur non féminin pourrait devenir un défenseur des victimes par association et par le vécu. C’est très intéressant, mais cela peut aussi faire peur si l’avatar représente un tueur en série par exemple. Et, oh combien de jeux vidéo proposent de l’hyper violence à leurs joueurs. Cependant, l’avatar pourrait aussi dans d'autres contextes se révéler un puissant outil d’apprentissage si on arrive à en maîtriser les tenants et aboutissants.
« L’étude de Peña et coll. (2009, étude 2) fournit une autre illustration de l’influence des avatars sur les attitudes. Cette étude (inspirée de l’expérience de Johnson, Downing, 1979) amenait les participants à incarner un avatar représentant un médecin, un membre du KKK, ou un corps transparent (condition contrôle). Cette expérience n’utilisait pas la vue subjective, l’avatar étant perçu à la troisième personne.
Durant l’expérience, les participants se déplaçaient dans un musée virtuel et devaient imaginer des histoires sur la base des planches exposées (extraites du Thematic Apperception Test). Il apparaît que les participants incarnant un avatar du KKK, dont les attributs stéréotypés sont clairement négatifs, imaginaient les histoires les plus négativement connotées (liées au meurtre, à la vengeance, au crime et au mépris) et comportant moins d’éléments positifs que les participants de la condition médecins et de la condition contrôle.
Ainsi, selon Peña et coll., en plus de maximiser l’apparition d’éléments négatifs, « le fait d’utiliser des avatars liés à des associations agressives inhibe davantage les pensées positives » (2009).
Enfin, sur un plan plus général, il semble que l’effet Proteus puisse s’initier quel que soit le réalisme, la qualité graphique ou le degré de sophistication comportementale de l’avatar : les études citées plus haut ont été réalisées au sein de différents types d’environnements virtuels, utilisant différents moteurs graphiques et différents dispositifs d’immersion. Il ne semble donc pas nécessaire de disposer d’un haut niveau de réalisme, ce sont les indices identitaires qui déterminent les modulations comportementales et attitudinales, et non la qualité du rendu ».
Source : Idem précédent - Effet Proteus et amorçage : ces avatars qui nous influencent
Jérôme Guegan, Stéphanie Buisine, Julie Collange
Appropriation, distanciation, c’est un jeu subtil d’aller et retour où si on expérimente la méchanceté ou la joie, ou tout autre vécu, ceux-ci peuvent s'avérer être sans retour en arrière. Ce qui apparait comme un jeu pourrait influencer le cerveau pour toujours. Il semble que la frontière entre la réalité et le jeu par le virtuel soit ultrafine et irradie un côté comme l’autre.
“Viol sur Second Life : entre jeu et réalité
Second Life, comme nous l’expliquent sur leur site les concepteurs, est « un monde virtuel en trois dimensions entièrement façonné et organisé par ses résidents ». Plus de six millions de personnes de par le monde forment cette communauté régie principalement, comme nous allons le voir, par les impératifs capitalistes et néo-libéraux d’une part, la sexualité sous toutes ces formes d’autre part.
Concrètement, les individus souhaitant rejoindre cette plate-forme virtuelle se créent un personnage (un avatar) dont ils choisissent le nom mais aussi l’aspect physique modulable à chaque instant. Chaque avatar rencontré est donc créé et dirigé par une personne réelle avec laquelle, à travers son écran d’ordinateur, il est possible d’interagir.
Vente d’objets virtuels en tous genres, spéculation « immobilière », « lieux » de rencontres, propositions de services rémunérés allant du simple gardiennage à la prostitution ; « tout devient possible », pour reprendre le slogan de Nicolas Sarkozy lors de la dernière campagne électorale pour les élections présidentielles françaises.
Et c’est à travers ce « tout possible » que se fait déjà entendre le glissement d’un jeu réglé vers le brouillage du principe de réalité et la promesse nécessairement factice d’un monde où les individus n’auraient plus à s’arranger d’un manque fondamental et structural.
Un autre élément vient semer davantage la confusion entre ce qui relève du fantasme – mis en scène sans trop de risque par le biais du jeu – et la réalité tangible de l’expérience. En effet, toutes les transactions dans Second Life s’opèrent au moyen d’une monnaie virtuelle : les Linden Dollars (LD). Mais ces LD peuvent à tout moment être convertis en Dollars U.S. bien réels.
Pensons un instant à cette femme remplissant son réfrigérateur grâce à l’argent gagné en tant que prostituée dans Second Life, à cet homme voyant son compte en banque crédité d’une certaine somme d’argent reçue pour ses activités virtuelles de gogo dancer alors même qu’il tremble à l’idée d’adresser la parole à une inconnue .
« Dans le monde virtuel de Second Life, un personnage s’est récemment fait violer. Suite à ce viol virtuel, la police judiciaire de Bruxelles a ouvert un dossier. “Le but est de vérifier si des infractions ont été commises”, indique-t-on auprès de la police fédérale. Le parquet a également été alerté ». Il semblerait que le parquet de Bruxelles ait demandé aux enquêteurs de la Federal Computer Crime Unit d’aller patrouiller au sein de Second Life. Des policiers – non pas en civil mais « en avatar » – enquêtant dans un monde virtuel à propos, notamment, du viol d’une représentation graphique en 3D par une autre ; sommes-nous en pleine science-fiction ?
Cela pourrait être amusant si ce fait divers ne révélait un fait inquiétant : une jeune femme semble avoir vécu psychiquement les effets dévastateurs bien réels d’un viol et cette confusion entre deux ordres de réalité se retrouve validée par les institutions sociales. Autrement dit, nous ne pouvons nous contenter d’énoncer quelque hypothèse diagnostique à propos de cette jeune femme. Si les institutions elles-mêmes valident cette confusion, alors nous avons à tenir, dans nos réflexions, le double fil de la clinique et de l’étude des transformations contemporaines de notre société".
Source : Mondes virtuels et capacité d'illusion : les avatars du lien
Christophe Janssen, Sophie Tortolano
Dans Cahiers de psychologie clinique 2010/2 (n° 35) -
https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2010-2-page-57.htm
Est-ce qu’un viol virtuel est un viol ? Il semblerait bien que oui si les individus s’investissent émotionnellement dans leurs avatars. Est-ce le signe d’une fragilité ? Est-ce une mutation de notre humanité ? Rien n’est simple et nécessite des études poussées sur le sujet. Si ces mésaventures arrivent aux adultes, que penser de leurs impacts sur les enfants et les adolescents dont la personnalité est en cours de création.
Mais peut-être que l’avatar est quelque chose qui va au-delà d’une image ou d’une personnalité multidimensionnelle. Est-ce que mettre en ligne des photos de sa vie privée sur Facebook n’est pas déjà de l’ordre de l’avatar surtout lorsque l’on constate l’augmentation des comportements irrespectueux, voir agressifs et de leurs effets sur les jeunes esprits qui peuvent les mener au suicide ou le contraire la mise en valeur à l’extrême de quelques individus qui en fait des dieux.
« Face à de telles injonctions, nous avons créé des mondes que nous savons, la plupart du temps, être d’une réalité autre que celle dans laquelle nous évoluons habituellement. Cette réalité, nous la désignons, d’ailleurs, comme étant « virtuelle » ; c’est-à-dire « qui est seulement en puissance mais sans effet actuel ».
Et pourtant, des effets actuels du virtuel, il y en a ; le premier étant de permettre aux individus d’échapper pour un temps à ces normes sociales tyranniques en se réfugiant dans un monde largement imaginaire, où le moi peut se prendre pour le moi-idéal. Un monde ou tout serait possible.
Les mondes virtuels apparaissent, dès lors, comme une tentative de réintroduire du transitionnel dans une société où les liens se trouvent fragilisés, mais qui échoue en ne permettant pas que s’y déploie une véritable aire intermédiaire. C’est-à-dire que les échanges sur ces sites ne remplissent pas les conditions d’une possible illusion. Ce qui semble s’ouvrir comme expérience transitionnelle se voit mis en échec par une prépondérance du créer sur le trouver.
Nous parlions en début d’article de confusion entre les réalités ; nous aimerions ici nuancer, ou préciser, notre propos. Nous ne pensons pas que la majorité des utilisateurs des plates-formes virtuelles confondent la réalité tangible de l’expérience et celle qu’ils expérimentent à travers leur écran d’ordinateur. Cependant, échouant dans sa fonction transitionnelle espérée, les risques sont bien de conduire soit au choix presque exclusif du virtuel au détriment de l’environnement réel, soit à la confusion de ces deux réalités".
Source : Idem précédant - Mondes virtuels et capacité d'illusion : les avatars du lien
Christophe Janssen, Sophie Tortolano - Dans Cahiers de psychologie clinique 2010/2 (n° 35)
Les champs de modifications de notre société semblent immenses même si nous ne les ressentons pas encore.
L’avatar est un symptôme sur lequel nous pouvons déjà travailler à défaut d’autres sujets qui n’ont pas encore émergés à notre conscience.
C’est un sujet qui fait aussi l’objet d’études universitaires comme dans la thèse : Identité projective et apprentissage : Impacts des représentations physiques et psychologiques des avatars dans les activités d’apprentissage collaboratif de Second Life (.pdf) dont voici la conclusion.
« Cette étude exploratoire a investigué comment l‟identité projective et ses dimensions sont impliquées dans l‟utilisation d‟un avatar et dans la participation aux activités d‟apprentissage collaboratif dans cet environnement. Les résultats suggèrent que l‟apparence physique de l‟avatar peut influer sur les relations développées par les participants avec les autres utilisateurs qui collaborent pour apprendre dans Second Life.
Il s'avère également que les utilisateurs apprennent à lire des avatars et qu‟ils commencent à associer certaines caractéristiques à certains niveaux de désirabilité en tant que collaborateur futur potentiel dans le monde virtuel.
Puis finalement, on découvre que le travail identitaire que les participants ont effectué dans le cadre de Second Life les a invité à repenser leurs perceptions de soi en tant qu‟enseignant ou en tant qu‟apprenant, à réévaluer leurs pratiques professionnelles sur les plans virtuel et non virtuel et à développer une appréciation de l‟avatar comme véhicule d‟apprentissage.
Globalement, cette étude a contribué à la littérature en confirmant que le jeu tripartite de Gee (2003) peut se former dans des contextes hors des jeux vidéo, en proposant un cadre conceptuel de l‟identité projective dans l’apprentissage collaboratif virtuel, en proposant le concept du capital reconfiguratif et en contribuant à la définition de l’ethnicité virtuelle.
Bien que nous fassions des recommandations pour les enseignants et les apprenants qui participent aux activités d’apprentissage collaboratif par l’entremise des avatars dans les environnements virtuels comme Second Life, il est également important de sensibiliser les ministères de l'Éducation.
Globalement, ce projet de recherche nous a laissé avec la conviction que le travail identitaire devrait jouer un plus grand rôle dans les activités d‟enseignement et d‟apprentissage qui se forment en ligne dans les salles de classe traditionnelles.
Il est intrigant que des mentions du développement identitaire commencent à apparaître dans des documents de HAMROUN 51 2011/10/18 curriculum provinciaux sous la forme d‟une compétence transversale (p. ex., le programme d‟éducation du Québec) et les ministères d‟Éducation s‟attendent à ce que les enseignants aident les étudiants à atteindre cette compétence à travers les activités d‟enseignement et d‟apprentissage qu‟ils planifient.
Cependant, il est fort probable que la présentation de cet objectif sous la forme d‟une compétence transversale dans les documents officiels ne communique pas aux éducateurs son importance critique dans les apprentissages et qu‟elle ne les convainc pas de prendre cet objectif au sérieux et de le mettre au sein de leurs activités pédagogiques.
À vrai dire, des informations anecdotiques recueillies par la chercheuse suggèrent qu‟un grand nombre d‟éducateurs pensent que le travail identitaire a très peu d‟importance dans l‟éducation d‟un apprenant et qu‟il vaudrait mieux consacrer du temps à la maîtrise du « contenu sérieux » qu‟ils jugent être plus utile pour l‟avancement et la réussite des élèves.
Ainsi, en vue de renverser cette attitude et d‟assurer que tous les apprenants puissent bénéficier d‟une telle éducation, il est fortement conseillé que les ministères d‟Éducation incluent des objectifs concernant le développement identitaire des étudiants non seulement sous la forme d‟une compétence transversale, mais aussi sous la forme de compétences disciplinaires qu‟ils appliqueront à tous les apprenants de la maternelle jusqu‟à la fin de l‟école secondaire.
En considérant les résultats générés par cette étude, il est fortement recommandé que les chercheurs ciblent certaines pistes de recherche énumérées dans la conclusion de l‟article. D‟abord, puisqu‟ils sous-tendent tout ce qui se passe dans l‟environnement virtuel, il est d‟une importance critique d‟établir une compréhension unanime de la façon dont les utilisateurs apprennent à lire et à décoder l‟apparence physique des avatars dans Second Life et comment transmettent aux autres les messages reçus dans l‟environnement virtuel, de manière directe et indirecte.
De même, il est essentiel pour les chercheurs de créer une typologie qui décrit le HAMROUN 52 2011/10/18 moment où les identités projectives des utilisateurs se stimulent et la façon par laquelle ces stimulations influencent leur vision, leur représentation de soi ainsi que leur collaboration sur le plan virtuel. Avec un échantillon plus représentatif et à travers une période de collecte de données plus caractéristique de celle des études ethnographiques, il sera possible pour les chercheurs poursuivant ces pistes de recherche d‟aider ceux qui enseignent et ceux qui apprennent dans Second Life à mieux comprendre le monde virtuel qu‟ils habitent et les facteurs qui sont en jeu dans leur exploration identitaire sur le plan virtuel ».
L’identité sera sans doute un des piliers de l’éducation de demain. Mais demain, c’est déjà aujourd’hui et ceux qui anticipent auront les clefs pour aider leurs apprenants alors que les autres les laisseront errer. Soyez des faiseurs. Hier n’existe plus, il vous faut tous aller de l’avant.
Illustration : Pixabay - coffeebeanworks
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