Articles

Publié le 01 juillet 2021 Mis à jour le 01 juillet 2021

Diffuser l’économie de la proximité solidaire [Thèse]

Alternatives économiques et stratégies de proximité de l’Économie sociale et solidaire (ESS)

Dans un monde où, selon les sociologues Luc Boltanski et Eva Chiapello, « la grandeur des gens dépend de leur position hiérarchique dans une chaîne de dépendances personnelles à l’intérieur d’un univers ordonné et hiérarchisé », il est bon de savoir prendre par soi-même un peu de hauteur.

C’est justement possible avec la thèse de Laura Gueorguieva-Bringuier, qui a œuvré sur nos modèles économiques et sur le potentiel transformatoire des alternatives économiques de l’Économie sociale et solidaire (ESS).

En effet, les personnes et les organisations attentives à la biodiversité et au développement des potentialités humaines ont bien conscience que le système économique dans lequel nous inscrivons la plupart de nos échanges n’est pas un système viable.

Prendre du recul

À titre autant personnel que professionnel, la question de la viabilité économique de nos projets à bénéfices collectifs, innovants, bienveillants à l’égard du vivant n’a jamais manqué d’être posée.

Nous n’avons pas toujours le recul de comprendre les enjeux économiques du siècle pour nous aider, et surtout de les articuler avec les questions soulevées par les formes actuelles de solidarités.

Dans sa thèse en économie et finances, la chercheuse expose dans un langage accessible aux non-économistes les concepts qui animent nos États, nos entreprises, nos institutions, et qui régulent nos vies et nos potentialités professionnelles.

Des logiques d’action omniprésentes

Le monde économique est majoritairement régi par des logiques marchandes, industrielles et par projet :

  1. « La cité marchande est celle de l’évaluation de la grandeur par la valeur monétaire […]. Cela signifie qu’elle est déterminée par la rencontre de l’offre et de la demande sur des marchés concurrentiels de biens et de services rares. La richesse monétaire et le sens des affaires sont considérés commegrands, la pauvreté ou être timoré en affaires, comme petits. C’est un registre de justification individualiste, ou le bien commun n’est perçu que comme l’addition des désirs de chacun. Il nécessite une distanciation émotionnelle des acteurs […] au profit de l’opportunisme et de la liberté totale d’effectuer des transactions sans entraves de la part des autres registres de justification. »
  2. « La cité industrielle est celle des objets techniques et [des] méthodes scientifiques (Boltanski, Thévenot), de la rationalisation et de l’optimisation de la performance productive. La grandeur y est conçue comme la capacité à mettre à profit des moyens pour répondre utilement aux besoins des organisations. Ce registre applique une relation instrumentale à la nature et aux hommes qui doivent servir la performance et le progrès technique. »
  3. « La cité par projet est aujourd’hui hégémonique dans un contexte d’accélération des transformations des marchés, de l’innovation et des méthodes de production, les entreprises travaillent de plus en plus par petites unités agiles, adaptables et prêtes à saisir la moindre opportunité de développement. »

L’ESS, qu’est-ce ?

Wikipédia définit l’Économie sociale et solidaire (ESS) comme « la branche de l’économie regroupant les entreprises et les organisations (coopératives, organisations à but non lucratif, mutuelles ou fondations) qui cherchent à concilier activité économique et équité sociale ».

Le secteur est souvent désigné comme le tiers secteur, après un premier secteur donné comme privé et lucratif et un deuxième secteur donné comme public et para-public. L’ESS est présente en Europe, au Québec, en Afrique francophone et en Amérique du Sud.

La première partie de la thèse revient sur la construction des visions libérales et des visions sociales qui accompagnent les révolutions industrielles et les crises. C’est une ressource importante pour mieux comprendre notre monde et les leviers que nous pouvons actionner.

L’ESS dans sa perspective historique

À la source de l’ESS on retrouve ainsi les expérimentations dites « utopiques » du XIXe siècle, qui visaient le développement d’une société égalitaire et harmonieuse.

Le socialisme révolutionnaire s’est ensuite institutionnalisé dans un socialisme d’État : les revendications politiques ont été verticalisées par leur inscription dans des institutions hiérarchiques. Il n’était principalement plus question de renverser le capitalisme, mais de pallier certaines défaillances du système par des progrès sociaux.

La lignée utopique a réémergé dans les années 1970-1980, au moment où les logiques néolibérales mettaient en place leur hégémonie.

Les logiques d’action et l’épreuve du réel

À côté des logiques majoritaires précitées (les trois premières du tableau), les structures actuelles de l’ESS sont inscrites dans différents registres de justification.

Chacun donne lieu à des épreuves différentes du réel :

Registres
Épreuves
Industriel
Évaluation technique des performances productives
Marchand Arbitrage de la valeur par la rencontre de l’offre et de la demande sur un marché
Par projetDémonstration de la flexibilité, capacité à passer d’un projet à l’autre
Domestique Cérémonie communautaire ritualisée, généralement à caractère convivial et commensal
InspiréDémonstration d’un détachement de l’esprit du corps et des autres registres de justification
De l’opinionDegré de médiatisation
CiviqueExpressions de la volonté citoyenne : manifestations, débats, élections
LibertaireRemise en cause de l’autorité, particulièrement si elle est liée à la propriété
ÉcologiquePréservation de l’environnement par devoir moral

L’économie de proximité

La recherche envisage la capacité de l’Économie sociale et solidaire (ESS) à ouvrir de nouvelles modalités d’échanges, dans une relation de proximité (géographique, institutionnelle, organisationnelle) et dans une diversité formelle de coordination (économie des conventions).

Le territoire de Grenoble-Alpes Métropole en France a fourni le terrain d’une « analyse descriptive faite à partir d’observations empiriques effectuées sur des réseaux types des mouvements alternatifs ». Des cartes et des schémas ont modélisé les interactions au sein des réseaux étudiés.

Rester soi-même

Un risque a été identifié pour les structures innovantes : être pris, avec ses partenaires, bénéficiaires, et financeurs qui peuvent relever d’une logique néolibérale, dans un processus « d’isomorphisme », c’est-à-dire « d’homogénéisation dans la structure, la culture et le produit ».

Ces structures peuvent alors perdre leur caractère le plus innovant, comme ça peut être le cas dans les moments où il s’agit d’aborder un palier de développement. C’est pourquoi certaines structures peuvent rester sur un positionnement plus préservé.

« Même si le capitalisme néolibéral sauvegard[e] largement son hégémonie, rognant même dans les initiatives sociales, solidaires et environnementales via le courant de la sharing economy [l’économie du partage], les alternatives constitu[ent] des poches de résilience et de liberté face à l’incertitude de la vie et aux crises qui pèsent sur la civilisation industrielle. Le parti pris de sauvegarder une petite taille, un fonctionnement adhocratique et un réseau souple, parfois replié sur lui-même s’est révélé être un atout pour échapper aux pressions isomorphiques et permettre aux acteurs de moduler leur environnement de proximité. »

Les apports de la recherche

  1. Montrer que les positionnements et relations entre les courants alternatifs de l’ESS et le modèle économique dominant sont plus fluides qu’imaginé.

  2. Fournir un « outillage théorique original par l’hybridation des cadres analytiques de l’économie de la proximité et de l’économie des conventions ».

  3. Éclairer un « matériau empirique riche et varié ».

En effet, « le paradigme capitaliste libéral actuel […] qui cherche à imposer à tous les citoyens des pratiques uniformisées » est confronté à une expérience de terrain bien plus riche et prometteuse.

Elle illustre l’exposé sur l’anthropologie économique que Pierre Bourdieu avait fait au Collège de France en 1992 :

Il n’y a « pas une économie, mais des économies [...], des univers dotés de logiques objectives et subjectives différentes ».

Illustration : andreas N de Pixabay

À lire :

Laura Gueorguieva-Bringuier. Les stratégies de proximité de l’ESS au service des alternatives économiques. Economies et finances. Université Grenoble Alpes, 2019.

Thèse consultable sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03143000

Références :

Denis Cristol, « Apprendre à compter plus que l’argent » :
https://cursus.edu/22614/apprendre-leconomie-autrement

Julie Trevily, « L’Économie sociale et solidaire pour les entrepreneurs de demain » :
https://cursus.edu/10384/leconomie-sociale-et-solidaire-pour-les-entrepreneurs-de-demain

Les mots de la thèse :

  • Isomorphisme : « L’isomorphisme institutionnel analyse la convergence de comportements entre des organisations appartenant à un même champ. »
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Isomorphisme_institutionnel

  • Adhocratie : Néologisme construit sur le terme latin « ad hoc », l'adhocratie est l’opposé de la bureaucratie. Il s’agit d’une « configuration d’organisation qui mobilise, dans un contexte d’environnements instables et complexes, des compétences pluridisciplinaires et transversales, pour mener à bien des missions précise ».
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Adhocratie


Voir plus d'articles de cet auteur

Dossiers

  • Voies alternatives


Le fil RSS de Thot Cursus via Feed Burner.


Les tweets de @Thot


Accédez à des services exclusifs gratuitement

Inscrivez-vous et recevez des infolettres sur :

  • Les cours
  • Les ressources d’apprentissage
  • Le dossier de la semaine
  • Les événements
  • Les technologies

De plus, indexez vos ressources préférées dans vos propres dossiers et retrouvez votre historique de consultation.

M’abonner à l'infolettre

Superprof : la plateforme pour trouver les meilleurs professeurs particuliers en France (mais aussi en Belgique et en Suisse)


Effectuez une demande d'extrait d'acte de naissance en ligne !


Ajouter à mes listes de lecture


Créer une liste de lecture

Recevez nos nouvelles par courriel

Chaque jour, restez informé sur l’apprentissage numérique sous toutes ses formes. Des idées et des ressources intéressantes. Profitez-en, c’est gratuit !