Entrevue avec François Demers, directeur de l’école Léonce Boivin de la municipalité des Éboulements dans la région de Charlevoix au Québec.
Mise en contexte
Dans les années 1950, au coeur du «Baby Boom» de l’après-guerre, la pression sur le système éducatif au Québec était très forte; la population à scolariser avait pratiquement doublé en moins de 10 ans et la Révolution tranquille se préparait. En quelques années il s’est construit des milliers d'écoles dans les municipalités rurales, pratiquement toutes sur le même modèle, appelées «Écoles Duplessis», du nom du premier ministre de l’époque.
2017 - Le projet de Lab-École est lancé et vise la conception d’écoles qui favorisent le plein épanouissement des élèves. Le projet est stimulant et à mené au développement d’un nouveau concept d’écoles, pédagogiquement riches et humainement agréables. Ce qui est très bien quand on parle de construction de nouvelles écoles, mais qu’en est-il des anciennes ?
En raison de l’exode rural, pratiquement toutes les écoles en milieu rural sont sous-utilisées; en conséquence, aucune de ces communautés ne verra jamais de nouvelle école. Seront t'elles condamnées à des écoles de second ordre ? Comme le parc immobilier vieillissant demande des investissements importants, il est apparu que le problème pouvait se transformer en occasion. Le Centre de services scolaire de Charlevoix (CSS) a décidé d’un projet-pilote de transformation d’une école en école modèle, sur les principes du Lab-École. Restait à choisir laquelle.
Thot Cursus
Comment s’est décidé le choix de l’École Léonce Boivin des Éboulements pour ce projet pilote ?
François Demers
L’équipe de l'École Léonce Boivin avait l’habitude d’être innovatrice au niveau pédagogique, faisait du décloisonnement (tous les groupes mélangés de la maternelle à la 6ième (1,2,3,4,5,6) ), réalisait déjà des projets pédagogiques en environnement, en sciences… et sa réputation était connue.
Comme il s’agissait de requalifier le bâtiment en fonction de nouvelles pédagogies, l’ouverture du personnel était une condition essentielle dans le cadre d’un projet pilote.
Thot Cursus
Y a t’il eu une forme de résistance du personnel aux changements annoncés ?
François Demers
Pas du tout. Tout le processus s’est fait en collaboration avec le personnel et le directeur des ressources matérielles Jérémie Forgues du CSS. Il y a eu de nombreuses itérations, les enseignants ont détaillé leurs besoins et ont mis à contribution leur expérience dans leurs recommandations aux architectes et designers. Le succès de ce genre de projet dépend beaucoup de la collaboration des gens en place. On part de là où ils sont et jusqu'où ils sont prêts à aller. Chaque milieu est différent et il faut en tenir compte.
Thot Cursus
Y a t ‘il eu de la formation pour le personnel par rapport au nouveau cadre ?
François Demers
Oui et non. En fait, la plupart des pratiques pédagogiques maintenant facilitées étaient déjà en pratique bien avant, cependant on peut maintenant les amener plus loin, les faire évoluer; aussi des formations et des sessions d’échange se sont mises en place autour du mobilier flexible, de la classe flexible, de la collaboration entre classes, toujours dans l’idée de mieux profiter des nouvelles possibilités.
Thot Cursus
Quelles sont les principales différences entre «avant» et «après» la requalification des espaces
François Demers
Beaucoup de murs ont été retirés. La chaleur du coté sud réchauffe les classes du coté nord, toutes les aires sont plus conviviales et multifonctionelles, les technologies sont intégrées, du mobilier actif est accessible (tables à hauteur variable, exerciseurs, mobilier ajustable), les espaces de rangement sont adaptés aux tailles des enfants et aux besoins… des équipements pédagogiques inertes comme le mur graphique (grand tableau blanc avec grille pointillée), l’espace Lego, l’espace lecture, etc, sont accessibles à tous.
Les grands espaces permettent plus d’activités de regroupement, la cuisine laboratoire permet plus d’activités scientifiques (et aussi de cuisine), la serre sera bientôt opérationnelle, en fait on assiste à un changement d’échelle; il y a plus de possibilités, ce qui se faisait avant se fait maintenant à plus grande échelle et mieux, avec plus de qualité et de mobilisation. La participation est plus forte.
Maintenant que les cloisons entre les classes peuvent être ouvertes, on assiste aussi à plus d’activités de co-enseignement (2 classes ensemble dont les 2 professeurs se partagent les tâches), en fait, les cloisons entre les classes sont presque toujours ouvertes. L’ambiance est conviviale.
Au niveau des élèves, en fait de tout le monde, on peut dire que «quand c’est beau, on en prend plus soin»; le respect est plus grand en général. Le sens de l’appropriation est plus élevé; un élève sent que c’est son école et il en prend soin.
Dans les transformations, la première phase a été de changer la cour d’école qui est maintenant modèle… avec comme effet que la municipalité accepte d’y investir pour en faire un milieu intergénérationnel, des installations pour les 0-4 ans y seront ajoutées; de plus nous allons bientôt y aménager des classes extérieures et aussi des installations pour les ainés, aire de repos et de jeu. La municipalité s’occupe aussi des jardins qui sont entretenus durant l’été et repris par l’école à l’automne.
Thot Cursus
Depuis sa transformation, est-ce que l’attractivité de l’École et même du village des Éboulements a augmenté ?
François Demers
La région est très grande, aussi la proportion d’élèves «hors bassin» est faible, les gens ne magasinent pas leur école comme en ville, cependant, les nouvelles familles qui s’installent savent que l’École des Éboulements n’a rien à envier à celles de villes plus importantes. À ce titre, les jeunes parents y sont sensibles.
Thot Cursus
Quelles recommandations feriez vous à une direction d’école qui serait intéressée à se lancer dans un tel projet ?
François Demers
En ce qui me concerne je dirais qu’il faut trouver le juste équilibre entre consulter et faire avancer le projet. À certains moments on était tout le monde à discuter et à décider de tout. Il est préférable de s’entendre sur les orientations et laisser ceux dont c’est le métier faire des propositions. Sinon tout le monde se sent pousser un talent d’architecte et on perd trop de temps sur des détails. Ce qui ne nous a pas empêché de faire certaines erreurs, mais la plupart ont pu être corrigées au fil des travaux.
Nous vivions dans l’école pendant que les travaux se faisaient. Certaines périodes étaient plus tendues; il faut s’attendre à certaines tensions lors de périodes scolaires critiques. Prévoir des soupapes.
Salle multifonctionnelle
Mur Lego

Cuisine Laboratoire

Activité en cours...

Complément
Une école revampée pour les élèves des Éboulements - Lisiane Tremblay - Le Charlevoisien - Novembre 2022
https://www.lecharlevoisien.com/2022/11/28/une-ecole-revampee-pour-les-eleves-des-eboulements/
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