« Déficit d’attention des élèves, comment agir ? »
C’est la question posée par Eduscol à Véronique GASTE spécialiste des troubles de l’attention (TDAH) et à Grégoire BORST, psychologue et spécialiste des sciences cognitives le 27 mai 2019. Les conférences et les diaporamas sont en ligne. Cet article est un résumé partiel de l’intervention de Grégoire BORST et vous invite à le découvrir, ainsi que quelques ressources complémentaires.
Auteur de nombreux ouvrages et articles, Grégoire BORST intervient régulièrement face à des publics d’enseignants pour partager ce que sa discipline sait de nos mécanismes d’apprentissage, d’attention et de résolution de problème. Il expose également parfois ses recherches dans des établissements scolaires, comme ce fut le cas au lycée Diderot, à Paris, en janvier 2019.
Qu’est-ce qu’on étudie quand on s’intéresse au fonctionnement du cerveau
Étudier le fonctionnement du cerveau, c’est s’intéresser à plusieurs aspects. Grégoire Borst nous en cite quatre :
- La maturation : c’est l’étude de l’évolution du cerveau et son développement en fonction de l’âge, cette étude est d’autant plus passionnante que les différentes zones du cerveau n’évoluent pas de façon linéaire et au même rythme. En particulier, le nombre de connexions du cerveau se développe à un rythme très rapide puis régresse, comme par un processus de nettoyage ou de rangement.
- La plasticité du cerveau : il s’agit de sa capacité à se construire et à se développer au fur et à mesure des expériences vécues, en créant de nouvelles connexions tout au long de notre vie.
- La vicariance : elle traduit l’utilisation de plusieurs stratégies sensori-motrices pour parvenir à un même but. Elle représente la possibilité de remplacer une fonction par une autre et permet à notre cerveau d’appréhender le monde extérieur et de nous y adapter en permanence. Nous en faisons l’expérience lorsque nous tâtonnons dans le noir, ou lorsqu’un sens nous fait défaut à l’issue d’un accident et nous oblige à changer nos stratégies.
- Et la flexibilité, capacité à changer d’approche dès lors que l’on s’aperçoit qu’une stratégie ne mène nulle part, ou n’est pas efficace.
Un coup de pied dans les idées reçues
Grégoire Borst nous met en garde contre les bruits qui circulent sur le cerveau. Et tout d’abord, l’idée qu’Internet serait un cerveau beaucoup plus puissant que le nôtre. En nombre de connexions, nous sommes encore bien au-dessus d’Internet avec 100 000 milliards !
Il calme aussi l’enthousiasme de ceux qui annoncent un homme augmenté par une puce... À ceux qui s’agitent autour de cette perspective, il répond : « je la mets où, la puce ?".
Enfin, il met à mal le modèle de Piaget, qui voit l’évolution comme une succession de paliers, qui viendraient s’accumuler au fur et à mesure de la croissance de l’enfant. Les enseignants continuent d’être formés avec les théories de Piaget quand les neurosciences les ont abandonnées depuis longtemps...
Pour Grégoire Borst, le contexte, l’environnement sont essentiels. Dans des situations expérimentales adaptées, les très jeunes enfants montrent qu’ils ont une intuition des probabilités bayésiennes et qu’ils savent compter très vite.

Le cerveau : trois systèmes qui s’articulent et parfois s’opposent
Nous avions vu avec Kahnemann, dans un article sur les systèmes I et II que notre cerveau avait deux vitesses. Grégoire Borst propose une distinction assez proche, en apportant ses éclairages de psychologue et de spécialiste des neurosciences.
Tout d’abord, notre cerveau est capable d’un fonctionnement quasi mécanique, qui est efficace dans 90 % des cas. C’est le système des automatismes. Il est économe, rapide et traite la nouveauté avec des mécanismes acquis précédemment. Mais Grégoire Borst nous met en garde. Ce fonctionnement ramène l’inconnu et le nouveau au déjà vu. Il va vers le plus facile. Dans une interview au journal français Le Figaro, il nous montre que ce cerveau est en partie responsable de notre appétit pour les informations fausses qui viennent conforter nos croyances : « Parmi le flot d’informations reçues, il [le cerveau] recherche donc ce qui rejoint ses habitudes, ses croyances. C’est ce que l’on appelle les “biais de confirmation”. »
Le cerveau peut aussi fonctionner en mode plus lent, articuler un raisonnement, organiser ses idées, confronter des logiques. C’est le système réflexif. Mais ce deuxième système est plus coûteux en énergie. Il est plus rare aussi parce qu’il est plus lent à se mobiliser.
Enfin, Grégoire Borst s’intéresse à un troisième mode de fonctionnement : le système qui dirige ou inhibe notre attention. Il nous rappelle l’expérience souvent citée des guimauves que nous avons déjà eu l’occasion d’exposer.
On présente une guimauve à un enfant. Il peut la manger tout de suite. Il peut aussi attendre, et dans ce cas, il en obtiendra deux. Les enfants qui tiennent le plus longtemps sont statistiquement ceux qui auront les meilleurs résultats quelques années plus tard. Cette variable est moins déterminante que l’origine sociale des enfants, mais plus que le quotient intellectuel. Or, nous fait remarquer le scientifique, cet aspect est absent des objectifs pédagogiques, alors qu’il est essentiel.

Le contexte et les performances du cerveau, quelques expériences
Grégoire Borst poursuit avec quelques expériences qu’il organise en direct avec son public. La première expérience est un classique, cité également par Kahnemann dans son livre Système I, système II. On fait lire des mots à des personnes. Ces mots sont écrits dans des couleurs différentes. Les participants doivent donner le nom de la couleur et sont chronométrés. Puis, l’exercice est repris. Les mots sont cette fois-ci des noms de couleur qui ne coïncident pas avec leur couleur. On chronomètre à nouveau. Le « conflit cognitif » provoque un ralentissement des performances !
Le psychologue pose ensuite une question à laquelle on pense pouvoir répondre spontanément. Il y a un piège dont on ne sort qu’en ralentissant, en faisant appel au système réflexif. Puis il pose une question extrêmement simple. Les participants, qui se sont en grande majorité trompés à la première question hésitent à répondre... Si l’enseignant commence par des questions pièges, des exceptions, des situations complexes, les élèves hésiteront eux aussi, et n’auront pas les mêmes performances que si la liste des questions est ordonnée différemment.
Ainsi, notre cerveau cherche en permanence à créer des automatismes, moins coûteux en énergie que la réflexion structurée. Ces automatismes sont notre meilleur allié ans la plupart des situations, mais également la cause de bien des erreurs et des biais cognitifs. La conférence proposée par Eduscol nous invite à plus de souplesse ente le système des automatismes et le système réflexif, et à ne plus bondir sans retenue sur les marschmallows !

Illustrations : Frédéric Duriez
Ressources
Frédéric DURIEZ "L'attention, comment ça marche", octobre 2016
https://cursus.edu/10947/lattention-comment-ca-marche
Le Figaro : « Fake News, notre cerveau recherche ce qui rejoint ses habitudes, ses croyances » - interview de Caroline Beyer, 5 mai 2019
Sur la vicariance
Alain BERTHOZ - La vicariance, le cerveau créateur de mondes - Éd. Odile Jacob, 2013
https://doc.handicapsrares.fr/index.php?lvl=notice_display&id=11511#.Xb2RJnjQjcs
Alain BERTHOZ — cours au Collège de France — 2010 « Plasticité et vicariance, le cerveau émulateur ».
https://www.college-de-france.fr/site/alain-berthoz/course-2010-01-20-16h00.htm
Sur la plasticité
Catherine VIDAL, « La plasticité cérébrale : une révolution en neurobiologie », Spirale, 2012/3 (n° 63), p. 17-22. DOI : 10.3917/spi.063.0017. URL : https://www.cairn.info/revue-spirale-2012-3-page-17.htm
En complément :
Grégoire BORST - apprendre à apprendre, conférence donnée au lycée Diderot, à Paris, en janvier 2019
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_1862969/conference-de-gregoire-borst-apprendre-a-apprendre
Voir plus d'articles de cet auteur