Les colloques et rassemblement de professionnels de la
formation en ligne, tel le Learrning
show qui s’est tenu à Rennes en octobre 2022, regorgent de nouveautés.
Partout, il est question d’innovations qui rendront la formation numérique plus
fluide, plus adaptée aux apprenants, plus simple à gérer aussi.
Les nouveautés
techniques, telles les déclinaisons du métavers, les dispositifs de réalité virtuelle
et ceux qui s’appuient sur l’intelligence artificielle, attisent la curiosité
et nous promettent tous des lendemains qui chantent. Mais l’innovation pédagogique,
les nouveaux modèles de scénarisation, les parcours qui accroissent l’autonomie
et la sécurisation des apprenants, sont tout aussi passionnants et encore plus prometteurs.
La pilule amère de la formation en ligne au temps de la
pandémie
Cette ébullition intellectuelle et technique ne doit pas faire
oublier que pour de nombreux utilisateurs, la formation en ligne est surtout
une expérience désagréable, une solution acceptable en contexte d’urgence mais
qu’il faut s’empresser d’oublier dès que les choses sont revenues à la normale.
La formation à distance comparée à la formation en présence, ce serait comme les
aliments déshydratés que se voit contraint d’avaler un alpiniste ou un
navigateur solitaire, face à un vrai repas.
Il faut dire que de nombreux usagers de la formation en
ligne n’ont eu que d’interminables classes virtuelles à se mettre sous la dent,
ou plutôt sous la souris, pendant les différents confinements liés à la
pandémie de Covid 19. Pas de modules interactifs, pas de simulations 3D, pas d’épisodes
en réalité virtuelle, pas de webinaires soigneusement préparés, pas d’animations
vidéos… L’urgence justifiait tout. Y compris la médiocrité, puisque nous n’étions
pas dans une situation « normale ».
La situation et ses conséquences
sont parfaitement décrites dans
cet article, qui identifie bien le chemin à parcourir pour rendre au
distanciel la place qu’il mérite pleinement : contrairement à une croyance
encore trop répandue, il n’y a pas la formation en ligne d’un côté et la
formation en présence de l’autre. On mobilise différentes modalités, différents
outils et supports de formation selon les circonstances, l’effet
recherché et les contraintes des uns et des autres. Ces éléments sont combinables,
mais pas interchangeables : on ne prépare pas 7 heures de présentiel comme 7 heures
de distanciel.
Des expériences positives à valoriser
La formation en ligne peut
constituer une expérience d’apprentissage profitable. Certains salariés, et pas
nécessairement ceux qui y étaient a priori les plus favorables, en ont
heureusement fait l’expérience pendant la crise du Covid. Une entreprise
française, citée dans cette
étude du Cereq, évoque ainsi le cas des commerciaux qui se sont formés
pendant leurs périodes de chômage technique :
« « [...] on
voulait faire du chômage technique un moment positif pour nos commerciaux qui
en ont profité pour se former ; les formations qu’ils ont suivies ont été
sur des compétences plutôt transversales, et quelques formations métiers bien
entendu, ils ont été les premiers à utiliser notre catalogue avec l’ensemble de
l’offre digitale mise à disposition.
Et ça a bien réagi, ils ont adhéré, [...]
alors qu’ils ont une vision de la formation qui est souvent très corporatiste,
ils aiment se retrouver ensemble et être en formation en présence ; leur
faire faire des formations digitalisées n’était pas du tout naturel pour eux,
mais au final, ça s’est très bien fait »
Mais dans de nombreux cas, le mal est fait : la
formation à distance ne sera décidément jamais aussi aimable que la formation
en présence. C’est bien à cette version-là de la formation à distance que se
réfèrent les
syndicats étudiants qui critiquent la décision du président de l’Université de Strasbourg de fermer 2 semaines de plus les locaux pendant l’hiver, et donc de distribuer
les cours en ligne :
« Nous connaissons les conséquences de
l’enseignement à distance : rupture d’égalité pendant la période
d’examens, dégradation des conditions d’études et de travail, et isolement des
étudiants et étudiantes et du personnel dans une situation critique et
précaire. »
Si la quasi-totalité des pays disposant d’une infrastructure
suffisante sont passés à la formation en ligne pendant les confinements de l’année
2020, certains semblaient mieux préparés que d’autres. Au Québec, les 130 000
enseignants ont dû eux aussi passer à distance. Ils ont étés accompagnés par la
Teluq qui leur a proposé une formation de base à l’enseignement à distance. 6
enseignants et concepteurs de cours de la TELUQ décrivent cette expérience de production
et ses enseignements dans un article
passionnant. L’article se termine d’ailleurs par une observation qui
rejoint totalement le phénomène que nous évoquions plus haut. En effet, cette
formation est asynchrone, gratuite, accessible en continu aujourd’hui encore. Pourtant,
de nombreux enseignants imaginaient que s’ils avaient manqué un module, ils ne
pourraient pas le suivre plus tard…
« Ceci est le signe que la FAD est dans bien des esprits de la formation
synchrone en classe virtuelle. Tandis que certains se tournent sans doute vers
des formations correspondant davantage à leurs représentations, «J'enseigne à distance» constitue dès lors, pour beaucoup, une belle occasion
de dépasser cette vision et de faire évoluer leurs pratiques ».
Qui a peur de la
bonne formation en ligne ?
Comme les
commerciaux évoqués plus haut, les enseignants québécois ont eu la possibilité
de goûter à une autre formation en ligne : asynchrone, médiatisée,
scénarisée. Et ils ont aimé ça. Pourquoi ne pas offrir cela à tous, et
augmenter ainsi la clientèle volontaire pour le distanciel ?
Un tel choix s’appuie sur des décisions financières, organisationnelles
et politiques. Car il s’agirait là de passer d’une logique de contrainte à une
logique de transition, c’est-à-dire de changement désiré, comme l’expliquent
de manière éclatante les deux auteurs de cet
article de réflexion consacré à « la transition « formation en
présence – formation à distance » à l’université au temps de
la COVID‑19 ». Ils expliquent aussi que toute transition implique de
la concertation, la volonté de faire un pas hors de sa zone de confort.
Que faut-il faire, pour que plus s’engagent dans la voie de
la transition ? Cette interrogation en rejoint une autre, encore plus
brûlante, au sens propre comme au sens figuré. Comme le changement est
difficile. Comme nous aimons attendre de ne plus avoir le temps de réfléchir pour
nous y engager. Au risque de passer à côté des vraies solutions ?
Illustration : olly18, Deposit photo.
Références
Le digital est-il l’avenir de la formation professionnelle ?
Anne-Claire Prevost, Culture RH, octobre 2021.
https://culture-rh.com/digital-learning-formation-professionnelle/
En 2020, la crise sanitaire met à l’arrêt la formation en
entreprise. Claudine Romani, Cereq, juillet 2021.
https://www.cereq.fr/en-2020-la-crise-sanitaire-met-larret-la-formation-en-entreprise
L’Université ferme deux semaines en hiver par mesure d’économies,
les syndicats d’étudiants en colère. Guillaume Kremp et Pierre France, Rue 89
Strasbourg, septembre 2022.
https://www.rue89strasbourg.com/universite-fermeture-hiver-economie-245741
Créer dans l’urgence une formation à distance de qualité
pour former... à la formation à distance : tout un défi! Cathia
Papi, Caroline Brassard, Patrick Plante, Isabelle Savard, Gustavo Angulo
Mendoza et Serge Gérin-Lajoie, Revue internationale des technologies en
pédagogie universitaire, Volume 18, numéro 1, 2021.
Erudit https://www.erudit.org/fr/revues/ritpu/2021-v18-n1-ritpu06306/1080765ar/
De la transition « formation en présence – formation à
distance » à l’université au temps de la COVID‑19. Jean Bernatchez, Marie
Alexandre, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, Volume
18, numéro 1, 2021.
Erudit https://www.erudit.org/en/journals/ritpu/2021-v18-n1-ritpu06306/1080766ar/
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