Publié le 21 février 2023 Mis à jour le 21 février 2023
La pandémie de covid-19 a remis en doute beaucoup de certitudes dans le monde professionnel. Le télétravail, qui semblait "impossible" même dans des secteurs pourtant peu manuels, a prouvé qu'il pouvait bien fonctionner et offrir une meilleure qualité de vie. Certains ont réalisé que leur "poste" essentiel s'avérait soudainement moins crucial en des temps troubles, se retrouvant temporairement à attendre à la maison. Enfin, des travailleurs ont parfois remarqué qu'une aide financière ponctuelle et limitée d'un gouvernement dans un moment de crise était dans certains cas plus avantageuse que le salaire reçu.
Dans un tel contexte, il n'a pas été si surprenant - sauf pour les milieux professionnels eux-mêmes - de voir bien des salariés quitter leur emploi. Cette vague appelée la "grande démission" a bien été contextualisée par Denis Cristol dans ce texte paru sur Thot Cursus précédemment. Il s'agit d'une mouvance planétaire qui s'est amorcée aux États-Unis mais a eu des effets au Canada et dans plusieurs pays occidentaux, dont la France. Uniquement entre avril et septembre 2021, 24 millions de travailleurs américains quittaient leur emploi.
Néanmoins, le phénomène n'est pas encore essoufflé. À la fin de l'année 2022, la moitié des employés interrogés par une enquête prévoyaient explorer d'autres avenues en 2023. Qu'est-ce qui explique ces projets de démission en masse ? Selon les experts, la raison majeure repose sur un changement des valeurs des personnes par rapport à l'emploi. Ils ne souhaitent plus se contorsionner pour le milieu professionnel; maintenant, ce dernier doit se plier à leurs exigences. Dans un contexte où tous cherchent de la main-d'œuvre qualifiée, il est plus facile d'avoir le gros bout du bâton. Ainsi, les postes précaires, sous-payés, aux tâches abrutissantes et qui demandent des heures supplémentaires sans arrêt ne passent plus. Même dans les universités, bien des professionnels dans le milieu de leur carrière et ressentant une lassitude ou une frustration ont fini par partir.
Évidemment, les chercheurs dans le secteur de l'emploi se sont intéressés à ces millions de travailleurs qui ont quitté leur emploi. Ont-ils trouvé ce qu'ils cherchaient? On ne peut pas affirmer que tous sans exception y sont arrivés car parfois, la réalité a été plutôt brutale dans le changement d'emploi. Certaines entreprises ont pu aussi faire miroiter de meilleures conditions qui n'ont pas été tenues. Un sondage mené par le quotidien USA Today montrait qu'une personne sur 5 a regretté son choix. Dans une autre étude, 42% exprimaient que le nouveau rôle n'était pas à la hauteur des attentes.
Certains se sont retrouvés aussi dans une situation stressante où ils se sont demandé ce que serait la suite des choses. Fallait-il continuer dans la même branche, retourner aux études ou se lancer dans un poste de travailleur autonome? Des questions importantes qui exigent parfois du temps. Or, tous n'ont pas ce luxe quand une famille compte sur leur revenu.
Néanmoins, "la grande démission" n'a rien d'un pétard mouillé. Pour plusieurs aveux de regret, de nombreuses personnes ont échangé pour le mieux. Selon les données recueillies par le Pew Research Center, 60 % des travailleurs ayant démissionné entre avril 2021 et mars 2022 ont obtenu un meilleur salaire. Ceux étant restés loyaux ne peuvent en dire autant. Moins de la moitié d'entre eux ont vu une hausse dans leurs revenus. Le Washington Post, en novembre 2022, montrait de multiples portraits de gens ayant bénéficié de ce changement de carrière. Certains sont devenus des autoentrepreneurs, d'autres ont quitté les postes précaires pour leur passion et certains, plus âgés, ont littéralement pris le chemin de la retraite anticipée.
D'autant plus que, comme le rappelle cet article de Slate, ce mouvement social a totalement changé la donne et la balance du pouvoir. Désormais, les employés qui arrivent ont bien plus de poids et leurs besoins sont bien plus pris en compte puisque leur fidélité est tout sauf acquise. Difficile d'effectuer du chantage à l'emploi quand il suffit d'aller voir quelques concurrents pour s'en trouver un autre. Une réalité encore plus vraie aux États-Unis où dans 49 des 50 États, un employé n'a pas même pas à donner de préavis avant de démissionner.
Conséquemment, les différents milieux professionnels n'ont pas eu le choix que de se remettre en question. Désormais proposer des postes à la con (bullshit jobs comme les appelait l'anthropologue David Graeber) n'est plus permis. Le travail doit offrir du sens aux employés. Les méthodes managériales des décennies passées ont de moins en moins de pertinence. Cela signifie, entre autres, fournir des cadres plus flexibles aux besoins des salariés et s'assurer qu'ils soient bien. Pas seulement en offrant des divertissements pendant les pauses mais véritablement en vérifiant que le travailleur éprouve un certain accomplissement dans ce qu'il fait. Pour certains, cela veut dire instaurer des entretiens de maintien. Cela permet aux ressources humaines de comprendre ce qui motive et démotive chaque personne dans son poste. Il sera plus facile de mettre en place des réponses s'il y a lieu en sachant ce qui fonctionne ou pas.
Une des solutions de rétention suggérées est aussi la formation. En effet, en apportant des savoirs et compétences supplémentaires aux employés, les milieux professionnels pourraient alors transformer des emplois plus monotones en proposant des tâches additionnelles. Une approche encore plus intéressante serait d'offrir aux personnes une certaine autonomie dans ce qu'elles désirent apprendre, dans le choix des objectifs de formation.
Certes, cela demande donc un budget d'investissement mais ces dépenses sont bien en deçà des coûts pour engager des salariés qui ont claqué la porte. D'autant plus que pour le milieu de l'éducation supérieure, cette masse de travailleurs en quête de sens serait une manne difficile à ignorer. Cela serait l'occasion de développer des partenariats commerciaux, d'offrir des parcours pédagogiques flexibles, des certifications cumulables ou même de compléter un cursus qu'ils avaient abandonné à l'époque.
"La grande démission" a eu des effets déjà visibles sur les milieux professionnels. Désormais, les gens attendent d'un emploi et d'un employeur qu'il propose de bonnes conditions, des défis et de la stimulation, qu'il soit agréable et qu'il adopte des valeurs nouvelles (comme une sensibilité à la santé mentale et à l'environnement).
Cette transformation est surnommée par certains comme celle de "la grande réimagination". Les désirs individuels et sociétaux se sont transformés; il semblait donc nécessaire que les milieux professionnels suivent.
Crédit photo : fr.depositphotos.com
Références :
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