Dans les organisations, deux principes règnent pour atteindre les objectifs fixés, soit l'obligation de moyens soit l'obligation de résultats. Si chacun peut comprendre ce que l’obligation de résultats implique, qu'en est-il de l'obligation de moyens ?
Que sont les obligations ?
Ces termes sont issus du droit et plus précisément du droit des obligations. Dans un contrat synallagmatique [Qui comporte une obligation réciproque entre les parties], chacune de parties s'engage à remplir ses obligations. Elles peuvent reposer sur 3 choses (source) :
- obligation de donner (souvent un bien ou un paiement)
- obligation de faire (il s'agit de délivrer un service)
- obligation de ne pas faire.
Quand il s'agit d'un contrat de vente, il est évident qu'il s'agit d'une double obligation de donner. Par exemple le vendeur de voiture va donner la voiture en échange du fait que l'acheteur va payer la voiture.
Quelles sont les différences entre l'obligation de moyens et l’obligation de résultats ?
La même source, fait le distinguo entre l'obligation de moyens et l’obligation de résultats.
La doctrine et la jurisprudence se fondent sur les articles 1137 et 1147 du Code civil pour distinguer les obligations de moyens et les obligations de résultat.
-
Il y a obligation de moyens lorsque le débiteur s’engage à mettre tous les moyens en œuvre pour parvenir à un résultat (un médecin s’engage à mettre tous les moyens en œuvre pour guérir un patient et non à le guérir assurément). Le débiteur ne peut voir sa responsabilité retenue que s’il a commis une faute.
- Il y a obligation de résultat lorsque le débiteur s’engage à un résultat précis (un transporteur s’engage à livrer une chose). Ce dernier est responsable, de plein droit, si le résultat n’est pas atteint.
Quels sont les objectifs de l'enseignement ?
Actuellement, l'enseignement dans les pays tels que la France ou la partie francophone de Belgique est basé sur une obligation de moyens. Dans ces systèmes, chaque intervenant est supposé, à chaque niveau de personnes impliquées, mettre tous les moyens en œuvre pour réaliser l'objectif final.
L'objectif final étant défini dans divers textes légaux tels que le décret mission en Belgique francophone publié au Moniteur belge le 23 septembre 1997. Ce décret se fixe les objectifs suivants :

Ces objectifs sont-ils atteints ?
Pour savoir si un objectif est atteint, il faut pouvoir mesurer sur base de critères chiffrables. Les enquêtes PISA ont leurs détracteurs mais elles ont le mérite d'exister et de donner une image de la situation des élèves de 15 ans afin de comparer les systèmes d'enseignement des pays de l'OCDE.
Voilà les résultats de PISA pour l'enquête de 2018 concernant la partie francophone de la Belgique (source):
- En lecture, les résultats de 2018 sont en léger recul par rapport à
ceux de 2015. Avec un score de 481, la FW-B est en-dessous de la
moyenne OCDÉ (487).
- Les pratiques de lecture traditionnelles
sont moins fréquentes qu’il y a dix ans et l’intérêt pour la lecture est
en diminution. Il s’agit d’une tendance lourde, qui affecte les filles
et les garçons, observée dans la majorité des pays de l’OCDÉ, et qui
correspond aussi à un changement de pratiques : pour suivre l’actualité,
les jeunes se tournent clairement vers les supports numériques plutôt
que vers les magazines et les journaux dans leur version papier.
- Les résultats en mathématiques (495) sont en légère augmentation et
désormais supérieurs à ceux de la moyenne des pays de l’OCDÉ (489).
- Les résultats en sciences (485) sont stables par rapport à ceux des cycles antérieurs et proches de la moyenne OCDÉ (489).
- En
matière d’inégalités liées à l’origine sociale, la FW-B se classe
toujours parmi les systèmes éducatifs où ces inégalités sont les plus
marquées, aux côtés de la Communauté flamande, de la France, de la
Hongrie et du Luxembourg.
Le premier objectif du Décret mission parait difficilement évaluable. Comment mesurer la confiance en soi et le développement de la personne ?
Le deuxième objectif du Décret Mission parait ne pas être atteint. Si le niveau de lecture est faible, il est difficile de penser que les élèves seront aptes à apprendre tout au long de leur vie.
Le troisième objectif est aussi difficilement mesurable. Il faudrait des critères qui permettent de mesurer si une personne est devenue un citoyen responsable capable de contribuer au développement de la société.
Le quatrième objectif parait être difficilement atteint puisque la France et la Belgique francophone sont parmi les systèmes éducatifs les plus inégalitaires.
Il faut avouer que le bulletin parait peu brillant puisque sur les deux objectifs que l'ont peut mesurer, aucun ne parait être atteint en masse. (il faut tenir compte des chiffres globaux).
L'enseignement est basé sur l'obligation de moyens
Quand un système n'atteint pas ses objectifs il est bon d'essayer de comprendre pourquoi. Sur base de situations observées, et qui ne sont pas forcément représentatives, on peut essayer de trouver des pistes :
Les élèves mettent-ils tous les moyens qu'ils ont pour apprendre (apprendre est préférable à réussir dans le contexte de cet article) ?
Le système est tel que ce que visent de nombreux élèves, ce n'est pas d'acquérir des savoir et des compétences mais bien de réussir. On peut croire que c'est lié mais pas forcément (cf ci-dessous). Si dans un cours, il est possible de réussir sans que l'acquisition de réelles compétences ou de savoirs, certains s'en contenteront. Et comme avoir eu 10/20 dans un cours n' pas d'utilité quand il s'agit de faire un test qui compare aux autres niveaux d'enseignement, on peut imaginer 100% de réussites mais avec de mauvais résultats PISA.
Certains apprenant ne visent même pas la réussite. Pour diverses raisons qui méritent d'être approfondies et être l'objet d'une enquête, ils peuvent très bien faire le choix d'échouer. Cela peut être :
- la volonté d'être réorienté;
- préférer rester dans un niveau d'enseignement "protecteur" plutôt que de changer de contexte et aller dans l'enseignement supérieur;
- vouloir s'affirmer en s'opposant au système;
- attendre des amis ou amies qui sont dans une année inférieure;
- la paresse;
- etc.
Des études et des théories ont été faites sur la motivation en milieu scolaire. C'est par exemple le cas du modèle de R. Viau ou encore de l'étude des chercheuses Émilie Tremblay-Wragg, Carole Raby et Louise Ménard.
Si des facteurs externes à l'apprenant existent, il faut aussi tenir compte de facteurs internes qu'il peut être difficile d'identifier comme la théorie du Locus of Control le suggère.

Il est d'ailleurs intéressant que des courants pédagogiques aient amenuisé l'aspect responsabilité de l'élève dans l'enseignement. Sans revenir au 19ème siècle, on peut se poser la question d'un certain laxisme. En fait, le bon réflexe est de pouvoir adapter le curseur au contexte et aux circonstances sans généraliser toutes les règles ou leur absence.
Ce document du "Discours sur le Mauvais élève" montre le changement de paradigme : on est passé de la responsabilité reposant sur l'apprenant à une responsabilité de l'atteinte des objectifs passant sur l'enseignant. En voici quelques extraits :
- du XVIe au
XIX° siècles, le mal en éducation est incarné par trois invariants, la paresse,
l’insubordination et l’atteinte aux mœurs (Prairat, 1997), que le bon élève
se doit d’être travailleur, obéissant et loin des choses du sexe.
- Et l’on
verra Kant, au nom de la liberté et de la raison, exiger une éducation sévère
destinée à redresser l’enfant vers le bien qui est en lui.
- Durkheim aura beau, bien plus tard (1925), prétendre substituer la science
sociologique à la pensée philosophique pour résoudre, entre autres, les problèmes
éducatifs, son approche restera, au moins sur ce point, tout aussi liée aux grands
principes. Si, chez lui aussi, l’éducation ne peut être que sévère, c’est parce qu’il
faut faire rentrer cet être instinctif, individualiste et sans moralité qu’est l’enfant
dans l’univers socialisé de la règle transcendante et immuable, inviolable et sacrée.
Un peu plus loin, deux auteurs, Binet et Claparède sont cités pour renversé la responsabilité de l'échec d'un apprenant :
"le mauvais élève est d’abord une victime
du système d’éducation"
A présent, on voit donc des parents défiler lors de la réunion de parents pour demander des comptes à l'enseignant dont l'élève est en échec. D'ailleurs cela a été tourné en dérision par plusieurs dessinateurs
Comme en de nombreuses choses, la vérité se situe probablement entre ces deux extrêmes.
Les enseignants mettent-ils en œuvre tous les moyens à leur disposition ?
Chaque système qui met en œuvre des humains doit être bien pensé en fonction des objectifs poursuivis. Un enseignant dans l'enseignement obligatoire devra choisir entre :
- faire apprendre les savoirs et compétences repris dans les programmes de son cour;
- distribuer des points à celles et ceux qui font un peu d'efforts.
Dans le premier cas, l'enseignant peut avoir des échecs voire un grand nombre d'échecs. Il en sera tenu responsable, des comptes lui seront demandés et il aura un surcroît de travail via des remédiation ou des secondes sessions.
Dans le second cas, l'enseignant est sympa car il "donne" des points et il est apprécié des élèves. La direction n'a pas de recours à gérer, il est donc bien vu de ce côté aussi. Enfin, cerise sur la gâteau, pendant que ses collègues font passer des secondes sessions il a quelques jours de vacances supplémentaires.
On peut espérer que la conscience professionnelle l'emporte sur la facilité mais, dans la durée, tenir le cap est compliqué.
Les Directions mettent-elles tous les moyens en œuvre afin d'atteindre les dits objectifs ?
Un système qui met en présence des individus crée des relations sociales. L'être humain est tel qu'il développe des atomes crochus mais aussi des inimités. Les directions d'école peuvent donner des avantages aux enseignants qu'elles apprécient plutôt qu'aux enseignants les plus compétents. Souvent d'ailleurs, les plus compétents ne seront pas forcément bien vus puisque ce sont ceux qui, passionnés par leur métier et leur matière) mettent un point d'honneur à faire acquérir savoirs et compétences.
Naturellement, les Directions risquent donc de faire plaisir aux enseignants qu'elles préfèrent, même si ce n'est pas conscient. Comme indiqué dans cet article, cela peut se matérialiser par :
- Leur emploi : les directions peuvent faire en sorte de reprendre
ou ne pas reprendre certains enseignants d’une année sur l’autre. Dans
les systèmes avec une certaine garantie de l’emploi, les directions
peuvent œuvrer à la disparition de certains emplois, que ce soit en
regroupant des classes (ce qui engendrent un besoin de moins
d'enseignants) ou en dissuadant les élèves de s’inscrire dans certaines
sections pour les faire disparaître.
- Leurs
attributions : entre deux enseignants d’une même branche, l’un peut
avoir la vie agréable et l’autre avoir d’énormes difficultés. Cela
dépend des classes auxquelles ils donneront cours. Les classes faciles
iront aux enseignants des strates les plus élevées dans la hiérarchie
informelle créée par la direction : les classes difficiles à leurs
collègues moins appréciés.
- Leurs horaires : les
horaires peuvent être très disparates dans les écoles. Un professeur
peut avoir fini chaque jour à midi et avoir tous ses après-midi de congé
tandis qu’un autre peut devoir passer ses journées à l’école en raison
de nombreuses heures de fourches entre deux cours.
Personne ne pourra prouver que les directions qui auraient fait cela n'auraient pas mis tous les moyens en œuvre pour atteindre les objectifs. Il leur suffit que leurs actes ne bafouent aucun texte légal et tout se passera bien .. sauf l'acquisition de savoirs et de compétences par les apprenants.
L'impossible obligation de résultat
On voit que les systèmes permettent en l'état de s'affranchir de l'obligation de moyens mais pour autant, l'obligation de résultats parait impossible à mettre en œuvre dans l'enseignement du moins dans le chef des enseignants.
Selon Perrenoud, c'est impossible pour les raisons suivantes :
Il y a des domaines du travail humain
dans lesquels il est possible et légitime d’exiger des
résultats. Il faut pour cela réunir aux moins quatre
conditions :
- Que le problème à
résoudre soit purement technique, autrement dit que les
finalités de l’action soient parfaitement claires et
que les professionnels n’aient d’autre tâche que
de chercher les meilleurs moyens d’atteindre des objectifs
sans équivoque.
- Que l’action des
professionnels ne dépende que marginalement de la
coopération ou de la mobilisation de personnes ou de
groupes indépendants de l’organisation qui les
mandate.
- Que l’état des
savoirs savants et professionnels rende possible une action
efficace dans la plupart des situations
rencontrées.
- Que les situations
qu’affrontent les professionnels de même niveau de
qualification soient sinon identiques, du moins relativement
comparables.
Ces conditions ne sont pas
réunies pour l’enseignement.
Souplesse et gestion administrative
Pour rester factuel, il est évident que les objectifs ne sont pas atteints. Est-ce à cause du manque d'obligation de résultats ou parce que les systèmes n'ont pas été assez bien pensés ? Cela mérite d'être étudié.
Enseigner repose sur des éléments scientifiques mais est aussi probablement un art; l'erreur de base est peut-être de vouloir tout uniformiser et de ne pas tenir compte des individus que ce soient les apprenants, les enseignants ou les directions avec les caractéristiques de chacun. Un élève est unique, un prof aussi et un directeur aussi pourquoi vouloir tous les mettre dans un moule géant ?
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