Coup sur coup, deux articles parus dans la grande presse nord-américaine ont radicalement mis en cause le discours technophile ambiant sur l'usage des TIC en éducation.
Le premier, publié en juin 2010 dans le Washington Post, remet violemment en cause l'usage majoritaire des tableaux blancs interactifs dans les écoles américaines, qui n'aurait fait que renforcer la posture traditionnelle de l'enseignant dispensant un cours magistral, à des années lumières de « l'interactivité » promise par les fabricants de matériel. Un résumé de l'article et son analyse au regard de la situation française figurent sur le blogue consacré au dernier ouvrage de Christophe Deshayes, Les révolutionnaires du numérique.
Le second, publié dans le New York Times en juillet, mentionne les résultats d'une étude menée en Caroline du Nord, qui indiquent que les enfants qui utilisent fréquemment les outils numériques, tant chez eux qu'en classe, voient baisser leurs résultats en lecture. A l'inverse, les enfants du même âge qui lisent beaucoup de livres papier voient leurs compétences augmenter.
De l'éternelle question de l'impact des TICE sur les apprentissages
Il est intéressant de mettre ces articles en relation avec ce que l'on sait de l'impact réel de l'usage des TICE sur les apprentissages des élèves et la conduite des cours assurés par les enseignants.
Et l'on ne sait pas grand'chose.
C'est ce que démontrait, au début de l'année 2009, l'INRP dans la première partie d'un volumineux dossier intitulé Impact des TIC dans l'enseignement : une alternative pour l'individualisation ? Les recherches menées dans l'ensemble du monde développé montrent de façon certaine que les TICE ont un impact positif sur la motivation et l'attention des élèves. Pour l'impact sur les performances en mathématiques et en lecture – écriture, les résultats sont plus mitigés, voire contradictoires, tant les conditions d'usages influent fortement sur les résultats obtenus en matière d'apprentissages.
C'est, précisément, cette importance extrême de l'environnement et du contexte d'apprentissage que souligne un blogueur nord-américain dans un article joliment intitulé « Si la technologie nous rend stupides, ce n'est pas la faute de la technologie ». Il interroge là les modalités d'évaluation adoptées par les chercheurs ayant réalisé l'étude en Caroline du Nord, ainsi que le standard implicite de compétences sur lequel ils se basaient. Être capable de lire un ouvrage classique a t-il plus de valeur aujourd'hui que d'être capable de naviguer sur Internet ? N'y a t-il pas dans ce présupposé un biais social, qui favoriserait implicitement les canons de la culture des classes moyenne et supérieure, au détriment des habiletés développées par les jeunes des milieux populaires, qui de toutes façons ne lisent pas les classiques ? L'auteur pointe également un résultat de l'étude sus-mentionnée, qui a été passé sous silence dans la presse : l'usage des TIC est largement plus bénéfique aux jeunes lorsqu'il est encadré par des adultes.
Le rêve de l'outil magique s'envole...
Car l'outil n'est pas magique. Il ne vaut que pour l'utilisation que l'on en fait. Bruno Devauchelle le souligne avec son brio habituel dans un billet consacré aux usages du TBI dont le caractère « interactif » est constamment mis en avant par les fabricants : « en effet si l’interactivité porte initialement sur la relation que l’usager entretien avec le tableau (et donc l’ordinateur associé), elle s’est aussi invitée dans la classe, c’est à dire dans la relation pédagogique : si le tableau est interactif, alors la classe le serait aussi ! Or ce n’est pas vraiment le cas… »
En réalité, B. Devauchelle repère « trois catégories de situations principalement mises en place : celles dans lesquelles l’enseignant interagit seul avec l’écran/tableau, celles dans lesquelles ce sont les élèves qui passent, un par un, au tableau et qui interagissent, et celles dans lesquelles le tableau est utilisé pour accompagner l’interactivité du groupe classe ». Ce qui correspond au cours magistral enrichi, au cours dialogué et participatif, et au cours collaboratif. Le premier type de situation est largement dominant. On imagine aisément que les journalistes du Washington Post ont observé une majorité de ce type de cours avant d'écrire leur article.
Nous ne le répéterons jamais assez, l'outil technologique est au service de ce que l'enseignant en fait. Des usages extrêmement intéressants du TBI ont été mis en place lorsque les enseignants ont réfléchi et se sont formés à de nouvelles approches pédagogiques, délaissant leurs réflexes de peur devant la nouveauté. Dans l'entrevue qu'elle nous a accordée, Tracy Rosen, professeure de français langue seconde, explique la manière dont elle utilise les TICE pour appuyer des pratiques d'enseignement différencié. Si elle n'avait pas préalablement souhaité différencier son enseignement, les TICE ne lui auraient rien apporté, voilà tout.
Le dossier de l'INRP cité plus haut insiste lui aussi sur le potentiel d'utilisation des TICE pour la différenciation de l'enseignement et le soutien aux élèves en difficulté d'apprentissage.
Certains enseignants et journalistes des Etats-Unis ont sans doute le sentiment de s'être fait piéger par les redoutables pratiques de marketing des fabricants d'outils technologiques pour l'éducation. Ils s'en sont rendu compte, fort bien. Il leur reste maintenant à traiter les réussites incontestables liées à l'usage des TICE avec le même enthousiasme qu'ils ont mis à détruire le mythe de l'outil magique.
Tableaux blancs interactifs : un tableau franchement noir ! Christophe Deshayes, Les révolutionnaires du numérique, 3 septembre 2010
The medium is the medium. David Brooks, New York Times, 8 juillet 2010
Impact des TIC pour l'enseignement : une alternative pour l'individualisation ? Françoise Poyet et Michèle Drechsler, INRP, dossier d'actualité n° 41, janvier 2009
If technology is making us stupid, it's not technology's fault. David Theo Goldberg, DML Central, 16 août 2010
L'interactivité / interaction en classe avec le TBI ? Bruno Devauchelle, Veille et analyse TICE, 7 mai 2010
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